Peter Schroeder, ancien de la CIA : "Les négociations sur l'Ukraine ? Préparez-vous aux montagnes russes..."

Peter Schroeder, ancien de la CIA : “Les négociations sur l’Ukraine ? Préparez-vous aux montagnes russes…”

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L’ère de la “pensée magique” sur l’Ukraine est révolue. Les déclarations du président américain Donald Trump et de son ministre de la Défense Pete Hegseth sur l’Ukraine ces derniers jours ont résonné comme un coup de tonnerre, déroutant alliés et partenaires. Les critiques se sont empressées de fustiger les prétendues concessions américaines. Pourtant, en reconnaissant publiquement qu’il est peu probable que l’Ukraine parvienne à reprendre militairement l’ensemble de son territoire souverain, que les forces militaires américaines ne défendront pas l’Ukraine contre la Russie et que l’Ukraine n’obtiendra pas l’adhésion à l’Otan, Trump et son équipe ne font en réalité que dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. L’administration Biden a préféré vivre dans un monde imaginaire. Même à l’automne 2021, alors que les avertissements stratégiques étaient nombreux et les perspectives de guerre à l’horizon bien réelles, elle a préféré s’accrocher à la chimère de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan plutôt que de négocier sur ce point. Près de trois ans de guerre brutale n’ont guère contribué à changer leurs illusions.

Mais aujourd’hui, en acceptant la réalité – volontairement ou par ignorance, on n’en est jamais sûr avec lui – Trump a ouvert la porte à la négociation d’une véritable fin de la guerre en Ukraine. La vérité, c’est que Kiev est en train de perdre la guerre. Bien que les généraux russes restent largement incompétents, incapables de porter un coup fatal, les forces russes avancent progressivement, mais à un coût élevé. Côté ukrainien, les pénuries de main-d’œuvre rendent difficile le maintien des lignes de front, et encore plus la reconquête des territoires occupés par la Russie. Bien que son soutien aux forces armées sur le terrain demeure élevé, la population ukrainienne perd confiance dans le commandement militaire, et hésite de plus en plus à envoyer ses jeunes hommes combattre et mourir pour un leadership qui n’a aucune chance de victoire. Dans de telles conditions, tout accord négocié ne pourra que favoriser Moscou.

La vérité, c’est que les États-Unis n’enverront pas leurs propres militaires combattre la Russie en Ukraine. Ce n’est en rien une nouvelle doctrine. Joe Biden a affirmé la même chose. Le président Obama l’avait déjà dit en 2014. George W. Bush avait frôlé cette décision en Géorgie en 2008 avant de juger qu’une guerre contre la Russie n’en valait pas la peine. Et c’est pourquoi le Mémorandum de Budapest, signé par Bill Clinton en 1994, ne contenait, délibérément, aucune “garantie” de sécurité pour l’Ukraine. Le fait que les États-Unis ne défendraient pas l’Ukraine contre la Russie avec leurs forces armées est un principe central de la politique américaine depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991.

La vérité, c’est que l’Ukraine n’entrera probablement jamais dans l’Otan. Il est de bon ton de parler en termes abstraits de la politique de la “porte ouverte” de l’Alliance atlantique, mais la réalité, comme mentionné précédemment, est que l’Otan n’est pas prête à se battre et à mourir pour défendre l’Ukraine. Cela a été clair au cours des trois dernières années. À bien des égards, l’Alliance n’a fait que donner de faux espoirs à Kiev. Il est préférable d’en finir avec les fantasmes, afin de pouvoir entamer de véritables discussions sur la manière d’assurer la sécurité future de l’Ukraine.

Poutine cherchera à exploiter l’empressement de Trump

La vérité, c’est que la guerre en Ukraine n’est pas un problème existentiel pour l’Europe. Même un accord négocié favorable à Moscou risque de laisser les troupes russes sur la rive est du Dniepr. L’armée russe a été décimée dans les combats et aura de sérieuses difficultés à retrouver sa puissance militaire, ce qui la rend complètement inapte à une nouvelle attaque contre l’Europe dans les dix prochaines années. Le risque est minime. Et la plupart des capitales européennes le reconnaissent, du moins par leur comportement, sinon par leur rhétorique. Comme on a pu le voir lors d’une réunion sur l’Ukraine à Paris le 18 février, les États européens ne sont pas prêts à envoyer leurs propres soldats en Ukraine. Les actes parlent plus fort que les paroles. Enfin, la vérité est que la fin de la guerre en Ukraine allait toujours nécessiter des discussions directes entre Moscou et Washington. Bien sûr, l’image est terrible. Mais, on ne peut pas l’éviter.

Si les premières initiatives de Trump ont ouvert la voie à de véritables négociations, cela ne signifie pas pour autant que la paix est à portée de main. L’incompétence, l’impatience et le caractère imprévisible de Trump seront autant d’obstacles à la conclusion d’un accord durable. Et Vladimir Poutine cherchera à exploiter chacun d’entre eux. Trump n’a pas de véritable stratégie pour naviguer entre les intérêts divergents de Kiev, Moscou et Bruxelles et négocier une issue au conflit. Il semble déjà avoir abandonné l’approche de la “paix par la force” que son envoyé spécial Keith Kellogg et son conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz avaient précédemment suggérée. Il ne dispose pas de véritables experts sur la Russie ou l’Ukraine pour orienter son approche. De son côté, Poutine est déterminé et a intégré son propre conseiller en politique étrangère – et ancien ambassadeur à Washington – dans l’équipe de négociation russe..

Poutine n’est pas le seul dirigeant qui cherchera à manipuler Trump afin d’influencer les négociations

Trump n’a pas d’objectifs clairs dans les négociations, si ce n’est obtenir rapidement un accord mettant fin aux combats. Et peut-être décrocher un prix Nobel de la paix en conséquence. Poutine, en revanche, n’a aucun impératif de calendrier et exploitera l’empressement de Trump à son avantage. Il est peu probable que la Russie cesse les hostilités tant que les négociations seront en cours, et elle ajustera la pression militaire sur le terrain en fonction de l’évolution des discussions.

La paix est loin d’être garantie

Enfin, le tempérament erratique de Trump rendra plus difficile la conclusion d’un accord. Ses déclarations publiques ont déjà sapé la confiance dans sa capacité à obtenir un bon compromis. Il est probable qu’il se focalise sur des questions annexes qui l’intéressent au plus haut point, comme les ressources en minerais de l’Ukraine, mais qui détournent l’attention d’une paix durable. Comme ses relations diplomatiques avec Kim Jong-un lors de son premier mandat l’ont montré, il existe toujours un risque que Donald Trump quitte à tout moment la table des négociations. Et Poutine n’est pas le seul dirigeant qui cherchera à manipuler Trump afin d’influencer les négociations. Le président Zelensky est un dirigeant tenace qui n’hésite pas à réagir fermement lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut. De plus en plus désespérée, Kiev cherchera par tous les moyens à influencer le cours des négociations. En prenant des mesures pour saboter les pourparlers ou en essayant de faire pression sur Trump à Washington. La réaction du président américain et l’impact sur les discussions seront totalement imprévisibles.

Tout cela signifie que les négociations pour mettre fin à la guerre en Ukraine vont être de véritables montagnes russes, ponctuées de coups de théâtre. La paix est loin d’être garantie. Tout pourrait s’effondrer. La situation pourrait même empirer. Mais les premières initiatives de Trump ont ouvert la voie à des discussions sur les véritables enjeux, ce qui est la seule façon d’aboutir à la paix… sans attendre la mort de Poutine.

* Peter Schroeder est chercheur principal associé au Center for a New American Security. Il a été analyste et membre du Senior Analytic Service de la Central Intelligence Agency (CIA) et, de 2018 à 2022, il a occupé le poste de principal adjoint du National Intelligence Officer pour la Russie et l’Eurasie au National Intelligence Council.

L’Express

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