Exploitation des fonds marins : dans les abysses, l’appétit minier menace concombres géants et crevettes à pattes velues

Exploitation des fonds marins : dans les abysses, l’appétit minier menace concombres géants et crevettes à pattes velues

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Dans les profondeurs froides et obscures du Pacifique, l’immense plancher océanique est constellé de galets riches en métaux convoités par l’industrie, au milieu d’une multitude d’espèces étranges, quasi inconnues de la science. L’industrie minière se bat pour obtenir le droit d’excaver les fonds marins de la zone de Clarion Clipperton, immense plaine à plus de 3 000 mètres de profondeur entre Hawaï et le Mexique. En parallèle, des chercheurs, en grande partie financés par les entreprises, s’y précipitent pour identifier et cartographier des milliers d’espèces mystérieuses.

Un concombre de mer géant surnommé «l’écureuil gélatineux», une crevette aux longues pattes velues, des vers ou des éponges flottantes attachées aux rochers… La zone, longtemps perçue comme un désert sous-marin, est désormais connue pour abriter une faune et une flore abondantes. L’intérêt pour les «nodules», ces galets de métaux comme le cobalt et le manganèse recherchés pour les batteries, les panneaux solaires ou les écrans tactiles, a ouvert la voie à l’exploration scientifique.

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Après plus de dix ans de négociations, le futur «code minier» destiné à encadrer l’extraction minière sous-marine en haute mer est justement une nouvelle fois discuté, à partir de ce lundi 17 mars à Kingston en Jamaïque, par le conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), dans l’espoir de parvenir à son adoption cette année sous pression des industriels. L’entreprise canadienne The Metals Company prévoit en effet de déposer la première demande de contrat d’exploitation en juin via sa filiale Nori (Nauru Ocean Resources Inc.)

En accord avec le double mandat octroyé par la Convention de l’ONU sur le droit de la mer, ce code minier doit à la fois organiser l’exploitation des minerais convoités (cobalt, manganèse, nickel…) dans les eaux internationales, et protéger l’environnement, dans un contexte de lacunes scientifiques majeures sur des écosystèmes peu accessibles. Des objectifs irréconciliables pour les défenseurs de l’océan, qui réclament un moratoire sur l’exploitation, à l’instar d’une trentaine de pays, dont la France.

D’après eux, la biodiversité foisonnante de ces mystérieux abysses, en est le véritable trésor. Or, elle risque de disparaître avant même d’être découverte sous l’énorme panache de sédiments millénaires que l’exploitation minière soulèverait. Les nodules offrent un habitat unique aux espèces des profondeurs, sorte de jardins de corail miniature. De plus, l’exploitation de cet écosystème pourrait engendrer un bouleversement des sédiments stockant du carbone au fond de l’océan, craignent les scientifiques, et libérer du CO2 dans l’eau et l’atmosphère.

«Nous avons une bien meilleure compréhension de cette partie du monde que si nous n’avions pas essayé de l’exploiter», nuance toutefois Tammy Horton, du Centre océanographique national du Royaume-Uni (NOC). Les chercheurs ont prélevé des échantillons au moyen d’appareils de collecte lancés depuis des navires et ont déployé des véhicules télécommandés pour prendre des photos. Il existe «un nombre considérable d’espèces rares» rendant cette région comparable à l’Amazonie, s’émerveille la biologiste marine. Environ 90% des 5 000 espèces animales recensées dans la zone de Clarion Clipperton sont nouvelles pour la science, selon un premier bilan publié en 2023 dans la revue Current Biology.

L’AIFM, fondée sous l’égide de l’ONU, s’est fixé pour objectif de décrire plus d’un millier d’espèces d’ici à 2030 dans les régions convoitées par l’industrie. Chaque animal doit être esquissé, disséqué et doté d’un «code-barres» moléculaire, sorte d’empreinte ADN pour permettre à d’autres chercheurs de l’identifier. Un travail titanesque : il a fallu un an à Tammy Horton et son équipe pour décrire 27 amphipodes, sorte de petit crustacé, sur plus d’une centaine encore sans nom.

Le plus ancien site minier expérimental est une bande de fond excavée dans le plus grand secret en 1979. Selon Daniel Jones, autre professeur du NOC qui a fouillé les archives pour le localiser, l’expérimentation est née d’une complexe manigance de la CIA pour récupérer un sous-marin nucléaire russe. Après avoir fait semblant de mener une exploration minière en guise de couverture, l’agence de renseignement américaine a loué un navire pour une véritable tentative, raconte Daniel Jones, qui a retrouvé une vieille photo de la machine d’environ huit mètres de large qui a raclé les fonds.

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Plus de quarante ans plus tard, les traces sont encore visibles sur le plancher océanique, comme l’a constaté son équipe en 2023. S’ils ont pu observer «les premiers indices d’un rétablissement biologique» le long des sillons, explique Daniel Jones, la densité de population animale n’est pas revenue à la normale. Les nodules se sont probablement formés il y a des millions d’années ; des fragments solides comme des dents de requin ou des os d’oreille de poisson se sont déposés sur les fonds, croissant à un rythme infiniment lent grâce à l’accumulation de minéraux dans l’eau.

Selon le Conseil consultatif des académies européennes des sciences (EASAC), le besoin en nodules pour la transition énergétique a été surévalué. «L’argument selon lequel l’exploitation minière en eaux profondes est essentielle pour répondre à la demande de matériaux critiques est contesté et ne justifie pas l’urgence avec laquelle l’exploitation des minéraux en eaux profondes est poursuivie», tranchent les auteurs dans un rapport publié en juin 2023, qui préconisent un moratoire «jusqu’à ce que les conséquences écologiques puissent être correctement comprises, mesurées et contrôlées». Une fois lancée, l’exploitation des grands fonds marins sera difficile à arrêter, met en garde Michael Norton, directeur de l’environnement à l’EASAC : «C’est une voie à sens unique. Une fois engagé, on ne fait plus demi-tour de son plein gré.»

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