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Trafic de drogue
Après les récentes fusillades sur fond de trafic de drogue, notamment à Poitiers, le ministre de l’Intérieur veut s’en prendre aux consommateurs. Mais au sein même de l’exécutif, plusieurs voix s’expriment en faveur de la légalisation.
Le coup de com aurait pu être parfait. Vendredi 1er novembre, au lendemain de la fusillade à Poitiers qui a tué un jeune de 15 ans, Bruno Retailleau avait préparé de bonne heure la petite phrase choc pour les caméras. «La France est en voie de mexicanisation», avait lancé le très droitier ministre de l’Intérieur. L’ancien sénateur LR avait évoqué une «rixe entre bandes rivales», rassemblant pas moins de «400 à 600 personnes», et fustigé des «narcoracailles». Mais le procureur de la République de Poitiers avait dû contredire le ministre, ruinant sa communication presque rodée. Le magistrat a pour sa part recensé une soixantaine de personnes présentes sur les lieux du drame. Selon l’avocate de la famille, le mineur tué, lui, «n’avait aucun problème de délinquance».
Si cette sortie médiatique a choqué la gauche, rejetant le terme de «mexicanisation», elle a aussi crispé une partie de la coalition gouvernementale. «C’est une honte, s’énerve le député Ludovic Mendes (Renaissance). La mexicanisation voudrait dire qu’on a des corps suspendus à des ponts ou des élus qui participent à la corruption. Ce qui n’est pas le cas, sauf si monsieur Retailleau a des informations qu’on n’aurait pas.» Au-delà du désaccord sur le terme employé, il n’y a pas de position commune non plus au sein de la macronie et de ses alliés sur le sujet plus vaste qu’est la lutte contre le trafic de drogue.
«Cartels sud-américains»
Figure de la ligne autoritaire du gouvernement, Retailleau pousse pour un durcissement de la politique antidrogue. Dans la même veine que Gérald Darmanin, qui avait lancé l’opération «Place nette XXL» – des descentes de police contre des trafiquants dans plusieurs villes de France accompagnées d’une surmédiatisation –, le ministre de l’Intérieur actuel souhaite renforcer l’arsenal législatif contre le trafic de stupéfiants, comme la création d’un parquet national spécialisé. Dans son viseur également, les consommateurs.
Le billet de thomas Legrand
Même son de cloche, bien que moins virulent, du côté du garde des Sceaux, Didier Migaud, même s’il partage peu d’idées politiques avec son collègue ministre. «[Le narcotrafic] est une menace grandissante et gravissime avec le recours aux méthodes ultraviolentes des cartels sud-américains», a déclaré Migaud ce mardi 5 novembre sur France Info. Néanmoins, au sein même du gouvernement, les opinions divergent. S’il ne s’est pas exprimé sur le sujet depuis son entrée au gouvernement, le ministre des Sports, Gil Avérous, est un fervent défenseur de la légalisation du cannabis. Avérous, qui a Les Républicains en 2023, poussait dans ce sens dans une tribune parue dans le JDD aux côtés de deux autres maires de son parti d’alors, Boris Ravignon (Charleville-Mézières) et Arnaud Robinet (Reims), jugeant même cette légalisation «indispensable». En 2023, Gil Avérous, qui était maire de Châteauroux (Indre), était d’ailleurs candidat pour expérimenter une filière locale de légalisation dans sa ville.
«Problème de courage»
Mêmes désaccords à l’Assemblée nationale. Si Emmanuel Macron et les cadres de Renaissance se sont déjà exprimés à plusieurs reprises contre la légalisation, quelques détracteurs comptent bien faire entendre leur voix. Dès 2021, quatre députés macronistes, dont Ludovic Mendes, avaient rédigé un rapport d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Rescapé de la dissolution surprise de cet été, l’élu de Moselle ne compte pas s’arrêter là. Il réfléchit déjà à une proposition de loi pour légaliser le cannabis récréatif et médical. «Quand on regarde dans le détail les études scientifiques, quand on sort du dogme politique, le cannabis est moins dangereux que l’alcool et le tabac», justifie le député, pour qui la frilosité de son camp à ouvrir le débat est un «problème de courage».
Le billet de Jonathan Bouchet-Petersen
Selon Ludovic Mendes, il s’agirait pourtant d’une des réponses possibles à apporter au problème sécuritaire posé par le trafic de drogue. «Environ 50 % du trafic, c’est du cannabis. En légalisant, on reprend le contrôle et on pourrait avoir plus de moyens pour lutter contre les réseaux», martèle le député.
Plusieurs élus du bloc central se sont exprimés en faveur d’une telle mesure, à l’image de Richard Ramos, du Modem, mais ils ne sont pas assez pour faire passer le texte au Parlement. S’ils peuvent aller chercher des soutiens à gauche, les voix à droite sont impénétrables. «La ligne de la légalisation n’est clairement pas celle de la droite républicaine», tranche le député Fabien Di Filippo (LR), avançant une «tolérance zéro à l’égard de toutes les drogues».
Les Jeunes avec Macron (JAM), eux, ont pris leur indépendance sur le sujet. «Ce qu’on a fait actuellement ne fonctionne pas, reconnaît le président des JAM, Ambroise Méjean. L’objectif de la légalisation est de casser le marché noir et de protéger les consommateurs.» La vision est largement défendue dans les rangs de la gauche. Le jeune militant s’en amuse : «Dans un récent débat sur le sujet, j’étais plus d’accord avec Louis Boyard [LFI] que Prisca Thévenot.»
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