Face aux violences conjugales, les policiers peinent à s’approprier les outils de protection des victimes – Libération

Face aux violences conjugales, les policiers peinent à s’approprier les outils de protection des victimes – Libération

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Le centre Hubertine Auclert présentait ce mardi 5 novembre les conclusions de son étude menée auprès de la police nationale sur l’efficacité du recueil des plaintes et de l’évaluation du danger depuis le grenelle des violences conjugales, il y a cinq ans. Des annonces devraient être faites le 25 novembre par le gouvernement.

Un point d’étape, des promesses mais surtout des points d’interrogation : que valent la grille d’évaluation du danger et le masque de plainte, ces deux outils mis à disposition des policiers quand ils accueillent une victime de violences conjugales ? Le centre Hubertine Auclert présentait ce mardi 5 novembre ses conclusions dans les locaux audoniens de la région Ile-de-France, cinq ans après un Grenelle des violences conjugales inauguré en grande pompe fin 2019.

Présente pour la présentation et la remise du rapport, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes Salima Saa a indiqué que «des annonces seront faites le 25 novembre, pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes». Interrogée par Libé, l’ancienne préfète va un peu plus loin, précisant qu’il y aura «un gros volet formation» des forces de l’ordre. «Le Grenelle était en 2019, nous sommes bientôt en 2025 et je pense qu’il y a encore des choses à faire. La preuve, toutes les femmes n’osent pas aujourd’hui franchir la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie. Encore sept plaintes sur dix sont classées sans suite.»

Obligatoires mais pas toujours utilisés

C’est que, selon travaux, menés via des questionnaires envoyés à 596 policiers et par des entretiens anonymes, l’utilisation de ces outils, pourtant obligatoires, laisse à désirer. Avec ses 23 questions, dont cinq signalées en rouge pour «caractériser» les risques encourus par la déposante, la grille d’évaluation du danger est plutôt bien connue des effectifs de police spécialisés dans l’accueil des victimes (93 %), un peu moins chez les généralistes (75 %). Mais seuls 75 % des policiers affirment l’utiliser «systématiquement», quand 7 % ne se servent jamais de ce dispositif permettant de déclencher des dispositifs de protection comme le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement.

Même constat pour le masque de plainte et ses 74 questions permettant d’appréhender la nature des violences subies, la situation de la victime et les démarches envisagées pour la sortir de cette situation. Un peu plus connu des effectifs généralistes (87 %), il n’est pas davantage utilisé : 74 % s’en servent «systématiquement» et 8 % jamais. L’outil laisse à désirer, jugent les policiers, qui regrettent des questions entraînant des réponses par oui ou par non. De quoi «cloisonner le récit des victimes», favorisant ainsi des procès-verbaux de plaintes inexploitables pour les services d’enquête.

Aussi, le masque de plainte, à travers ses questions, entraîne des réponses courtes «oui ou non» qui «cloisonnent le récit des victimes» et créent le risque d’avoir des procès-verbaux de plaintes inexploitables pour les services d’enquête. Et de devoir solliciter à nouveau les plaignantes. Un effort supplémentaire qui a un coût, juge Marion Muracciole, de l’Observatoire régional des violences faites aux femmes : «Pour les victimes, devoir recommencer l’audition peut être une source de découragement.»

«On ne nous a jamais parlé du sens de l’outil»

Et quand bien même les outils sont utilisés par les policiers, sont-ils vraiment compris ? Lors de la table ronde organisée dans la foulée de la présentation, la majore Fabienne Boulard s’interroge, après un féminicide «particulièrement horrible» constaté dans son département des Yvelines. Certes, reconnaît-elle, les outils «permettent de questionner toutes les violences pour nous mais aussi pour la victime, qui n’a pas toujours conscience de ce qu’elle a subi». Mais la policière, responsable de la délégation d’aide aux victimes de la Direction interdépartementale de la police nationale des Yvelines, regrette qu’«on ne nous ait jamais parlé du sens de l’outil». Et de prolonger, jugeant qu’on demande désormais à des policiers «généralistes» de devenir des «spécialistes» : «Nous n’avons pas de diplôme de psychologue. Il faut nous aider à traduire le danger que nous pouvons ressentir chez une victime dans la plainte afin que le magistrat le sente aussi. Ce questionnaire n’est qu’une première marche dans la procédure pénale.»

En creux, au fur et à mesure des questions posées par l’assistance et des interventions de représentantes d’associations d’aides aux victimes, c’est l’attitude des forces de l’ordre lors des dépôts de plainte pour violences conjugales qui est pointée du doigt. Quand les fonctionnaires n’en sont pas parfois les auteurs. Interrogée par Libé sur le nombre de policiers ou gendarmes condamnés ou mis en cause dans des affaires de violences intrafamiliales, la ministre Salima Saa a indiqué ne pas connaître ce chiffre. «Nous faisons des erreurs mais on les corrige au fur et à mesure des formations et si ça ne marche pas, on ira au disciplinaire, assure Fabienne Boulard. Les collègues n’ont pas le choix. Mais je préfère qu’ils comprennent, qu’ils aillent vers plus d’empathie, vers une notion fine de sentiment de danger.»

Car le plus important, a tenu à rappeler la responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, Ernestine Ronai, c’est de «permettre à la victime de se sentir en confiance». «Il est important qu’elle pense qu’elle sera crue», a-t-elle ajouté alors qu’en moyenne, un féminicide survient tous les trois jours en France. Le ministère de la Justice en a dénombré 94 en 2023, contre 118 en 2022.

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