Changement climatique: un nouveau «plan national d’adaptation» au régime sec

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Le voilà donc enfin, ce «Pnacc-3» ! En travaux depuis presque deux ans, reporté à maintes reprises par des crises jugées toujours plus urgentes au sommet de l’Etat, le troisième «plan national d’adaptation au changement climatique» a tout compte fait été dévoilé, ce vendredi 25 octobre, par Michel Barnier. Accompagnée de sa ministre de la Transition écologique, du Climat et de la Prévention des risques, Agnès Pannier-Runacher, le Premier ministre a profité d’un déplacement dans le Rhône, département victime des inondations la semaine dernière, et d’une situation météorologique de nouveau critique ce week-end dans le Sud-Est (le Gard, le Var et les Alpes-Maritimes sont actuellement en vigilance orage pluie inondation), pour mettre les projecteurs sur ce document stratégique, censé préparer le pays aux effets actuels et futurs du changement climatique. «Il y a ici ou là des gens qui ferment les yeux sur la vulnérabilité de nos territoires face à des phénomènes extrêmes et de plus en plus fréquents, a déclaré le chef du gouvernement. Il faut regarder la vérité en face. S’adapter ce n’est pas se résigner, ce n’est pas renoncer, c’est ouvrir les yeux et ensemble améliorer les choses».

Ce nouveau plan, bien plus ambitieux que les deux précédents, taxés de «coquilles vides» par les experts de l’adaptation, est composé de 51 mesures. Même si Michel Barnier n’a pas cité ce chiffre, elles ont toutes été conçues à partir de l’hypothèse d’une hausse des températures de 4 °C en métropole d’ici la fin du siècle par rapport à 1990 (aujourd’hui, nous avons déjà atteint les + 1,7 °C).

Des «études de vulnérabilité» obligatoires dans certains secteurs

Au vu de la faiblesse des engagements internationaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, cette trajectoire est considérée comme «optimiste» par certains scientifiques, à l’image du climatologue français Christophe Cassou, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Mais c’est bien sur ce niveau que «tous les documents de planification publique» devront se baser pour penser l’avenir.

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Alors, que contient ce Pnacc-3 ? Elles sont très peu nombreuses, mais certaines mesures relatives aux systèmes d’acheminement (énergie, transport), à la filière bois et à l’école portent des objectifs précis et des dates. De cette façon, «les grandes entreprises de transport et de l’énergie» devront mener, à partir de 2025, une «étude de vulnérabilité» pour définir un «plan d’adaptation de leurs opérations» – comme ont pu commencer à le faire EDF ou la SNCF. Cette contrainte s’étendra l’année suivante à tous les «opérateurs d’importance vitale» (ces entités publiques ou privées qui font tourner des installations indispensables au pays). S’agissant du réseau électrique basse tension, la «majorité des ouvrages sensibles aux vagues de chaleur» devront, de leur côté, être remplacés d’ici 2040. L’industrie de transformation du bois devra, elle, se mettre en ordre de bataille pour élaborer un «plan d’action pour l’adaptation» au plus tard en 2029. Et dès l’année prochaine, les modalités des examens scolaires (dates et lieux) seront «systématiquement adaptées lors des périodes de fortes chaleurs» ou lors de pics «canicule orange ou rouge». Autre disposition qui semble aller dans le bon sens : la «Mission adaptation», qui devrait être lancée aussi en 2025, permettra aux collectivités de bénéficier d’une aide sur-mesure de la part des instances expertes de l’Etat.

«Il y a quelques bonnes mesures, qui vont permettent, je l’espère, une dynamique d’adaptation dans plusieurs domaines, réagit Adèle Tanguy, chercheuse spécialiste des politiques d’adaptation à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Mais quid des actions pour nos littoraux, de nos montagnes, de nos stations balnéaires, de notre agriculture, du tourisme culturel, de nos villes et nos logements ? Si on n’engage pas dès maintenant des transformations systémiques, on va se retrouver à faire de l’adaptation au coup par coup, et continuer à être en réaction face aux crises.» L’exécutif ambitionne de publier, d’ici 2027, une «cartographie d’exposition aux risques naturels». Mais la chercheuse redoute que «l’on s’en tienne au renforcement de la connaissance» et ce que cela se substitue à «l’opérationnalisation» des actions. «C’est important de poser les diagnostics et de récolter les données scientifiques, commente Adèle Tanguy. Toutefois, concrètement, quelle feuille de route est proposée pour les prochaines années ?» Cette question pourrait être posée dans bien des domaines, dont celui de la rénovation des bâtiments. Le Pnacc-3 prévoit de mener une «étude» entre 2026 et 2028 pour «vérifier la pertinence des travaux devant garantir le confort d’été». Repoussant de trois ans au moins les actions.

«Depuis sa prise de fonction, Agnès Pannier-Runacher nous parle “d’écologie populaire” mais ce plan ne s’occupe pas en priorité des personnes précaires, isolées, âgées, marginalisées, alors qu’elles sont les plus vulnérables face au changement climatique. Ce Pnacc-3 est aveugle aux inégalités.»

—   Quentin Ghesquière, chargé de campagne au sein de l’association Oxfam France

De fait, un grand nombre de propositions du plan semblent relever de l’intention, et n’imposent ni calendrier, ni contrainte. Le gouvernement évoque, par exemple, sans plus de détails, la mise en place d’un «dispositif» afin d’inciter les assureurs à «maintenir une offre abordable» et «ne pas délaisser les zones les plus à risque». Et mentionne la réalisation d’un énième état des lieux, cette fois-ci auprès des «établissements de santé, sociaux et médico-sociaux». Des mesures estimées «trop floues» par Quentin Ghesquière, chargé de campagne au sein de l’association Oxfam France. «Depuis sa prise de fonction, Agnès Pannier-Runacher nous parle “d’écologie populaire” mais ce plan ne s’occupe pas en priorité des personnes précaires, isolées, âgées, marginalisées, alors qu’elles sont les plus vulnérables face au changement climatique, exprime-t-il. Ce Pnacc-3 est aveugle aux inégalités.»

Des dissensions palpables entre la ministre de la Transition écologique et Matignon

Aucun fond financier spécifique ne sera créé pour concrétiser la cinquantaine de mesures du nouveau plan. Ce vendredi, le chef de l’exécutif a annoncé que le «fonds Barnier» sera abondé l’an prochain de 75 millions d’euros pour arriver à une enveloppe de 300 millions en 2025. Début juillet, dans une version qui faisait l’objet d’allers-retours entre Gabriel Attal et le ministre de la Transition écologique de l’époque, Christophe Béchu, il était question de l’abonder pour monter jusqu’à 650 millions. Par ailleurs, l’ancien locataire de l’hôtel de Roquelaure avait suggéré de constituer une enveloppe de 150 millions d’euros destinés au «soutien financier des ménages» face au phénomène de «retrait gonflement» des terrains argileux, qui menace plus de onze millions de maisons en France. Ce montant a tout simplement disparu du Pnacc-3.

«Cette question du retrait gonflement argile sera traitée dans le Fonds vert, Fonds vert qui sera le plus possible fléché vers les problématiques d’adaptation», tente de rassurer le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. «Dois-je rappeler que l’enveloppe du Fonds vert passe de 2,5 milliards d’euros à 1 milliard l’an prochain ? s’agace Quentin Ghesquière d’Oxfam. Que le gouvernement demande, par ailleurs, cinq milliards d’euros d’économies aux collectivités alors qu’elles sont les plus opérationnelles pour mener à bien les transformations ?»

Selon l’Institut de l’économie pour le climat, qui a mené en avril un premier chiffrage du coût de l’adaptation en passant en revue plusieurs secteurs, entre 1 et 2,5 milliards d’euros devraient être investis chaque année rien que dans le domaine du bâtiment neuf, 4,4 milliards pour la rénovation des logements, et au moins 1,5 milliard d’euros par an pour celui de l’agriculture. Mais les carences financières du plan n’ont rien d’étonnant dans le contexte «d’extrême urgence» budgétaire mis en avant par Michel Barnier vendredi. Depuis la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, examiné par les parlementaires, les dissensions sont palpables entre la ministre de la Transition écologique et Matignon au sujet du manque de moyens dévolus à son portefeuille. «Il faut un budget qui soit à la hauteur de la situation et ce n’est pas le cas aujourd’hui», taclait il y a une semaine Agnès Pannier Runacher sur BFM. Et de dire notamment : «Je ne sais pas s’il faut attendre encore des drames pour comprendre que c’est une absolue nécessité d’investir dans l’adaptation au changement climatique». Mercredi, le Centre d’études et d’expertise sur les risques (Cerema), établissement public spécialisé dans l’accompagnement de l’Etat dans l’adaptation au changement climatique, s’alarmait d’une baisse de 4,3 millions d’euros de sa dotation en 2025.

Des consultations avec le grand public, les organisations syndicales et patronales, et les assureurs

Et maintenant ? Dévoilé dans sa mouture «Matignon compatible», ce Pnacc-3 va désormais faire l’objet de consultations jusqu’à fin décembre. Le «grand public» pourra, au moyen d’un «site internet dédié», donner son avis sur le document (une «synthèse des contributions sera publiée», promet le gouvernement). Et des «concertations sectorielles» seront menées par différents ministères, qui auront la charge de prendre le pouls des «parties prenantes de chaque secteur» (les organisations syndicales et patronales, ainsi que les assureurs, en tête). Difficile de savoir si de réelles modifications seront apportées au document. En revanche, le cabinet du Premier ministre a déjà fait savoir «qu’aucune évolution législative n’était prévue», et donc qu’aucune mesure ne serait soumise au vote du Parlement. Un second mauvais signal envoyé, après celui du manque de gage financier.

Libération

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