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Alors que l’épidémie de grippe continue de s’intensifier, au point que les autorités sanitaires ont récemment annoncé la prolongation d’un mois de la campagne de vaccination (jusqu’au 28 février), la responsabilité du gouvernement est passée au crible. L’exécutif a-t-il mis en danger la santé des Français pour une «simple» considération de prix ? A-t-il mis de côté un vaccin réputé plus efficace, car il le jugeait trop cher ?
Dans son dernier bulletin épidémiologique, publié le 29 janvier, Santé publique France fait état de «la faible efficacité du vaccin contre la grippe chez les 65 ans et plus pour cette saison» – à hauteur de 31 % seulement dans cette population, d’après les premières données – et plus largement d’une «efficacité modérée (46 %) pour tous les groupes à risque ciblés par la vaccination». Or c’est précisément le choix des produits administrés dans le cadre de la dernière campagne vaccinale qui serait à l’origine de ces faiblesses, à en croire les analyses relayées dans les médias depuis quelques jours.
«Trois vaccins sont actuellement disponibles, mais pas le dernier de Sanofi, qui aurait pourtant pu éviter de nombreuses hospitalisations», rapportait BFM TV dans un article paru le 20 janvier. «Contrairement aux autres années, les pharmacies ne disposent pas d’un vaccin hautement dosé. [Un vaccin de ce type] est pourtant produit par Sanofi, qui l’a proposé au gouvernement, mais ce dernier n’en a pas voulu car trop cher par rapport à un autre vaccin, moins dosé», pointait à son tour RTL dix jours plus tard. Tandis que le directeur France de Sanofi, Charles Wolf, expliquait au micro de RMC que la France «est le seul pays à ne pas avoir de vaccin différencié pour les plus de 65 ans».
De fait, comme indiqué sur le site du ministère de la Santé, trois vaccins sont mis à disposition pour la campagne vaccinale toujours en cours : un du laboratoire américain Viatris, un du britannique GSK, ainsi que le Vaxigrip de Sanofi. Or il s’agit uniquement de vaccins dits «à dose standard», adaptés à toute personne dès l’âge de 6 mois… alors que Sanofi produit par ailleurs un vaccin «à haute dose», destiné aux individus de plus de 65 ans, plus vulnérables face aux complications, et qui représentent une bonne part des passages aux urgences et décès causés par la grippe (47 % des patients admis en réanimation depuis le début de la saison 2024-2025, selon Santé publique France).
Le vaccin hautement dosé de Sanofi, baptisé Efluelda, est utilisé par les Américains et par nos voisins européens (Allemagne, Italie, Espagne, Portugal…) pour leurs propres campagnes de vaccination. Mais pas par la France, donc, quand bien même il a été développé par un laboratoire français, et est partiellement fabriqué depuis 2023 sur son site normand de Val-de-Reuil. Plus exactement, le vaccin Efluelda était jusque-là proposé en France, d’abord à travers un stock étatique au cours de la campagne vaccinale 2020-2021, puis avec sa commercialisation durant les trois hivers suivants, mais ne l’est plus désormais. En cause : des raisons économiques, comme mentionné dans les articles cités plus haut, mais aussi des considérations médicales.
Déjà en 2020, juste avant que l’Efluelda ne soit autorisé par l’Agence européenne des médicaments pour immuniser les seniors, la Haute Autorité de santé avait estimé que ce vaccin n’apportait «pas de progrès», et ne constituait donc qu’«un nouveau moyen de prévention de la grippe saisonnière chez les personnes âgées de 65 ans et plus, au même titre que les [vaccins] à dose standard disponibles». Tout en se prononçant en faveur du remboursement de l’Efluelda, l’autorité publique chargée d’évaluer les médicaments considérait que ce produit n’améliorait pas «l’immunisation active des personnes âgées de 65 ans et plus en prévention de la grippe, par rapport aux autres vaccins disponibles». Le prix élevé (tenu secret) demandé par Sanofi pour son vaccin était déjà au cœur des débats. La HAS notait que «les économies potentiellement réalisées sur les postes relatifs aux consultations et aux hospitalisations avec l’intégration d’Efluelda ne permettent pas de compenser les surcoûts associés à son acquisition». Ce qui selon elle impliquait «une négociation pour une forte baisse du prix revendiqué pour Efluelda».
Laboratoire et autorités s’étaient finalement accordés pour proposer ce vaccin à quelque 31 euros dans les officines françaises. Mais à l’hiver dernier, lorsque les autorités précommandaient des doses auprès des laboratoires en anticipation de cette saison 2024-2025, il a été question de renégocier le prix d’Efluelda. Les autorités sanitaires, qui placent ce vaccin sur le même plan que les autres dans leurs recommandations aux plus de 65 ans, jugent que son dosage ne suffit pas à justifier de le payer plus cher. Or, en face, les vaccins à dose standard sont vendus à un prix presque trois fois moindre.
En avril 2024, Sanofi faisait savoir, par voie de communiqué, que «les autorités ont décidé de fixer un nouveau prix non soutenable pour Sanofi au regard des coûts de production et de distribution, malgré un investissement majeur déjà engagé par Sanofi pour localiser en France une partie de la production d’Efluelda». Par conséquent, le vaccin a été retiré du marché français, indiquait la Direction générale de la Santé dans un urgent adressé aux pharmaciens. La DGS se voulait rassurante : «cette décision n’affectera pas l’approvisionnement en vaccins antigrippaux, le laboratoire s’étant engagé́ à remplacer intégralement les précommandes du vaccin Efluelda par le vaccin Vaxigrip».
Ainsi, la position des autorités ne se limite pas strictement au prix, et tient compte de l’absence de consensus quant aux bénéfices cliniques d’Efluelda. Au moment où la HAS se prononçait, plusieurs travaux avaient certes établi la plus grande efficacité du vaccin à haute dose chez les publics à risque, mais dans une ampleur relativement limitée. Sauf qu’une récente étude, portant sur les résultats de la vaccination chez les seniors français lors de la saison 2021-2022, pourrait changer la donne. Publiée en août dans la revue médicale Clinical Microbiology and Infection, elle montre que le vaccin à haute dose «était associé à un taux d’hospitalisations pour grippe inférieur de 23,3 %» en comparaison aux vaccins standards. De son côté, Sanofi a toujours vanté les «nombreuses études cliniques démontrant la supériorité d’Efluelda comparée à celle des vaccins à dose standard contre la grippe».
C’est pourquoi, après la décision de retrait du marché, le laboratoire est immédiatement entré en négociation avec les autorités sanitaires pour permettre le retour d’Efluelda dès la campagne 2025-2026. «On n’a pas eu la reconnaissance de l’innovation de ce vaccin en France, résumait Charles Wolf de la direction France, sur RMC le 24 janvier. C’est pour ça qu’on a soumis les nouvelles données, qu’on est en discussion avec la Haute Autorité de Santé, pour avoir une vraie reconnaissance de l’innovation.»
Après plusieurs années passées à recommander la production de vaccins antigrippaux quadrivalents (autrement dit censés protéger contre quatre souches), l’OMS a préconisé l’année dernière de revenir à des préparations trivalentes. C’est sous cette forme que Sanofi espère réintégrer Efluelda dans les campagnes vaccinales françaises, la version trivalente du vaccin ayant reçu en novembre dernier une autorisation de mise sur le marché.
Dans ce dossier, Sanofi a reçu l’appui de plusieurs syndicats de pharmaciens, dès avril 2024. La FSPF, leur syndicat majoritaire, déplorait dans un communiqué que les patients soient de ce fait «privés du vaccin offrant le meilleur service médical». Et l’Académie nationale de médecine renchérissait en mai, soutenant que la vaccination à haute dose représente «un progrès dans la protection des seniors qui doit être préservé».
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