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D’un côté, Madame Annick G., 52 ans dont vingt-neuf à l’Education nationale, dit qu’elle a perdu pied. Elle cède vite sous le poids de ses larmes ce vendredi 21 février, devant la quinzième chambre du tribunal correctionnel de Paris. L’institutrice est jugée pour avoir volontairement commis des violences avec les circonstances aggravantes qu’elles ont été commises «sur un mineur de moins de quinze ans», «dans un établissement scolaire» et «par une personne chargée d’une mission de service public». De l’autre, une mère, venue porter la parole de sa fille, trois ans à l’époque des faits, «toujours suivie par un psychologue», et désormais scolarisée dans une autre école.
Le 3 septembre 2024, au matin de son deuxième jour en petite section de maternelle dans une école du XVe arrondissement de Paris, l’enfant, en pleurs, a été frappée au niveau du dos par Annick G.. La scène, filmée par une autre parent d’élève, a défilé pendant des jours sur les chaînes d’infos et les réseaux sociaux. La maman de la petite-fille assure qu’elle était «calme», «normale», au moment où elle l’a déposée à l’école et que «toute la famille» (elle a trois grands frères) a été «traumatisée» par ce qu’il s’est passé. Par la voix de son avocate, elle demande 4 000 euros pour le préjudice physique et 15 000 pour le préjudice psychologique. Le tribunal a été un peu plus clément que le parquet, qui avait requis quatre mois de prison avec sursis, et a calmé les ardeurs de la partie civile. Annick G. a été condamnée à 3 000 euros d’amende, dont la moitié avec sursis et devra verser 1 600 euros de dommages et intérêts à la victime, ainsi que 1 000 euros à sa mère. Les trois juges ont par ailleurs décidé de ne pas inscrire cette condamnation à son casier judiciaire.
La quinquagénaire au brushing soigné, jean slim et chemise assortie, dit «regretter profondément» son geste et ne cherche à le minimiser à aucun moment. Ce jour-là, alors qu’elle accueille 29 marmots, trois de plus que ce qui était prévu la veille, la faute «aux inscriptions de dernière minute», dont deux en situation de handicap, la jeune élève violentée de ses élèves «entre dans une crise d’une intensité exceptionnelle». «Je n’avais jamais vu ça de ma carrière […] elle a pris une chaise et l’a lancée très violemment vers le plafond […] J’ai pris peur. J’avais peur qu’elle se blesse, ou blesse un autre enfant. […] Et là, j’ai perdu mon sang-froid, j’ai perdu mes moyens.» En voulant lui donner «une tape sur les fesses», Annick G. frappe violemment l’enfant au niveau du dos. Puis s’empare d’un vaporisateur d’eau «fourni par la mairie de Paris en cas de canicule», pensant pouvoir «la rafraîchir et la calmer». «Mais ça n’a pas du tout marché.»
«J’ai tout de suite réalisé que j’ai commis une faute professionnelle grave», dit-elle en sanglotant. Elle ne savait pas qu’elle était filmée. Elle dit qu’elle était tellement «honteuse», qu’elle a préféré n’en parler à personne, ni à sa famille, encore moins à directrice, ou à ses collègues. Elle travaille depuis vingt ans dans cette école parisienne «très difficile», qui accueille les enfants d’une cité enclavée et délaissées de l’Ouest parisien. L’établissement ne fait pas partie du réseau d’éducation prioritaire et «les conditions de travail se dégradent d’années en années». La veille de la rentrée, Annick G., avait appris le décès d’un proche et s’inquiétait de ses récents problèmes de santé. «Je n’aurais pas dû venir travailler ce jour-là. Mais à Paris, quand on est absents on n’est jamais remplacés. Je risquais de mettre mes collègues et la directrice dans la panade. J’y suis allée, mais j’ai peut-être surestimé mon état.»
L’institutrice, suspendue depuis les faits, a entamé dès cet automne un suivi psychologique pour tenter de comprendre sa réaction. La publication de la vidéo et le «tsunami médiatique» qui a suivi ont laissé des traces. «Vous auriez dû vous mettre à hauteur d’enfant, regrette l’avocate de la partie civile au cours de ses questions. Dire [à la fillette] : ne t’inquiète pas, je sais que c’est difficile, mais ta maman va revenir.» Pour elle, «cet acte de violence ne peut être isolé». «Une caméra se serait trouvée là la seule fois [où cela se passait ?]» L’avocat de la défense, Me Laurent Hazan, soulignera de son côté «les dizaines d’attestations décrivant [sa cliente] comme une super enseignante, une super collègue, une mère de famille dévouée». «Personne n’est venu dire qu’elle avait un jour posé problème.» Un signalement pour des gestes déplacés a bien été effectué en 2012, par une autre parent d’élève, la professeure a bien été reçue par la directrice de l’époque, mais il n’y a pas eu de suite. «Aucun autre parent n’est venu se plaindre de quoi que ce soit», insiste encore son avocat. Annick G. voudrait «reprendre un poste», «continuer à être professeure mais pas dans des conditions aussi difficiles.» Elle dit qu’elle pense beaucoup à la petite fille qu’elle a frappé ce jour-là. Et qu’elle aspire, comme, comme pour l’enfant, à un «retour à une vie normale», et à «l’anonymat». Malgré ses demandes d’indemnités exorbitantes au cours du procès, l’avocate de la partie civile a estimé que «justice a été rendue».
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