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A peine adopté, le budget 2025 voit l’une de ses mesures mise en pause. Le ministre de l’Economie, Eric Lombard, a annoncé, ce jeudi 6 février sur le plateau de France 2, la suspension de l’amendement qui prévoit la baisse du seuil d’exemption de TVA pour les petites entreprises, face au tollé provoqué auprès des professionnels concernés. Une «concertation» sur le sujet a été lancée vendredi 7 février, chapeautée par la ministre déléguée chargée du Commerce et des PME, Véronique Louwagie, afin de réaliser des ajustements «si nécessaire». Mais pas de rétropédalage de prévu : l’amendement de la discorde ne sera pas supprimé à l’issue des discussions, affirme l’entourage de la ministre.
Personne ne s’attendait à ce que cette mesure se retrouve au centre d’une polémique. Après le retrait d’un texte allant dans un sens similaire, porté par les LR à l’Assemblée au début des débats budgétaires, l’amendement en question, proposé cette fois par le gouvernement, a été voté sans remous le 1er décembre par le Sénat. Les membres de la Commission mixte paritaire de janvier 2025 l’ont conservé dans la version du budget adoptée le 5 février. D’après les services de Bercy, la mesure, qui figurait dans les cartons des parlementaires dès 2023, n’aurait même pas été discutée lors de la CMP, car elle faisait alors l’objet d’un consensus parmi les parlementaires présents.
Concrètement, cette mesure prévoit un abaissement du seuil en deçà duquel les petites entreprises ne sont pas assujetties à la TVA, à partir du 1er mars de cette année : au lieu de 37 500 euros de chiffre d’affaires annuel pour les prestations de service, et 85 000 euros pour les activités de commerce, doit s’appliquer un seuil unique de 25 000 euros. De quoi faire basculer dans le régime de la TVA de nombreuses entreprises qui y échappaient jusqu’alors. Les microentrepreneurs, qui bénéficient très souvent de cette exonération, ne sont que la partie émergée de l’iceberg : la mesure concerne aussi les entreprises individuelles, les professions libérales…
Dès lors, une fois repérée, la mesure a provoqué une levée de boucliers de toutes parts : «On a failli rater cet énorme scandale dans le #plf2025. On résume : ils ont dit pas question de faire payer plus d’impôts aux classes populaires et moyennes. Et voilà que des centaines de milliers d’autoentrepreneurs vont payer la TVA ! Censurez !» s’est insurgé sur X le président de la commission des finances de l’Assemblée, Eric Coquerel. Les députés LFI ont annoncé déposer prochainement une proposition de loi afin d’abroger la mesure. Les députés RN ont également donné de la voix, rejoints, entre autres, par certains macronistes.
Sur les réseaux, les entrepreneurs, quant à eux, partagent leur inquiétude. Parmi ceux-ci, l’entrepreneuse Amélie Richard, fondatrice de l’application Business Emoi, appelle à «alerter» les autorités sur «le danger pour nos entreprises» qui se profile, dans un post largement relayé. En parallèle, certaines fédérations de professionnels organisent la riposte, à coups de communiqués, réunions en ligne et déclarations dans la presse.
Du côté des microentrepreneurs, «sidération et inquiétude» règnent, résume Grégoire Leclercq, président de la Fédération nationale des autoentrepreneurs, qui s’alarme des difficultés à la clé pour les adhérents. «250 000 à 300 000 autoentrepreneurs seront concernés», avance-t-il, «et 100 000 entreprises individuelles».
Au premier chef, «la complexité administrative, à l’opposé de la promesse initiale du régime les autoentrepreneurs», assène-t-il. Concrètement, il faudra désormais «suivre sa trésorerie, pour encaisser le produit de la TVA afin de le reverser plus tard ; rendre ses déclarations en temps et en heure» énumère-t-il. Avec le risque de devoir solliciter les services d’un comptable, ce qui rime avec des charges supplémentaires, «1 000 euros à l’année au moins», estime-t-il.
Avant l’annonce de la suspension, certains s’affolaient aussi des délais imposés : en quinze jours, «calculer ma rentabilité, calculer mes tarifs, modifier l’affichage de mes tarifs, me former sur la TVA, modifier mon logiciel de caisse et de facturation, refaire mon site Internet», égrène Amélie Richard. Autre préoccupation, «l’impossibilité, pour les professionnels de certains secteurs où les prix sont peu élastiques, comme le bâtiment et les services à la personne, de répercuter la TVA dans leurs prix», s’inquiète Grégoire Leclercq.
Les fédérations sont plusieurs à brandir l’épouvantail de la fraude, ou du moins l’évitement de la TVA : «Les entrepreneurs, afin de ne pas dépasser le seuil, arrêteront un temps leur activité, ou limiteront leurs clients», explique Grégoire Leclercq. En se situant parfois aux limites de la légalité : «Certains masqueront une partie de leur activité, en la sous-déclarant, en ouvrant une deuxième microentreprise via leur conjoint ou conjointe, comme cela se pratique déjà.»
Quelques heures avant l’intervention télévisée d’Eric Lombard, Bercy a défendu la mesure, dans un communiqué pour tenter d’éteindre l’incendie. Le ministère a plaidé la «simplification», ainsi que la protection contre les concurrents étrangers dans un contexte modifié par l’application d’une directive européenne. Et, surtout, la lutte contre «les distorsion de concurrence entre professionnels qui exercent en franchise de TVA et ceux qui sont soumis à la TVA» – autrement dit, les TPE classiques, dont les représentants voient plutôt d’un bon œil la mesure discutée, qui fait partie de leurs revendications de longue date.
«Nous espérons que la concertation sera l’occasion de traiter du vrai sujet de fond : redéfinir le régime de la microentreprise, pour garantir l’équité entre entreprises d’un même secteur», résume Michel Picon. Car la mesure ravive un débat vieux de plusieurs années : entre les pourfendeurs d’un régime assorti de nombreux avantages fiscaux et sociaux, jugé déloyal vis-à-vis des petites entreprises classiques, et ceux pour qui microentreprises et TPE ne sont pas concurrentes, mais complémentaires.
«Il y a eu dès le départ un manque de dialogue flagrant» regrette Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) qui dit tout de même «se réjouir» du lancement, même tardif, d’une concertation. «Pourquoi aucun politique ne s’est-il emparé de ce sujet brûlant lors de la Commission parlementaire ? Les fédérations auraient pu en discuter avec eux dès cet instant, pour mieux cadrer la mesure, et prévenir les dégâts collatéraux sur certains secteurs d’activité», s’agace-t-il.
La première journée de concertation a ainsi réuni des voix dissonantes : le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l’U2P, mais aussi deux fédérations de microentrepreneurs. Pour l’heure, la date d’entrée en vigueur de la mesure reste floue : «Pendant le temps de cette concertation, cette mesure sera suspendue, c’est-à-dire que les autoentrepreneurs ne devront pas s’inscrire pour payer la TVA. Donc on aura le temps du dialogue», a indiqué Eric Lombard. La ministre des PME a annoncé, vendredi 7 février sur Franceinfo, un aboutissement de la concertation d’ici la fin février.
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