:quality(70)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/TOAIL3NYSNHN3A4RKQSKQZOHBY.jpg)
Chef-d’œuvre inestimable, possible implication des services secrets d’une dictature communiste et mort mystérieuse… Tous les ingrédients d’un roman d’espionnage sont réunis dans la récente réapparition aux Pays-Bas d’un tableau d’un maître flamand cinquante ans après sa disparition en Pologne. Avec l’aide de l’«Indiana Jones du monde de l’art» et de journalistes, la police néerlandaise a affirmé lundi 3 mars avoir résolu l’affaire de la disparition d’une œuvre peinte par Pieter Brueghel le Jeune au XVIIe siècle.
Le tableau, intitulé Woman Carrying the Embers en anglais (Femme portant des braises) et réalisé vers 1626, représente une paysanne tenant des pinces avec des braises fumantes dans une main et un chaudron d’eau dans l’autre, une référence à un vieux proverbe néerlandais : «Ne croyez jamais une personne qui porte de l’eau dans une main et du feu dans l’autre.» En somme, méfiez-vous de la duplicité. Sa valeur est inconnue, mais les œuvres de Brueghel le Jeune se vendent généralement des millions de dollars, selon la maison de vente aux enchères Christie’s.
Le vol de ce petit tableau rond avait été découvert le 24 avril 1974 lorsqu’un employé du Musée national de la ville de Gdansk, dans le nord de la Pologne, avait accidentellement décroché le cadre d’un mur. «Au lieu de l’œuvre originale du célèbre peintre flamand, une reproduction découpée dans un magazine est tombée du cadre», a écrit Mariusz Pilus, expert en art polonais, dans Arts Sherlock en 2019.
Quelques jours après, un douanier polonais qui avait signalé à la police et aux autorités polonaises l’exportation illégale d’œuvres d’art via le port baltique de Gdynia a été retrouvé mort, immolé par le feu, peu de temps avant son interrogatoire par les forces de l’ordre. De quoi faire naître l’hypothèse d’un assassinat.
Les enquêtes sur la mort du douanier et la disparition du tableau ont néanmoins été closes peu de temps après, selon les médias polonais. Une équipe de la police polonaise spécialisée dans les affaires non résolues a bien tenté de rouvrir l’affaire en 2008, avant de faire chou blanc. Le tableau était certainement perdu à jamais. Jusqu’à ce rebondissement, cinq décennies plus tard. Les premiers soupçons sont apparus en 2024, lorsque des journalistes du magazine d’art néerlandais Vind ont repéré le tableau lors d’une exposition aux Pays-Bas. L’œuvre était prêtée au musée de Gouda par un collectionneur privé.
Les journalistes de Vind ne sont alors pas sûrs qu’il s’agit de l’œuvre de Brueghel, mais elle y ressemble beaucoup. Arthur Brand, surnommé «l’Indiana Jones du monde de l’art» pour ses découvertes médiatisées d’œuvres volées, est alors appelé à la rescousse. Avec la police néerlandaise, il enquête sur l’identité du tableau, déplacé entre-temps dans un musée de Venlo, dans le sud des Pays-Bas. Le détective privé parcourt également la base de données d’Interpol, qui avait émis une alerte pour le tableau de Brueghel. «J’ai conclu que le tableau répertorié par Interpol et celui exposé étaient le même», a raconté Arthur Brand.
«Nous avons vérifié et revérifié, y compris les informations au dos du tableau. Cela correspondait. Nous sommes sûrs à 100 % qu’il s’agit du tableau qui a disparu du Musée national de Gdansk en 1974», a confirmé Richard Bronswijk, le chef de l’unité de lutte contre la criminalité dans le domaine de l’art au sein de la police néerlandaise.
La police néerlandaise enquête actuellement sur la façon dont le tableau a fini par se retrouver dans une collection privée. Selon le quotidien belge Het Nieuwsblad, le propriétaire, qui souhaite rester anonyme, a déclaré que son père avait acheté l’œuvre à un galeriste.
Quant à la disparition du tableau, le mystère demeure. «Seul un service secret était capable de commettre un tel vol et de vendre ce genre de travail à l’étranger pendant la période communiste […] Certains anciens membres des services secrets ont déclaré plus tard qu’ils étaient sûrs que quelqu’un de leur organisation était impliqué», a affirmé Arthur Brand au journal néerlandais Telegraaf. «La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de prescription, car il s’agit d’un crime qui a été commis sous le régime communiste. Le meurtre du douanier n’a pas non plus été élucidé. Ce serait fantastique que les deux cas soient réexaminés», a ajouté le détective.
La police néerlandaise a informé les autorités polonaises, qui ont déclaré lundi qu’elles «prenaient toutes les mesures possibles pour restituer l’œuvre à sa collection d’origine». L’œuvre se trouve actuellement sous clef dans un musée de la province du Limbourg aux Pays-Bas. Une fois les procédures nécessaires terminées, «nous fournirons des informations sur le transfert du tableau», a affirmé le ministère polonais de la Culture.
Interrogé sur la découverte du Brueghel, le conservateur des arts du musée de Gouda, Ingmar Reesing, a déclaré que le musée avait été «très surpris» d’apprendre l’histoire du tableau. Mais «c’est formidable pour le monde de l’art que l’œuvre ait refait surface après toutes ces décennies», s’est-il réjoui.
Leave a Comment