Deux livres de poésie pour enfants pour les changer de la récitation

Jacques Prévert, Maurice Carême, voire Francis Ponge… Des générations d’écoliers ont eu entre leurs mains (puis dans leur bouche) des vers de ces quelques poètes. Mais guère plus. Et pour cause, la poésie reste dans les programmes scolaires du primaire un outil pour apprendre à oraliser et mémoriser des textes. Ainsi, la récitation est mise au service de la maîtrise de l’expression orale tout en donnant un autre aperçu des formes littéraires. Le choix des poèmes pour constituer une liste est en revanche laissé à l’instituteur selon le principe de la liberté pédagogique. Mais encore faut-il que les professeurs aient un intérêt eux-mêmes pour la poésie, notamment contemporaine. Ce qui n’incite pas vraiment au renouvellement. Or, deux recueils parus ces derniers mois le démontrent une nouvelle fois : oui, la poésie contemporaine peut s’adresser aux plus jeunes, bien avant 10 ans ; oui, elle présente une diversité de thèmes et d’approches, déjà implantées dans des collections dédiées d’éditeurs indépendants (LansKine, Bruno Doucey, Lurlure et autres).

Le premier, Poèmes joue ! Joue ! paru en fin d’année 2024 aux éditions de la Boucherie littéraire, se présente comme un carnet ludique qui invite à l’écriture et même au coloriage. Son auteur, Julien Bucci, poète, comédien et bibliothérapeute, fondateur du Serveur vocal poétique, propose des textes accessibles comme autant d’initiations à ce que peuvent provoquer les mots. Exemple avec ce «poème à retenir», polysémique : «Je connais ce poème / par cœur / parce que / par ce cœur / j’ai pu le respirer / mot à mot / jusqu’à le faire passer / dans tout mon corps / par cœur.» Le cahier est par ailleurs illustré par Rose Bucci.

Le second, Bonjour poésies, paru en janvier aux éditions On ne compte pas pour du beurre, invite, lui, treize poétesses contemporaines incontournables (de Lisette Lombé à Laura Vazquez, de Nathalie Quintane à Rim Battal) à écrire un poème qu’elles «aurai [ent] aimer lire enfant». Cette micro-anthologie superbement illustrée par Clémence Monnet donne à voir à la fois ce qui se fait de mieux en termes d’écritures poétiques aujourd’hui (au pluriel, compte tenu justement de leur diversité) et ce qui pourrait être fait en matière de poésie jeunesse au-delà des formes traditionnelles. Façon de montrer qu’on peut faire lire de la poésie aux enfants sans les prendre ni pour des grands ni pour des glands.

Un souffle de saisons, par Hélène Dorion (dans Boujour poésies)

Tu entends la musique

des premiers pas

une vie déjà

qui tissent deux visages

dans l’amour et l’émerveillement

bientôt tes premiers mots

dessinent ta maison et un soleil

dans le jardin de tes jeux

ce monde où résonnent d’autres pas

à travers le souffle des saisons

tu vois les bourgeons

devenir feuilles et fleurs

et fruit dans lequel plus tard

tu croqueras soudain

le rideau de ton enfance

se referme

jusqu’à l’adolescence

remplie de rêves et de révoltes

chaque soir entre les murs

de ta chambre la vie

comme une musique résonne

avec la danse blessée des heures

à l’intérieur de soi

surgit vaste

le monde des mots

que tu cueilles dans les livres

et d’autres histoires

rêvent aussi

défrichent le clair chemin

jusqu’à l’âge où enfin

tu seras adulte

au milieu des joies et des pluies

l’aventure de saisons

qui s’enroulent comme

feuille s’ouvrent comme bourgeon

fleur du printemps

et le fruit mûr de l’été

tombe de la branche

pour nourrir l’automne à venir

ta vie sera ce paysage

sans cesse recréé

un poème dans ton cœur

la neige lente et légère

qui raconte le temps précieux.