Darya Bassel, productrice : «En Ukraine, les documentaires préservent la mémoire fragile dans la guerre»

Darya Bassel, productrice : «En Ukraine, les documentaires préservent la mémoire fragile dans la guerre»

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Cet article a été réalisé en partenariat avec Arte.

Trois ans. Trois ans de guerre et de larmes. De peur et de séparations. L’offensive lancée le 24 février 2022 par l’armée russe a plongé l’Ukraine dans une nuit sans fin, touchant autant les civils que les militaires. Pour marquer cet anniversaire, Arte présente une série de documentaires : «Génération Ukraine».

Cofondatrice en 2019 de la société Moon Man, qui produit des documentaires de création, des fictions et des films d’animation, investie depuis une dizaine d’années dans le festival Docudays, un rendez-vous promouvant les droits humains et les expériences filmiques, Darya Bassel est, à 40 ans, l’une des personnalités emblématiques de la nouvelle vague d’un cinéma vérité qui a émergé depuis la révolution de Maidan. Pour la série diffusée sur Arte, elle a produit Ukraine, la guerre ordinaire et coproduit Interceptés.

Quelles sont les traits communs et les ambitions de la jeune génération de documentaristes ?

Il est compliqué d’évaluer un mouvement aussi important quand on y est. Mais je pense que le plus important, c’est qu’il y a une génération de cinéastes dont la vie professionnelle a commencé avec Maidan – ils étaient étudiants en 2014 et beaucoup d’entre eux ont fait leurs premiers films sur cet événement – et dont toute la vie professionnelle a été liée aux révolutions, aux soulèvements, aux guerres et à leurs conséquences. De nombreux films ont été réalisés au cours de ces dix années, dans des genres très différents, y compris des comédies, mais je pense que ce qu’ils ont en commun, c’est leur lien à la guerre. Même des réflexions poétiques très intimes ont ce thème qui se profile à l’horizon.

La guerre s’est installée durablement… Comment témoigner de cette situation ?

C’est une période incroyablement difficile psychologiquement. Une question revient sans cesse : «Et si cette guerre durait toute notre vie ?» C’est une perspective effrayante. Nous nous efforçons de survivre, de protéger notre terre, notre peuple et nos valeurs – des valeurs qui ont toujours été au cœur de cette guerre. Et les documentaires jouent un rôle essentiel dans la préservation de cette mémoire fragile, en permettant aux générations futures de comprendre les réalités de ce conflit.

Il y a comme une banalité du mal, qui s’est insinuée au quotidien. N’est-ce pas finalement plus difficile d’en rendre compte que de documenter la violence des combats ?

Je pense qu’il est difficile de faire des films sur la guerre, surtout sur la guerre contre son propre peuple. Il y a tellement de raisons pour lesquelles c’est difficile. C’est très douloureux, dangereux, tant d’événements se produisent partout, en même temps, qu’il est facile de se perdre. Malgré tout, les réalisateurs de documentaires ukrainiens font un excellent travail. Je pense par exemple à Olha Zhurba, qui, au milieu du chaos des premiers mois de l’invasion à grande échelle, avait déjà une idée très claire de ce dont elle voulait parler dans son film Songs of Slow Burning Earth. Il s’agissait de l’état dans lequel [vous vous trouvez quand] toute votre vie s’est effondrée et que vous avez perdu vos repères.

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Mais imaginez que cela se produise non seulement à l’échelle d’un individu, mais de milliers d’individus, de toute la nation. Donc, bien sûr, ce film nécessitait de nombreuses histoires différentes provenant de plusieurs régions du pays, il ne s’agissait pas de se concentrer uniquement sur la ligne de front. A mesure que la guerre a évolué et que notre état psychologique s’est altéré, nous avons tous remarqué que ce qui se passait chez nous était une certaine normalisation de la guerre. Cela ne veut pas dire que ce n’est plus douloureux ou effrayant. Cela signifie simplement que certaines choses font partie de votre réalité, que la guerre fait partie de votre vie. C’est intégré psychologiquement. Elle sera là, avec nous, pour toujours.

Témoigner de la réalité, est-ce aussi une manière de se soigner ? Et documenter, une manière de ne pas oublier ?

Dès les premiers jours de travail sur ce projet, Olha [Zhurba] a dit que l’une de ses principales motivations était de documenter la réalité pour les générations futures. Afin qu’elles puissent comprendre comment ça s’est passé. L’armée russe a anéanti les musées ukrainiens, les monuments architecturaux et culturels. Elle a mis en place des organisations dans les territoires temporairement occupés pour militariser les enfants, les entraîner à devenir soldats et à rejoindre l’armée russe pour tuer des Ukrainiens. Dans cette réalité absurde et terrible, il est important de préserver et de renforcer les voix de la vérité.

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