Election américaine 2024 : Dans cette clinique d’avortement du Colorado, « on mène un combat pour la vie des femmes »

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A Boulder, Colorado

Arrivée sur Alpine Avenue, non loin du centre de Boulder, un grand parking s’étend devant un bâtiment discret. Un petit écriteau indique le numéro de l’immeuble, à peine visible, et l’entrée se trouve dans une contre-allée quelque peu cachée. C’est ici, à la Boulder Abortion Clinic, que se déroule une part essentielle de la lutte pour les droits reproductifs du Colorado, et des Etats-Unis dans leur ensemble. Après avoir franchi quatre portes blindées et présenté une pièce d’identité, un masque est fourni et les consignes de sécurité sont strictes : interdiction d’ouvrir à quiconque, afin de protéger la sécurité de tous. Dans la salle d’attente, des panneaux rappellent que l’anonymat et la protection sont primordiaux. Interdiction formelle, aussi, d’utiliser son téléphone.

L'entrée de la clinique du Docteur Hern est cachée. L'objectif ? Protéger les patientes qui sont régulièrement harcelées par des manifestants anti-avortement.
L’entrée de la clinique du Docteur Hern est cachée. L’objectif ? Protéger les patientes qui sont régulièrement harcelées par des manifestants anti-avortement. - Anne-Fleur Andrle

C’est dans ce cadre empreint de tension et de détermination que le docteur Warren Hern exerce son métier depuis l’ouverture de sa clinique, dans les années 1970. Un « métier vocation » dans lequel il s’engage quotidiennement à défendre le droit des femmes à disposer de leur corps. La retraite ? Ce n’est pas à l’ordre du jour pour le médecin, qui forme de jeunes praticiens pour assurer la relève – enfin, pas pour tout de suite. « Peut-être en 2065, soit cent ans après l’obtention de mon diplôme. Mais je ne sais pas si j’y arriverais », sourit-il. Alors que les droits reproductifs des femmes sont au cœur des débats pour la présidentielle, le docteur Hern nous reçoit dans ses bureaux. Et ses paroles résonnent comme un cri de ralliement.

Le Colorado, refuge depuis 1967

C’est ici, au cœur du Colorado, que le Docteur Hern a reçu son diplôme dans les années 1960. Et dès son internat, il lui est apparu évident qu’il devait s’engager pour les droits des femmes à disposer de leur corps. Sur la question, le Colorado est considéré comme un « refuge ». Et ce statut ne date pas d’hier, puisqu’il a été le premier État à décriminaliser l’avortement – sous certaines conditions – dès 1967. En 2024, deux ans après la révocation du droit fédéral à l’avortement Roe v. Wade, les législateurs de l’État vont profiter du scrutin présidentiel le 5 novembre pour poser une question fondamentale aux électeurs de l’Etat, les invitant à se prononcer sur l’inscription de ce droit fondamental dans la Constitution du Colorado. Si actuellement, dans ce territoire, il n’existe aucune limite quant au moment où une femme peut avorter, moins de 1 % des avortements s’y déroulent après 25 semaines de grossesse. Et la clinique du Docteur Hern est l’une des cinq du pays à accueillir les femmes nécessitant des avortements dans le troisième trimestre de leur grossesse.

Depuis 2022, la clinique du docteur Hern est submergée par la demande, à tel point qu’il est difficile de recevoir toutes les patientes qui en ont besoin. « De nombreuses femmes parcourent des centaines, voire des milliers de kilomètres, et entament des voyages très longs pour accéder à nos services, explique le médecin octogénaire. Pour elles, ce n’est pas un simple rendez-vous médical mais un voyage de survie. »

« L'avortement à l'âge de la déraison, le témoignage d'un médecin qui soigne les femmes avant et après Roe v. Wade » est le nouveau livre du Dr. Warren Hern (Ed. Routledge)
« L’avortement à l’âge de la déraison, le témoignage d’un médecin qui soigne les femmes avant et après Roe v. Wade » est le nouveau livre du Dr. Warren Hern (Ed. Routledge) - Anne-Fleur Andrle

L’idée de voir le Colorado comme un refuge prend ici tout son sens : « 50 % de mes patientes viennent d’États comme l’Oklahoma, la Louisiane, l’Arkansas, et d’autres qui ont interdit l’accès à l’avortement ». Le principal contingent – un tiers des patientes « extérieures » – vient quant à lui du Texas. La faute en partie au Texas Heartbeat Act (SB 8), lequel interdit l’avortement après la détection d’une activité cardiaque embryonnaire ou fœtale (généralement autour de six semaines de grossesse). Outre l’interdiction d’avorter, cette loi entrée en vigueur en 2021 permet à des citoyens lambda de poursuivre en justice toute personne aidant ou réalisant un avortement illégal. Et même si la loi a été déclarée inconstitutionnelle, les prestataires d’avortement sont restés conformes à SB 8 par crainte de poursuites civiles ultérieures.

Le « succès » de cette loi a encouragé d’autres États, comme l’Oklahoma et l’Idaho, à adopter des règles similaires. « En plus des délais de prise en charge inhérents au fait que ces femmes doivent consulter dans d’autres Etats, elles ont peur de rentrer chez elles, peur d’aller voir un autre médecin pour un examen de suivi, peur d’être arrêtées et emprisonnées », souligne Warren Hern.

« C’est l’un des principaux enjeux de l’élection »

À l’approche du 5 novembre, l’inquiétude grandit. « La société américaine est profondément divisée sur la question de l’avortement, reprend le praticien, et c’est un des principaux enjeux électoraux ». Une polarisation qui, selon lui, entraîne une perception erronée des femmes et de leur autonomie. « Il est essentiel de recentrer le débat sur le bien-être des femmes plutôt que de se focaliser uniquement sur le fœtus. »

Un débat aux conséquences très concrètes. « Prenons l’exemple de cette patiente qui vit au Texas. Elle n’a pas pu obtenir de pilule contraceptive parce que le gouvernement de l’État a fermé le planning familial. Elle est tombée enceinte et n’a pas pu avoir accès à un avortement là-bas. Quand elle s’est tournée vers d’autres Etats, elle n’avait pas l’argent pour partir, pour prendre l’avion ou même le bus, et elle a dû garder le bébé. » Une réalité désespérante à laquelle de nombreuses femmes sont confrontées, souvent dans des conditions d’extrême précarité.

Avec tous ses diplômes accrochés au mur derrière lui, Dr. Warren Hern fait entendre sa voix pour défendre les droits des femmes à l'avortement dans le Colorado.
Avec tous ses diplômes accrochés au mur derrière lui, Dr. Warren Hern fait entendre sa voix pour défendre les droits des femmes à l’avortement dans le Colorado. - Anne-Fleur Andrle

« Nous ne sommes pas inquiets, nous sommes terrifiés »

Passer la porte de la Boulder Abortion Clinic, c’est donc comprendre à quel point la lutte pour les droits des femmes aux Etats-Unis est un combat de chaque instant. « Depuis cinquante ans, la droite radicale religieuse et les chrétiens évangéliques cherchent à renverser Roe v. Wade. Et comme ils composent en majorité l’électorat de droite, tous les efforts électoraux des républicains ont été dirigés vers cet objectif » souligne le Docteur Hern, ajoutant que « les démocrates n’ont pas pris ces efforts au sérieux. »

Que changerait le retour de Donald Trump au pouvoir pour la clinique ? « Nous ne sommes pas inquiets, nous sommes terrifiés à l’idée qu’il revienne. Il mettra en œuvre un programme qui ne se limitera pas à réduire les droits des femmes, mais qui pourrait également menacer d’autres libertés fondamentales, » prévient le soignant. « C’est un tournant, une question de démocratie ou de dictature. » Un enjeu tel que la question de ce qui arrivera à sa clinique est finalement « assez triviale ».

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« Il ne s’agit pas de justifier l’avortement, mais de garantir la survie de la femme »

Au fil de la conversation, Warren Hern égraine les exemples qui prouvent – s’il est encore besoin – que derrière chaque statistique sur l’avortement, se cache un parcours de vie. Comme cette jeune femme de l’Ohio. Avec un placenta déchiré, elle se retrouve à l’hôpital, mais on lui refuse le traitement dont elle a besoin. Après plusieurs refus, elle finit par accoucher seule, dans des conditions horribles, et l’État la poursuit même en justice pour « abus de cadavre ».

Il y a aussi les patientes ayant des grossesses extra-utérines, une complication mortelle pour laquelle le seul soin est l’avortement. « Quand une patiente présente une complication grave comme celle-ci, chaque minute compte. Pourtant, dans certains États, on n’autorise pas le traitement d’une grossesse extra-utérine. Alors on vous fait attendre jusqu’à ce que votre état se dégrade de manière dramatique… parfois jusqu’à ce qu’il soit trop tard. » Pour Warren Hern, ce sont des urgences de santé publique. « Il ne s’agit pas de justifier l’avortement, mais de garantir la survie de la femme », insiste-t-il encore.

« Je ne suis en sécurité que lorsque personne ne sait où je suis »

Depuis le début de sa carrière, Warren Hern fait face à des menaces de mort. « Deux semaines après l’ouverture de la première clinique d’avortement à but non lucratif dans le Colorado, en novembre 1973, j’ai commencé à recevoir des menaces. Je ne me suis jamais senti en sécurité depuis. Les seuls moments où je peux être raisonnablement en sécurité, c’est quand je suis hors du pays ou que personne ne sait où je suis. »

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Le médecin est conscient des sacrifices imposés par ses positions : « C’est dur pour tout le monde autour de moi, ma famille, mes collègues, mes amis, mon personnel. Les membres du mouvement anti-avortement détestent la liberté et sont très contrariés quand je les dénonce. La solution est pourtant simple : laissez-moi tranquille ainsi que mes patientes, faites autre chose de votre vie ! ». Une consigne pas à l’ordre du jour des manifestants qui affluent des villes voisines tous les mardis, jour d’admission des nouvelles patientes à la Boulder Abortion Clinic. Des journées au cours desquelles le docteur Hern n’approche pas de la porte d’entrée de la clinique. « Trop dangereux. »

20 Minutes

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