Quoi de mieux que les corps-à-corps contemporains de Guillaume Bresson* pour entrer en résonance avec les grandes fresques de la conquête coloniale de l’Afrique du Nord installées au château de Versailles sous Louis-Philippe ? Dans les années 1830 et 1840, le monarque fait aménager des espaces consacrés aux “tableaux d’actualité” pour illustrer les faits d’armes en Algérie et au Maroc de ses fils, parmi lesquels se distingue le duc d’Aumale. Le souverain passe commande à son maître favori, Horace Vernet, chantre de la représentation militaire au XIXe siècle. Comme celui de Vernet avant lui, le talent de Guillaume Bresson n’a pas attendu le nombre des années pour éclater en pleine lumière. Révélé au grand public lors de l’exposition Dinasty au palais de Tokyo il y a quinze ans, le jeune quadra, né à Toulouse en 1982, qui vit aujourd’hui à New York, a exposé en France, en Allemagne, au Luxembourg, aux Etats-Unis ou encore au Brésil. Représenté par la galerie Nathalie Obadia, à Paris, depuis ses débuts, il est considéré aujourd’hui comme une figure de proue de la peinture figurative française.
A l’instar des formats historiques de Vernet, les compositions de Guillaume Bresson se caractérisent par un réalisme saisissant. Son processus créatif s’appuie sur un travail préparatoire en atelier avec des modèles amateurs – ses amis d’enfance, d’abord, puis des groupes de jeunes avec lesquels il monte des projets associatifs – qu’il photographie dans des postures théâtralisées proches du baroque. Isolés et détachés, les corps sont ensuite réagencés librement sur la toile, où l’artiste a préalablement posé un décor anonyme de bitume, de parking ou de cité capté par ailleurs.
Fruits d’une très longue élaboration, les instantanés livrent des récits résolument contemporains, qui placent le contact humain au cœur du sujet, déployant des personnages à la marge ou en déshérence, aux frontières de la chute. Tous racontent, explicitement ou symboliquement, une réalité sociale qui s’apparente souvent à une solitude existentielle. La singularité du travail de l’artiste, fan du Caravage et de Nicolas Poussin, tient tout particulièrement à son mode de représentation issu de la Renaissance italienne et du Classicisme longtemps évacué par les artistes avant d’être réinvesti au début du IIIe millénaire.

Dans les salles d’Afrique du château de Versailles, Christophe Leribault, président de l’institution et commissaire de la rétrospective, parvient à faire dialoguer les immenses champs de bataille d’Horace Vernet et les guérillas de la périphérie urbaine de Guillaume Bresson, sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre, à l’image de la confrontation entre la monumentale Prise de la Smalah d’Abd-el-Kader par le duc d’Aumale à Taguin, le 16 mai 1843 de Vernet et la chorégraphie complexe d’une guerre de clans acharnée sur fond de banlieue élaborée par le jeune Toulousain. Avec près de deux siècles d’écart, ils nous questionnent sur la mise en scène de la violence en peinture, thématique récurrente de l’œuvre de Bresson.
Accrochée entre deux salles, une création récente tranche avec les autres. Elle voit des personnages entremêlés sans appui se déployer sur un fond nuageux indéterminé. Ici, pas de sous-sol ni d’asphalte, et la perte de repères ajoute à la fascination. Sublimé par un jeu de clair-obscur, le travail méticuleux sur chaque détail anatomique ou vestimentaire renvoie irrésistiblement à la peinture classique, si ce n’était les baggy et autre sweat à capuche qui habillent ces figures intemporelles.
*L’exposition a lieu du 21 janvier au 25 mai 2025 au château de Versailles.
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