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En plein cœur de la cité portuaire du Havre (Seine-Maritime), Danton est un quartier en cours de gentrification. A la place de l’ancienne prison de 390 détenus, détruite en 2012, un centre culturel, un parc, une auberge de jeunesse et sa halle gourmande attirent désormais étudiants et jeunes parents. Un restaurant branché, un espace de «coworking» et une librairie indépendante se partagent une clientèle de plus en plus aisée ; des jeunes actifs, des profs, des graphistes. Si la majorité des travailleuses du sexe, des junkies et des naufragés du capitalisme qui y vivaient ont plié bagage, le quartier reste encore un des rares espaces de mixité sociale de la ville.
Philippe Costes a tout de suite eu un coup de cœur pour ce lieu vivant entre le port et la ville. C’est là qu’il a voulu nicher son projet de cantine et de tablées de quartier. Après vingt-cinq années d’enseignement dans les quartiers prioritaires de la ville, où il privilégiait une pédagogie alternative et le travail coopératif, le sexagénaire a entamé une reconversion vers la cuisine en 2012 après avoir été marqué par le documentaire Nos enfants nous accuseront, de Jean-Paul Jaud, qui rappelle combien l’assiette est un enjeu d’avenir. Inspiré par le mouvement des cuisines nourricières, qui promeut une convergence des forces du producteur au client des restaurants, il décide, après plusieurs années d’apprentissage auprès de chefs reconnus, de s’orienter vers la cuisine de cantine. «Sur le territoire du Havre, il existe un vrai effet d’entraide avec des exploitations en maraîchage bio qui font dans le chantier d’insertion [comme Graine en main, ndlr] ou qui produisent sur sol vivant [telle la Petite Surface] et des restaurants et lieux travaillant dans le même esprit.»
La Dantine, une cantine sociale pensée par Philippe Costes et deux partenaires, a une visée double : proposer aux habitants et travailleurs de Danton un espace où manger des produits à la fois bons et pas chers, afin de se détourner collectivement de la malbouffe, synonyme encore, pour beaucoup, de satiété bon marché. «Notre projet était de réunir les gens autour de la table, alors que deux Français sur cinq souffrent de solitude, de proposer un concept de restauration “4.0” avec circuit court, biodéchets, utilisation de la consigne [avec la start-up La Consigne havraise] et accessibilité des prix», détaille-t-il. De déconvenues immobilières en nouvelles rencontres, le projet se transforme : «J’ai créé le concept des tablées de quartiers en 2022. Il s’agissait cette fois de réunir autour d’une grande table une dizaine d’habitants, de 10 ans à 80 ans, et en trois heures de cuisine, de sortir cinquante couverts, entrée-plat-dessert, avec du végétal et des légumineuses cuisinées autrement. Tout le monde se sert dans des soupières. Pendant le repas, je fais une petite présentation pour expliquer ce que sont les AOP, les circuits courts, on présente les producteurs… Tout ça pour une petite enveloppe de 10, 12 ou 16 euros, suivant les bourses [moitié prix pour les étudiants et les enfants].»
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Après vingt-cinq tablées test, affichant toutes complet, l’idée circule dans l’agglomération et tous les mois, de nouveaux passionnés du «cuisiner ensemble» se retrouvent au Hangar zéro, tiers-lieu doté d’un chantier d’insertion et d’une ferme d’aquaponie, un système de production durable qui unit la culture de plantes et l’élevage de poissons. Le concept est également décliné en tablée de familles réunissant une quinzaine de parents et d’enfants, en tablées d’entreprises et bientôt en tablées de village.
En 2025, l’esprit de la Dantine et des tablées de quartier va finalement prendre corps au cœur du quartier Danton, dans un ancien centre social. Truelles et pelleteuses travaillent d’arrache-pied pour qu’au printemps, naisse une boutique du Producteur local, une coopérative de quelque 200 producteurs, et une cantine de quartier. Un partenariat riche, selon Philippe Costes : «Les gens pourront manger bien et pas cher le midi, avec les produits qui seront dans les étals, livrés par les producteurs… Et le week-end, ils pourront s’inscrire à des ateliers.» Un concept qui arrivera également à Rouen en avril, dans le quartier du Bois-Guillaume.
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