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Interpellé au sujet des airbags défectueux de Takata lors des questions au gouvernement à l’Assemblée mercredi 19 février, le ministre des Transports, Philippe Tabarot, a assuré avoir «pressé les constructeurs pour agir». Répondant à une question de la députée réunionnaise Karine Lebon (GDR), un territoire ultramarin particulièrement touché par ce problème comme tous les départements d’outre-mer, il a également affirmé que «rien n’est exclu» en matière de «sanctions de l’Etat» contre les constructeurs.
Cette déclaration intervient deux jours après que Citroën a annoncé que 236 900 véhicules de la marque vendus entre 2008 et 2013 dans le nord de la France, équipés d’airbags provenant du fournisseur japonais Takata, étaient visés par une campagne de rappel. Il est précisé que les voitures concernées – plus de 2,3 millions doivent encore faire l’objet d’un remplacement – ne doivent absolument plus être utilisées avant d’avoir été réparées. Une mesure de sécurité pour remplacer un équipement défectueux qui a coûté la vie à au moins douze personnes en France selon le ministère des Transports.
Le défaut de ces airbags réside dans une petite cartouche de nitrate d’ammonium censée gonfler le coussin lors d’un impact et dans le manque d’étanchéité de la capsule de ces airbags. Cette méthode a permis à l’entreprise japonaise d’être compétitive et de conquérir 20 % du marché mondial des airbags. Ce composant peut cependant mal vieillir, surtout dans les zones humides et chaudes, provoquant une explosion trop puissante et incontrôlée de l’airbag lors d’un accident. Une pièce peut alors éclater et envoyer des bouts métalliques à haute vitesse contre le conducteur.
En 2013, des constructeurs comme Nissan, Toyota ou BMW prennent conscience que leurs airbags sont défectueux et mettent en place des premières campagnes de rappels de véhicules à travers le monde. Honda, premier client de l’équipementier avait même décidé d’un rappel dès 2008. Mais c’est en 2014 que deux lanceurs d’alertes américains, ingénieurs de Takata, révèlent que l’entreprise japonaise cache depuis plusieurs années les mauvais résultats de tests de ses airbags et qu’elle était au courant dès «2000, [que] des capsules explosaient dans la chambre forte [du] laboratoire», a affirmé à Radio France, David Schumann, un des deux lanceurs d’alerte.
Reconnaissant avoir dissimulé ce défaut majeur, l’entreprise plaide coupable en 2017 de fraude. Acculée par les amendes, dont une d’un milliard de dollars aux Etats-Unis, et la perte de ses clients, Takata fait faillite et dépose le bilan cette année-là. Certains constructeurs remplacent alors petit à petit les airbags de la marque, mais d’autres continuent malgré tout de les installer sur plusieurs de leurs modèles, notamment Citroën avec les C3 et les DS3, jusqu’en 2019.
S’il est difficile d’avoir un décompte exact des morts liées aux airbags défectueux, il apparaît clairement que la majorité des accidents sont intervenus en outre-mer où le climat est plus chaud et humide. Ainsi d’après le ministère des Transports, sur les 30 accidents survenus sur le territoire français, 28 ont eu lieu dans les départements et régions d’outre-mer, et sur les 12 morts, 11 étaient en outre-mer. Quand Radio France, dans son enquête publiée début janvier, évoque 15 personnes tuées, dont 14 en outre-mer. Et depuis, un homme, au volant d’une Honda Jazz de 2003, est décédé dans la nuit du 30 au 31 janvier à la Réunion – un airbag Takata est mis en cause.
Presque toutes les marques ont été touchées par ce scandale. Les groupes Honda, Toyota, Volkswagen, Stellantis, Nissan, Tesla, Ford, BMW ou Ferrari ont rappelé des véhicules par dizaines de millions pour changer leurs airbags à travers le monde. C’est également le cas en France. Mais, Citroën est pointé du doigt pour avoir particulièrement tardé avant de réagir. Stellantis, maison mère de la marque, se défend en affirmant que Takata avait assuré qu’il n’y avait «pas de problème» sur les airbags produits en Europe.
Dans un premier temps, le constructeur français se tourne vers les Antilles pour une première campagne de rappel lancée mi-2020. Mais à la suite de la mort d’un homme au volant d’une C3 dans les Hautes-Pyrénées en novembre 2023, et alors que les accidents se succèdent, Stellantis décide finalement de prendre une mesure de plus grande ampleur. Le groupe annonce le 17 mai 2024 un «stop drive» : 300 000 automobilistes, vivant dans les outre-mer ou au sud de la ligne Lyon-Clermont-Ferrand en France métropolitaine, reçoivent une lettre leur demandant d’arrêter de rouler immédiatement avec leur véhicule en évoquant un «risque de rupture» de leurs airbags «susceptible de provoquer des blessures graves, voire mortelles». Un «avertissement d’arrêt de conduite» également émis dans le sud de l’Europe et au Maghreb.
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Neuf mois plus tard, le 17 février 2025, c’était au tour de près de 237 000 propriétaires de Citroën C3 et de DS3 commercialisés entre 2008 et 2013 dans le nord de la France d’être appelés à ne plus conduire le temps que soient changés leurs airbags. Une décision, étendue à tout le reste de l’Europe, prise après avoir constaté quelques jours plus tôt «une dégradation des propriétés» du nitrate d’ammonium d’un coussin lors de nouveaux tests effectués sur une DS3 de 2013 à Nantes. Stellantis assure que seul ce test «sur la partie nord Europe» a présenté une «anomalie».
Face à cette situation, différentes actions ont été mises en place pour trouver des réponses à un scandale qui dure depuis plusieurs années. Des informations judiciaires ont été ouvertes en 2024 en Guadeloupe et en Guyane pour «homicides involontaires». L’avocat Charles-Henri Coppet, qui représente neuf familles de personnes décédées et onze blessés, demande pour sa part la mise en place d’une instruction unique sur le dossier.
C’est également le cas de Me Christophe Lèguevaques qui mène de son côté une action collective, regroupant à ce jour 2 700 automobilistes, contre Stellantis. «Ce sont des personnes qui étaient très mécontentes de la désorganisation globale liée au stop drive du sud de la France alors que cela fait onze ans maintenant que Citroën est informé de la dangerosité des airbags, explique l’avocat à Libération. C’était une calamité, rien n’était prévu. Nous avons des clients qui ont reçu des lettres en mai et qui ont vu leurs airbags être changés en décembre. Et pendant ce temps, on leur disait de ne pas utiliser le véhicule.» Il s’attend dorénavant à recueillir les plaintes de nouveaux clients et espère obtenir «la condamnation des responsables, que ce soit les entreprises ou les dirigeants, l’indemnisation des victimes et aussi une compensation financière pour ceux n’ayant pas pu utiliser leur véhicule pendant plusieurs semaines».
L’association de consommateurs, UFC-Que Choisir, a aussi annoncé porter plainte en janvier pour pratiques commerciales trompeuses contre Stellantis afin que «les consommateurs cessent d’être les victimes d’un laxisme industriel et institutionnel inacceptable». Des députés de tous bords politiques appellent à présent à la création d’une commission d’enquête parlementaire pour éclaircir les conditions de rappels des airbags défectueux.
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