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«J’ai désormais travaillé quinze minutes de plus que Kamala, elle n’a jamais travaillé ici», a fanfaronné Donald Trump, ce dimanche 20 octobre, depuis un restaurant McDonald’s de Feasterville, en Pennsylvanie. Dans ce restaurant fermé pour l’occasion, le candidat du parti républicain s’est montré en train de préparer des frites et de servir des commandes à des supporters triés sur le volet. Une stratégie pour montrer qu’il est un homme proche du peuple, mais aussi pour relancer une de ses accusations récurrentes : Kamala Harris aurait menti en affirmant avoir travaillé chez McDonald’s durant ses études.
Kamala Harris, connue pour sa carrière de procureure à San Francisco, puis de procureure générale de Californie, avant de devenir sénatrice et vice-présidente des Etats-Unis, a en effet mentionné à plusieurs reprises ce job d’été chez McDonald’s durant sa campagne présidentielle de 2024. «Elle a grandi dans un foyer de classe moyenne. Elle était la fille d’une mère qui travaillait. Et elle a travaillé chez McDonald’s pendant qu’elle obtenait son diplôme. Kamala Harris sait ce que c’est que d’appartenir à la classe moyenne», raconte une voix off, sur une vidéo de campagne publiée le 10 août.
Le même jour, lors d’un meeting à Las Vegas, Kamala Harris rejoue la carte de la classe moyenne : «Qu’est-ce qui nous permet, à Tim Walz [son colistier, ndlr] et à moi, d’être ensemble sur cette scène aujourd’hui ? Pensez-y ! Deux enfants de la classe moyenne : une fille d’Oakland, en Californie, qui a été élevée par une mère ouvrière – j’avais un emploi d’été chez McDonald’s – et un fils des plaines du Nebraska, qui a grandi en travaillant dans une ferme.»
Un job chez McDo «pas démontré»
La première mention publique de cet emploi dans la chaîne de restauration rapide semble remonter à un déplacement de Kamala Harris, à Las Vegas, en juin 2019. Venue apporter son soutien à des employés qui demandaient une meilleure rémunération, elle déclare : «J’ai travaillé à McDonald’s. J’étais étudiante. Je n’avais pas de famille qui comptait sur moi pour payer le loyer, mettre de la nourriture sur la table et payer les factures à la fin du mois.»
Depuis, la candidate est revenue à quelques occasions sur ce «job d’été» de 1983 – notamment dans un podcast avec l’actrice Drew Barrymore diffusé avant que Joe Biden ne jette l’éponge – au cours duquel elle a raconté avoir appris à faire cuire les frites, servir des glaces et gérer la caisse.
I worked at @McDonalds when I was a student, doing french fries and ice cream. There wasn’t a family relying on me to pay the bills — but that’s the reality for too many workers today. Proud to stand with @SEIU today for livable wages and a safe working environment. pic.twitter.com/essu9q63JF
— Kamala Harris (@KamalaHarris) June 14, 2019
Or dans un article mis à jour le 4 septembre, le média américain de fact-checking Snopes, actif dans la lutte contre les fausses informations depuis 1995, conclut que son poste d’employée de McDonald’s n’est «pas démontré». «Hormis le témoignage de Mme Harris, il n’existe aucune preuve […] permettant de vérifier l’affirmation de manière indépendante», note Snopes. Le site a cherché à obtenir des informations auprès de McDonald’s ainsi que de proches de Harris, comme sa sœur, mais sans succès.
L’enquête de Snopes a rapidement intéressé la chaîne conservatrice Fox News. Le 6 septembre, le changement de la notation, passée d’«en cours de vérification» à «pas démontré» est jugé «intéressant» par l’animateur Jesse Watters, qui cite à l’antenne l’enquête des «fact-checkers libéraux de Snopes».
Pas de mention dans un CV de Harris de 1987
Quelques jours plus tôt, le 29 août, Watters s’était fait l’écho d’une autre enquête, menée cette fois par le Washington Free Beacon, un média conservateur. Le site avait révélé une copie du CV et du dossier de candidature de Kamala Harris, datant d’octobre 1987, pour un poste d’assistante juridique au bureau du procureur du comté d’Alameda, en Californie.
Aucune mention de son emploi chez McDonald’s n’y figure. Dans la partie demandant de renseigner les antécédents professionnels des dix dernières années, la candidate démocrate mentionne seulement trois postes : clerc juridique dans un cabinet d’avocat durant l’été 1987, opératrice dans une société de service financier à l’été 1986, assistante étudiante dans une agence gouvernementale américaine chargée de la protection des consommateurs d’avril 1985 à mai 1986. Sur son CV, on trouve une autre expérience professionnelle, un stage chez un sénateur de Californie durant l’été 1984, ainsi qu’une «expérience additionnelle» en tant qu’analyste statistique pour un institut de sondage, sans que la date ne soit précisée.
L’absence de la mention de ce job d’été, consistant à faire cuire des frites, encaisser des clients et servir des glaces chez McDonald’s, sur une lettre de candidature pour un poste d’assistante juridique ne démontre pas nécessairement que le job d’été chez McDo n’a jamais existé. On peut comprendre que ces compétences n’aient pas besoin d’être mises en avant pour un poste auprès du procureur de Californie, comme le soulignent le Washington Post ou le New York Times.
Pas de mention dans ses mémoires
Un autre élément suspect, souligné par le Washington Free Beacon, est que «ce poste n’est pas mentionné dans ses deux mémoires, publiés en juillet 2010 et en janvier 2019». CheckNews a pu vérifier cette affirmation : le nom de McDonald’s n’apparaît ni dans Smart on Crime : A Career Prosecutor’s Plan to Make Us Safer (Chronicle Books, 2009), ni dans ses mémoires The Truths We Hold : An American Journey (Penguin Books, 2019). L’anecdote ne revient pas alors même qu’elle consacre un chapitre au coût de la vie pour les travailleurs de la classe moyenne, qui ont du mal à joindre les deux bouts. Le New York Times n’a également pas pu retrouver de mention de l’entreprise de fast-food dans ces livres.
La presse conservatrice américaine a-t-elle pour autant démontré que Kamala Harris n’a pas été employée de McDonald’s ? Sur Fox News, le journaliste Andrew Kerr du Washington Free Beacon s’est montré prudent : «Il est possible qu’elle ait travaillé chez McDonald’s pendant quelques semaines au cours de l’été 1983. Mais si l’on met tout cela bout à bout, cela soulève de sérieuses questions sur ce qui est devenu un récit fondamental sur lequel les démocrates s’appuient pour relier Kamala Harris à la classe ouvrière.»
Une lointaine amie de Harris dit se souvenir
Après la prestation de Donald Trump dans le McDo de Pennsylvanie, le New York Times a publié de nouveaux éléments sur le mystérieux job d’été de Harris et assure avoir échangé avec une amie d’adolescence de Kamala Harris, qui est restée en contact avec sa famille pendant des années.
Citant les derniers éléments fournis par l’équipe Harris, selon lesquelles la candidate démocrate «était employée du McDonald’s de Central Avenue à Alameda (Californie) en 1983, pendant l’été qui a suivi sa première année à l’université Howard, et qu’elle travaillait à la caisse enregistreuse, à la station de frites et à la machine à crème glacée», le journal souligne que la communication de la vice-présidente «n’a fourni que peu d’informations à ce sujet, notamment sur la durée de son emploi» et que «l’équipe de campagne n’a pas fait en sorte que les amis ou les membres de la famille de Mme Harris soient disponibles pour des interviews sur les souvenirs qu’ils ont de son expérience à cet endroit».
C’est donc par ses propres moyens, que le New York Times affirme avoir sollicité par courriel «Wanda Kagan, une amie proche de Mme Harris lorsqu’elles allaient ensemble au lycée à Montréal», qui leur a confirmé «qu’elle se souvenait que Mme Harris avait travaillé chez McDonald’s à cette époque». «Mme Kagan a déclaré que la mère de Mme Harris, décédée en 2009, lui avait parlé de cet emploi d’été il y a plusieurs années», note le New York Times.
McDonald’s refuse de répondre à la presse
En résumé : face aux accusations de faux job, ni Donald Trump, ni Kamala Harris n’ont fourni de preuve matérielle pour convaincre dans un sens ou dans l’autre. Seul un témoignage d’une ancienne amie de Kamala Harris corrobore sa version. Pour trancher ce débat, l’entreprise McDonald’s semble donc être la seule à pouvoir démontrer que la candidate démocrate est une de ses anciennes employées.
Or interrogée par plusieurs médias (Snopes, Politifact, New York Times, CNN, Washington Free Beacon et même CheckNews), McDonald’s n’a fourni aucune information. De quoi alimenter les soupçons de Jesse Watters de Fox News : «[Si un de vos anciens employés est] peut-être la future présidente des Etats-Unis, vous voudriez vous vanter si vous étiez McDonald’s.»
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