Olaf Groth (Berkeley) : "Elon Musk n’a aucune expérience de Washington, c’est son talon d’Achille"

Olaf Groth (Berkeley) : “Elon Musk n’a aucune expérience de Washington, c’est son talon d’Achille”

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Elon Musk roule des mécaniques à Washington. Le président Donald Trump a donné à son département de l’Efficacité gouvernementale (Doge) un accès étendu aux données des services de l’Etat. L’homme le plus riche du monde fanfaronne désormais sur X, en laissant planer l’idée qu’il pourrait non seulement scruter mais aussi contrôler les paiements du Trésor américain. Ses méthodes brusques l’ont peut-être aidé à réussir dans le spatial et l’automobile. Mais Washington est un tout autre univers dont il ne connaît guère les codes.

Aux Etats-Unis, la grogne monte autant que l’inquiétude autour des méthodes du Doge. Saisis par des syndicats de fonctionnaires, deux juges fédéraux ont bloqué temporairement les protocoles mis en place par le département d’Elon Musk. Entrepreneurs tech, politiques aguerris… Dans l’ombre, d’autres personnages fortifient leurs positions autour de cette nouvelle administration. Plongée dans ce labyrinthe mouvant avec Olaf Groth, professeur à l’université de Berkeley, spécialiste de l’économie numérique et des politiques publiques associées, fondateur du think tank Cambrian Futures et auteur de The AI Generation (Pegasus, 2021).

L’Express : De nombreux PDG de la tech se rapprochent de Donald Trump. Défendent-ils la même ligne qu’Elon Musk ?

Olaf Groth : Il existe essentiellement deux camps : les Big Tech et les Small Tech. Les Big Tech sont les personnes qui dirigent ou investissent dans les hyperscalers bien connus : Google, Amazon, Microsoft… Les Small Tech gagnent parfois des milliards de dollars, mais ce sont des entreprises technologiques moins gigantesques. Le dynamisme de l’écosystème américain nécessite un équilibre entre les multinationales et les start-up qui les bousculent. Elon Musk est très riche, mais il mène la charge dans le camp des petites entreprises technologiques, plaidant pour une plus grande disruption grâce à l’innovation entrepreneuriale. A l’heure actuelle, il est probablement celui en qui Donald Trump a le plus confiance, mais cela pourrait changer.

Quels entrepreneurs tech pourraient concurrencer Musk à la Maison-Blanche ?

Sam Altman, le pionnier de l’IA, est un rival en puissance d’Elon Musk. Les grands PDG de la technologie comme Satya Nadella (Microsoft) ou Sundar Pichai (Google) ont été plus discrets, mais ils pourraient également, à l’avenir, se révéler de puissants rivaux pour Musk car Donald Trump a besoin d’eux pour rivaliser avec la Chine. Elon Musk n’a aucune expérience de Washington. C’est son talon d’Achille. D’autres PDG du secteur technologique savent naviguer dans la sphère politique et en comprennent les subtilités mieux qu’Elon Musk. Ils sont très bien conseillés, en particulier Nadella, Pichai et Altman. Je ne suis pas certain, en revanche, qu’Elon Musk ait dans son entourage proche des personnes qu’il encourage à lui signaler ses erreurs ou à lui proposer de meilleures approches. Il est passionné, fougueux, tandis que les autres sont plus réfléchis, mesurés et stratégiques dans leur communication.

Le manque d’expérience d’Elon Musk à Washington lui a-t-il fait commettre des erreurs ou s’attirer des ennemis politiques puissants ?

Ces dernières années, il s’est battu avec le gendarme boursier américain, la SEC [NDLR : Securities and Exchange Commission], qui est évidemment une agence très importante. Choisi par Donald Trump, Paul Atkins devrait bientôt en prendre les rennes. Malgré ce changement de direction, Elon Musk ferait mieux d’agir plus prudemment avec la SEC. Howard Lutnick, secrétaire au Commerce, est un autre acteur de l’administration Trump auquel Elon Musk devrait prêter attention.

Le département du commerce dispose d’une multitude de données et d’actifs, et travaille sur des sujets importants tels que le Chips Act [NDLR : pour accroître la production de semi-conducteurs sur le sol américain] ou encore la réglementation en matière de propriété intellectuelle et de données. Je pense qu’ils ont des points de vue similaires sur de nombreux sujets. Il est dans l’intérêt de Musk de bien s’entendre avec Lutnick. Si Elon Musk joue les têtes brûlées, sous-estime les préoccupations de la population, le savoir-faire des élites professionnelles au sein du gouvernement – parce qu’il les considère comme des distractions à sa vision – ou si ses conflits d’intérêts le rattrapent, il pourrait se faire rappeler à l’ordre par le président. Et être éloigné du pouvoir au profit de rivaux plus mesurés. Il n’est pas non plus impossible que Donald Trump se serve de Musk comme d’un électrochoc, pour impulser une refonte en profondeur de Washington, mais lui demande ensuite de se concentrer sur d’autres choses, comme l’extraction de terres rares en Ukraine, la reconstruction de Gaza ou les négociations avec le Premier ministre Li Qiang en Chine.

Pourquoi le président américain et l’homme le plus riche du monde ont-ils besoin l’un de l’autre ?

Donald Trump a besoin d’Elon Musk pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce dernier l’aide à séduire une grande partie des hommes des générations Y et Z, qui apprécient son image d’innovateur riche et prospère, qui coupe court au baratin avec sa posture et ses discours “testostéronés”. Deuxièmement, Musk essaie d’injecter des outils d’IA innovants dans le gouvernement. Les enjeux sont extrêmement élevés, car il traite de nombreuses données sensibles, bouleverse les protocoles et démantèle les processus et les relations au sein du gouvernement américain et avec ses alliés à l’étranger. Mais ce n’est pas sans promesses. Lorsqu’on fait à l’étranger la promotion des outils de pointe développés par ces industries nationales, il est de bon ton de les employer soi-même. Troisièmement, Musk peut aider Trump à négocier avec la Chine, car le PDG de Tesla entretient de bonnes relations avec ce pays, où il a de nombreux intérêts commerciaux. Il est également un lien intéressant avec l’Ukraine, car il lui fournit des services satellitaires par l’intermédiaire de Starlink, mais ne lui a pas donné le droit de s’en servir pour cibler la Russie.

Qu’est-ce qui a incité Elon Musk à se rapprocher à ce point de Washington ?

Plusieurs choses : il a été déçu par les démocrates et les institutions gouvernementales. Il les trouve hostiles à sa vision et à sa personnalité. Il semble déterminé à corriger cela en s’employant à transformer le gouvernement. Il est également religieusement dévoué à l’exploration de Mars et de l’espace lointain, ainsi qu’à l’utilisation et au contrôle de l’IA pour nous propulser vers l’avant, deux choses qu’il juge clés pour le destin de l’humanité. Il souhaite que l’espace et l’IA soient au service de cette grande promesse, et pas seulement de quelques grandes plateformes, et il pense que l’administration Trump pourrait contribuer à la réalisation de cette vision grandiose.

Quel impact aura le nouveau rôle politique d’Elon Musk sur ses activités ?

Il y aura certainement un impact sur ses entreprises. L’action de Tesla a grimpé. Certains pensent que Tesla pourrait bénéficier d’une réglementation plus légère autour des véhicules autonomes. Mais Elon Musk sait qu’il faut que les gens aient réellement confiance dans ses voitures, donc je ne suis pas sûr que cela soit une motivation forte pour lui. Il a également des contrats gouvernementaux pour Starlink et SpaceX. Il y aura probablement des conflits d’intérêts. Il semble qu’il ait poussé la nomination de Troy Meink au poste de secrétaire d’Etat à l’armée de l’air. Cela suggère un intérêt plus marqué de l’administration pour l’espace. Enfin, Musk pourrait certainement bénéficier, comme beaucoup d’autres entrepreneurs technologiques, d’un assouplissement de la réglementation du travail ou de celle entourant les cryptomonnaies. Mais il n’est pas aussi préoccupé par la réglementation que les Big Tech. Et si ces dernières devaient être démantelées, il ne verserait pas une larme. Un clash entre Elon Musk et Donald Trump pourrait se produire sur un sujet, selon moi : l’électrification. Musk continuera certainement à plaider en faveur de cela. Or le sujet n’intéresse pas du tout le président américain – c’est d’ailleurs dommage.

La stature politique d’Elon Musk pourrait-elle nuire à ses entreprises ?

Beaucoup de travailleurs de la tech, y compris des ingénieurs de grande valeur, sont plutôt de gauche. Une partie d’entre eux pourrait donc en effet ne pas vouloir travailler dans ses entreprises ou se sentir moins motivés par ses postures. S’il va trop loin sur certains sujets nationaux ou internationaux et que cela entraîne des retombées négatives importantes pour la population – par exemple en matière de sécurité sociale ou de surveillance des données ; si ses actions et celles du président génèrent de l’inflation, certains consommateurs risquent de se détourner de ses produits.

En décembre, Elon Musk a démoli sur X un accord budgétaire bipartisan, envoyant plus de 150 tweets agressifs en une journée pour faire reculer les républicains. Une telle action ne va-t-elle pas susciter l’hostilité du camp Trump ?

Donald Trump et Elon Musk usent de la même tactique : viser Mars pour atteindre au moins la Lune. Ils font de grandes déclarations, menacent les gens, puis font légèrement marche arrière. Cela leur permet, mine de rien, de gagner beaucoup de terrain.

La fortune d’Elon Musk est-elle un atout pour Donald Trump ?

Elon Musk a déjà fait don de 120 millions de dollars à la campagne de Donald Trump. Ce dernier est très doué pour rallier à lui d’autres milliardaires. Il est très doué pour utiliser des leviers plutôt que l’argent ou, du moins, pas son argent. Ce qui compte pour Trump n’est pas tant d’être riche que d’être puissant. Mais l’argent d’Elon Musk l’aide à mettre les choses en mouvement et à faire sauter certains verrous.

L’Express

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