«34 m²» de Louise Mey, les chiffres et les mots de la violence

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C’est un roman coup de poing. Qui vous bloque le système respiratoire. Vous pousse à lire en apnée. Enfermé·e dans 34 m2. Heureusement le texte est court, il se dévore en moins d’une heure. Impossible de le refermer avant de savoir ce qu’il advient de Juliette et d’Inès, sa fille de huit mois, qu’elle a juré de préserver de tous les malheurs qu’elle a fuis. Malheurs incarnés par un homme qui la tenait sous son emprise et dont le souvenir ou plutôt la peur qu’il lui inspirait la hante encore. Son corps est parvenu à s’en extraire mais sa tête, non. Elle se méfie de tout et de tous, une ombre dans la rue, une odeur familière, oui, son odeur, ce parfum sirupeux qui lui donne des haut-le-cœur chaque fois qu’elle y pense.

Elle est partie donc, et elle a fait un bébé toute seule, sans homme, sans risque. Lui, pendant ce temps, écopait de cinq ans de prison, cinq ans de tranquillité pour elle, même si l’angoisse est toujours là. Pour la conjurer, Juliette compte, elle habite les chiffres, certains lui rappellent les nuits d’horreur. «55 a une teinte argentée, elle ne sait pas pourquoi, […] 59 est vert pâle, teinte de feuille nouvelle, douce et à peine déployée et sent aussi un peu le tissu neuf, […] 60 est d’un bleu magnifique, […] si bleu qu’il ne faudrait pas le gâcher, […] tout finit et tout commence à 61.»

Dans ces 34 m², le moindre geste se décompose à l’envie. Le moindre mot compte. Alors elle en invente. Par exemple «écarder». «C’est un mot qu’elle a fini par former, sans y penser, un soir au moment du bain alors qu’elles étaient occupées à autre chose : ces moments où Juliette ne fait plus un bruit et regarde de tous ses yeux, écoute de toutes ses oreilles pour s’assurer que sa fille respire encore, elle écarde. Elle aurait pu recouter, mais ce n’est pas le mot que son cerveau lui a soufflé, et puis écarde sonne mieux. Comme si elle écartait le danger, mais doucement.» On aime bien aussi le mot «entourbillonner», même s’il décrit la façon dont l’homme l’a séduite et emportée sous sa coupe.

Bien sûr, on s’y attend, arrive un moment où l’homme revient. Et où elle ouvre la porte sans y penser, elle si prudente d’ordinaire. Nous ne dirons rien d’autre car il faut lire ce livre. Juste ce passage qui résume toute la difficulté qu’ont les femmes sous emprise à se défaire de l’ombre de leur bourreau. «Est-ce que ce n’est pas plus facile de renoncer ? Elle y a déjà pensé, parfois, avoue, dis-le, que dans tes pensées mouvantes s’est déjà formée l’idée : il est tellement plus facile d’abandonner. Pas parce que c’est confortable mais parce que résister est si difficile. Si douloureux. Si dangereux. Parce que renoncer est parfois la seule manière de survivre, et personne n’est disposé à comprendre ça.» Louise Mey nous avait déjà scotchée avec la Deuxième femme (le Masque, 2020), terrifiant roman noir sur le quotidien d’une femme sous emprise, elle nous livre là un impeccable exercice littéraire, puissant et ramassé. Sans une lettre ou un chiffre de trop.

Libération

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