Que sait-on de la libération d’Ibrahim al-Shawish, un détenu palestinien très affaibli qui accuse Israël de torture ?

Que sait-on de la libération d’Ibrahim al-Shawish, un détenu palestinien très affaibli qui accuse Israël de torture ?

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Le 8 février, jour de libération de 183 prisonniers et détenus palestiniens retenus par Israël, un homme est filmé par les équipes de l’agence de presse palestinienne SAFA, affiliée au Hamas. Sur un lit d’hôpital, le visage déformé par la maigreur, les joues fortement creusées, il se présente : «Je suis le détenu Ibrahim Mohammad Khaleel al-Shawish, habitant du nord de Gaza, à Beit Hanoun. J’ai été arrêté dans un camp de déplacés au nord le 12 décembre 2023.»

La scène se déroule à l’hôpital européen de Khan Younès, où les prisonniers palestiniens ont été relâchés. Le récit de sa détention, pendant près de quatorze mois, est rude : «J’ai d’abord été détenu dans ce que l’on appelle des baraquements à la frontière, où j’ai subi des formes de torture indescriptibles.» La vidéo montre alors les pieds et les mollets amaigris et recouverts de bleus de l’ancien détenu. «Pendant quarante-cinq jours, j’ai eu les yeux bandés et j’étais à genoux. La même posture que celle que l’on adopte pour prier Dieu tout-puissant, les yeux bandés et en étant enchaîné. On dormait les mains menottées. Ensuite, j’ai été transporté au Naqab [prison du désert de Néguev, ndlr]. Dans la prison du Naqab, toutes sortes de tortures sont pratiquées. Toutes les formes de torture auxquelles vous pouvez penser s’y trouvent. Comme je vous l’ai dit, ils nous infligeaient des décharges électriques. L’électricité était utilisée pour la torture. En outre, des chiens étaient utilisés pour la torture.»

Initialement diffusée en arabe, le 8 février, la vidéo a été rapidement sous-titrée en anglais et reprise par de nombreux médias arabes, parmi lesquels la chaîne qatarie internationale Al-Jazeera. Devenu viral, le témoignage du détenu est souvent brandi par des commentateurs pro-palestiniens pour répondre à des Israéliens partageant, quant à eux, les images de trois otages masculins apparus eux aussi très amaigris lors de leur libération par le Hamas, le 7 février.

D’autres photographies des blessures d’Ibrahim al-Shawish sont également partagées.

Dès le jour de sa libération, le montage ci-dessous, montrant Ibrahim al-Shawish avant et après sa détention, est partagé sur les réseaux sociaux. Sur la première image, à gauche, il apparaît bien portant. Ses traits, ceux d’un homme semble-t-il en bonne santé, contrastent avec le visage émacié montré par l’agence SAFA. Plusieurs témoignages publiés en arabe et en anglais, parfois copiés-collés, affirment que l’homme est un enseignant de Beit Hanoun, une ville située dans le nord de Gaza.

Une terrible métamorphose qui a provoqué une campagne de désinformation de la part d’internautes pro israéliens. Des publications, parfois vues des centaines de milliers de fois, assurent que l’homme filmé par l’agence SAFA «était soigné dans un hôpital israélien pour un cancer de l’estomac. Des médecins juifs et arabes le maintenaient en vie». Ou encore, qu’Ibrahim al-Shawish serait en réalité un chauffeur de taxi qui avait été poignardé à Jérusalem, il y a plusieurs années.

D’autres internautes affirment que cet homme n’est pas un détenu palestinien, puisque son nom ne figure pas dans la liste des 735 détenus et prisonniers, publiée par le ministère de la justice suite à l’accord de cessez-le-feu conclu entre Israël et le Hamas. Or cette liste ne présente pas les noms des 1 167 Palestiniens arrêtés dans la bande de Gaza depuis le début du conflit et qui doivent être également libérés dans le cadre de l’accord. De fait, Ibrahim al-Shawish indique avoir été arrêté le 12 décembre 2023 dans le nord de Gaza.

CheckNews a reconstitué un faisceau d’indices permettant d’affirmer qu’il s’agit bien du même homme, sorti considérablement affaibli des geôles israéliennes.

D’abord, le nom d’Ibrahim al-Shawish apparaît bien sur deux listes publiées la veille de sa libération par des organisations palestiniennes de soutien aux prisonniers. Sur un document du Bureau des médias des prisonniers, son nom complet Ibrahim Mohammad Khaleel al-Shawish apparaît à la ligne 108, où sa date de naissance, le 18 décembre 1981 est détaillée. On y lit également qu’il est originaire du gouvernorat du Nord de Gaza, ce qui correspond à ses déclarations à l’hôpital. Son nom complet apparaît également sur cette autre liste en position 59.

Ensuite, parmi les réactions à la libération d’Ibrahim al-Shawish figure notamment celle du journaliste palestinien d’Al-Jazeera Mohamed Alzanin. Ce dernier diffuse de nouvelles images montrant l’ancien détenu devant un tableau noir d’école, ou devant des élèves. Le journaliste écrit qu’il «[connaît] très bien M. Ibrahim al-Shawish (Al-Zaanin). Notre maison n’est qu’à quelques mètres de la sienne, et il a été mon professeur au lycée, comme beaucoup d’étudiants à Beit Hanoun.»

Joint par CheckNews, Mohamed Alzanin nous a transmis des liens vers les profils Facebook d’Ibrahim al-Shawish et de son employeur, l’école secondaire pour garçons Ghazi Al Shawa, située à Beit Hanoun. Cet établissement scolaire présente en effet Al-Shawish dans de nombreuses publications comme un enseignant, occupant également le poste de codirecteur. De nombreuses photographies, parfois prises quelques jours seulement avant l’attaque du 7 octobre 2023 et le début de l’offensive israélienne, permettent d’observer sa bonne condition physique. Sur cette image, le tableau indique la date du samedi 30 septembre 2023.

En comparant les photographies de l’enseignant et du prisonnier, on peut reconnaître plusieurs caractéristiques physiques communes : le même grain de beauté au coin du sourcil gauche, la même forme de l’oreille gauche, les mêmes dentition et implantation capillaire.

CheckNews n’a pas été en mesure de joindre Ibrahim al-Shawish. Nous avons cependant sollicité plusieurs de ses contacts sur Facebook. Un voisin et un ancien élève confirment tous les deux que l’enseignant et le prisonnier sont la même personne.

Sur d’autres publications partagées sur Facebook, montrant les images avant et après sa détention, le directeur de son établissement scolaire lui souhaite «que Dieu lui accorde le rétablissement», tandis qu’un autre ancien élève et un homme portant le même nom de famille partagent le montage confirmant qu’il s’agit bien de l’enseignant. Auprès de CheckNews, le journaliste Mohamed Alzanin indique que le nom de famille d’Ibrahim al-Shawish est une branche de la famille Al-Zanin. Dès samedi, le compte Facebook «Alzaneen Sons», dédié à cette famille de Gaza, avait partagé une image du professeur pour annoncer sa libération des geôles israéliennes.

Enfin, contactée par CheckNews, l’ambassade d’Israël en France confirme qu’Ibrahim al-Shawish fait bien partie des Palestiniens qui ont été libérés en échange d’otages israéliens. Elle nous a transmis cette photographie «prise le jour de sa libération» par l’autorité d’incarcération israélienne. En dépit de l’apparence physique de l’homme, elle ajoute que le bilan médical d’Ibrahim al-Shawish «était bon au moment de sa libération».

L’ambassade israélienne considère que les images d’Ibrahim al-Shawish diffusées par les médias arabes font partie d’une «manipulation», orchestrée par «la propagande du Hamas» qui cherche à «créer une macabre comparaison entre les otages civils israéliens libérés après quinze mois passés dans des conditions inhumaines dans les tunnels de Gaza et les prisonniers palestiniens libérés. Ils essayent de justifier l’horreur qu’ils ont imposée à nos otages civils, qui ont entre 2 et 86 ans, nous ne tolérons pas et n’acceptons pas un tel parallèle».

Interrogée sur les accusations de torture formulées par Ibrahim al-Shawish et la détérioration de sa condition physique, l’administration pénitentiaire israélienne nous a renvoyés vers la diplomatie israélienne. L’ambassade ne nous a pas répondu sur ce point. Aucune des deux institutions interrogées n’ont communiqué sur les raisons de son incarcération.

Libération

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