En librairies : David Clerson, Amadou Barry, Alison Mills Newman...

En librairies : David Clerson, Amadou Barry, Alison Mills Newman…

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Le programme est simple, excitant comme celui d’un polar, et annoncé dans le titre : une femme, qui passe ses étés seule dans son chalet en Mauricie (région boisée au milieu du Québec), reçoit la visite de son fils disparu dix ans plus tôt ; il restera sept jours. La femme est aussi la narratrice et, dans son lieu de villégiature, la flore (mousse, lichen… tout ce qui est spongieux) semble avoir un effet sur les individus, si bien que ni elle ni lui n’ont l’air en forme (et le tout peut s’entendre en élégie sous champis). Peu à peu les souvenirs ­affleurent et le texte semble lui-même gagné par l’humidité des alentours. On s’y enfonce d’une traite. L’ensemble est finalement moins glauque que doux, d’une douceur d’herbier (herbier mycologique). L’auteur est né à Sherbrooke et il vit à Montréal. T.St.

Journal d’un exilé n’est pas un journal en tant que tel. Aucune date ne le structure, aucune trace d’une écriture en temps réel ne transparaît. Mais au-delà de l’aspect formel, le but d’un journal est de laisser une trace de son existence. Dramé, le rédacteur fictif ancre la sienne et celle de son ami décédé, Fodié, sur le papier. «Pour réparer son silence, pour que son souvenir ne disparaisse pas à jamais», il témoigne de leur quotidien en tant que guinéen et ivoirien en situation irrégulière à Paris. Ce premier roman d’Amadou Barry dépeint l’intimité de deux personnages dormant à l’étroit dans une tente, leur difficulté à trouver du travail et le danger qui les guette. «Vous voilà prévenus : mes phrases ne sont ni bal­zaciennes ni proustiennes.» Dramé rejette toute fioriture ou effet de style. Le plus important est de faire porter haut la voix des exilés. M.Se.

Thomas Gayet s’est inspiré de la vie de l’aventurière Dominick Arduin disparue en 2004 alors qu’elle tentait de devenir la première femme à rejoindre en solitaire le pôle Nord géographique. Alix Rodin, son avatar, n’est pas sympathique. Elle manipule les gens, proches, sponsors, pour obtenir ce qu’elle veut, plier les êtres à la mesure de son rêve jusqu’à falsifier son passé, inventer ses malheurs. Mal préparée pour cette expédition, elle se place presque consciemment en situation d’échec mais c’est une attitude cohérente pour qui croit pouvoir dominer le monde ou pour qui veut s’y ensevelir, «s’accomplir dans le vide». Reste que lorsque la banquise craque, hurle et se fracture, il y a sur l’une d’elles, Don Quichotte tragique, cette petite bonne femme qui n’hésite pas à se jeter à l’eau par moins 40 degrés et on en reste pantois. N.A.

Francisco ne fait pas référence à San Francisco, c’est le prénom d’un réalisateur dont la narratrice tombe amoureuse. Mais le double sens est là, alors tant mieux : «francisco habite san francisco. francisco trippe sur james brown comme je trippe sur les germes de blé et les vieux pianos légèrement désaccordés. francisco est le seul black que je connaisse qui échappe à toutes les étiquettes. sérieusement.» Aucune majuscule ne saurait perturber le flow qui, dans les Etats-Unis des ­seventies, entraîne de fêtes en projos. Alison a 21 ans, elle est actrice et compose ce ­roman autobiographique comme elle swingue. Francisco fut publié outre-Atlantique en 1974. Dans la postface rédigée en 2022, l’autrice dit s’être «débattue avec l’idée de voir ce livre réédité en raison de son langage très cru et de la vie de fornication décrite, auxquels je n’adhère plus». (Nota bene : c’est précisément ce langage et cette vie qui plaisent.) Elle est née en 1951 et vit toujours. Francisco Newman, lui, est mort en 2003. T.St.

«A la gare du Transsibérien, des carreaux de porcelaine représentent tous les animaux du pays. Une plaque marque le passage d’Hô Chi Minh pendant la guerre du Vietnam. La locomotive à vapeur, exposée comme un trophée à la gloire des travailleurs soviétiques, a été fabriquée aux Etats-Unis.» Observer le Léman, dont les eaux noient la frontière avec la France, a tenu l’écrivain suisse Daniel de Roulet «à distance du nationalisme», dit-il. Rédigé au fil des ans et sur les trois continents, entre rappels histo­riques et inquiétudes éco­logiques, ce recueil de promenades sur des «lacs partagés» entre deux pays prône «l’effacement» et l’humilité. Cela permettrait par exemple d’éviter ces «pédalos multicolores imitant des ­canards de Disneyland» échoués sur les rives du Titicaca ou le barrage de Livigno, dans les eaux duquel le paysan «ne pourra plus fréquenter l’église sous-lacustre». E. Lo

Ce livre bienvenu, en hommage à Annie Le Brun, disparue brutalement l’été dernier à 81 ans l’année du centenaire du Manifeste du surréalisme, rassemble des entretiens pour certains inédits en français. C’est une bouffée d’énergie et un appel d’air pour se plonger dans ses écrits, recensés dans une bibliographie en fin d’ouvrage. On y suit son parcours, sa rencontre avec ­André Breton et des surréalistes, en particulier du poète Radovan Ivšić compagnon d’une vie, son amitié avec l’artiste Toyen, le rôle de Mai 68, sa plongée dans Sade pour les Châteaux de la subversion et Soudain un bloc d’abîme, Sade publiés par Jean-Jacques Pauvert («Sade invente une façon de penser qui ramène le corps dans la pensée.»), puis dans Raymond Roussel, jusqu’à ses commissariats d’exposition. On entend sa voix, on comprend sa farouche indépendance et sa critique radicale de la posture des intellectuels (au «discours critique» qui «n’a pas plus d’importance que le rap») et du néolibéralisme («Car l’instantanéité numérique engendre une inconséquence généralisée qui accélère l’effondrement de toute conscience historique, tandis que l’espace bimensionnel de l’écran, où le zoom fait la loi, finit par nous faire oublier toute autre échelle.»). In fine on ne peut qu’adhérer à sa défense de la sensibilité et de l’imagination. F. Rl

Il avait 9 ans, son frère 13 ; lui déguisé en cowboy, son frère en indien. Il lui a tiré dessus, son frère s’est écroulé : il n’arrive pas à remettre la main sur la photo de cet instant. Le psychanalyste Serge Tisseron, dans le cadre d’une collection qui fait dialoguer photographies de famille et littérature, entreprend une enquête pour le moins originale pour retrouver cette image : il fait d’abord appel aux autres membres de la famille qui pourraient l’avoir conservée, il dessine ce dont il se souvient, il demande à une IA générative Midjourney de créer une photo artificielle à partir de son souvenir. Finalement, il parvient à confronter la vraie photo de 1957 à la reconstituée de 2024. Le plus passionnant suit : son interprétation des différences entre les deux, le recours à Freud et au chat de Schrödinger, le pouvoir subjectif de l’image. On a affaire à une expérience a priori anecdotique mais qui ouvre un immense champ d’interrogations sur ce que nous ferons de cette possibilité de projeter nos rêves sur une image (et «l’être humain est naturellement enclin à croire à la réalité des images»). F.Rl

Si la fête a fait l’objet de tant d’attention de la part de l’anthropologie, de l’ethnologie, de la sociologie ou de la philosophie, c’est qu’elle possède la puissance d’un révélateur, et laisse apparaître, sous les modes de vie sociaux ou les façons d’agir, ce qui s’y tient caché, contrôlé, dominé, inavoué. Mais étudier la fête n’est pas aisé, tant les fêtes sont variables par leurs manifestations chorégraphiques ou musicales, leur persistance historique, leur ancrage dans le territoire, leur dimension populaire ou réservée, leur intensité, leur violence sacrilège ouleur force de production sacrée… Coordonné par Anouche Kunth, Hervé Mazurel et Quentin Deluermoz, ce numéro de la revue Sensibilités tente néanmoins d’en cerner le maximum d’aspects, qu’ils se révèlent dans les bacchanales grecques, la fête des fous médiévale, le charivari, le Carnaval sauvage (Pauline de la Boulaye), Halloween (Estelle Car, Hervé Chatel), les rave parties, la tarante ou les danses de Saint Guy… «Explorer l’homo festivus sous toutes ses coutures, non sans rappeler, dans ce temps de crises incessantes et de désespérance, les vertus vivifiantes des communions festives», écrit Hervé Mazurel. Contributions : Marie-Hélène Lafon, Hind Meddeb, Claire de Ribaupierre, Massimo Furlan, Adeline Grand-Clément («Se réjouir avec Dionysos»), Sylvaine Guyot, Corinne Legoy («Bals masqués. Immersion dans les nuits parisiennes du XIXe siècle»), Nathan Ferret («Z Event ou la fête en régime numérique»), Thomas Fouquet. Le numéro contient aussi une correspondance entre Natalie Zemon Davis et Edward P. Thompson sur «Rough music & charivari». R.M.

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