Jade, une association qui permet aux jeunes aidants d’être «juste des ados»

Jade, une association qui permet aux jeunes aidants d’être «juste des ados»

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Le handicap au quotidiendossier

Dans le cadre de séjours «de répit», des enfants ou adolescents qui aident un proche malade ou en situation de handicap ont la possibilité, enfin, de se décharger un instant de leurs responsabilités et d’échanger sur leur quotidien.

A la sortie du collège, tous les élèves n’ont pas le loisir de flâner avec leurs amis ou de s’adonner à une activité extrascolaire. Aller à des entraînements de football, prendre des cours de danse ou de théâtre ? Certainement pas : certains enfants et adolescents ont déjà de lourdes responsabilités que l’on imagine plutôt réservées à des adultes. Un de leurs proches est malade ou porteur de handicap, et ils sont d’une aide précieuse dans leur foyer : ce sont des «jeunes aidants». Des situations qui laissent peu de temps aux hobbys et au temps libre. Pour accompagner ces jeunes et leur permettre de souffler, il existe des associations comme Jade (pour «Jeunes aidants ensemble»).

Jade propose aux enfants aidants, âgés de 6 à 17 ans, des séjours dits «de répit» pour se reposer de la vie familiale parfois chaotique lorsqu’elle est rythmée par le handicap ou la maladie d’un proche. Rien d’anecdotique : après un travail effectué avec l’université Paris Cité, la directrice de l’association, Amarantha Barclay Bourgeois, révèle que 14,3 % des lycéens sont des jeunes aidants et que ce chiffre atteint 16 % parmi les étudiants. Jade a également pu cerner les profils de ces enfants ou adolescents qui accompagnent leur parent malade : la personne aidée est, la plupart du temps, leur mère (60 %) ou un membre de leur fratrie (50 %), et 46 % des jeunes aidants assistent plus d’un proche. Une donnée plus marquante encore : seuls 44 % des participants aux ateliers de Jade «avaient conscientisé leur rôle de jeune aidant».

Noémie, 14 ans, a découvert l’association grâce à l’assistante sociale qui la suit dans son collège d’Evry (Essonne). La collégienne ne savait même pas qu’elle était une jeune aidante alors que, depuis son enfance, elle accompagne sa sœur, Jeovana, paralysée des membres inférieurs de naissance. Au quotidien, elle l’aide dans sa mobilité mais aussi dans son intimité. Au-delà de cet état des choses, sa situation est extrêmement lourde : avec sa sœur et sa mère, Ana, elles ont quitté l’Angola en 2019 dans l’espoir de profiter d’une meilleure situation pour la santé de Jeovana. Mais, cinq ans plus tard, leur demande d’asile n’a toujours pas été acceptée et elles survivent serrées toutes les trois dans une chambre d’hôtel social à Savigny. «Sans aucune ressource financière et médicale», Noémie a parfois l’amère «impression d’avoir quitté son pays et sa famille pour rien».

Souvent «déprimée» par la santé de sa sœur – qui, elle, se sent parfois «coupable» de représenter de lourdes responsabilités –, Noémie a découvert avec enthousiasme le séjour de répit estival proposé chaque année par l’association Jade en Bretagne, une région qu’elle ne connaissait pas. Pendant cinq jours, un groupe de 24 enfants et adolescents profitent d’un peu de temps rien que pour eux, loin de leur devoir d’aidants. Pourtant, Noémie a hésité à partir : sa sœur venait d’être opérée et était encore convalescente, mais Ana et Jeovana l’ont convaincue, malgré son inquiétude.

En Essonne, ce sont des séjours d’une semaine à thématique créative, pour créer des films tout en évoquant leur quotidien, qui sont proposés chaque automne. «L’approche artistique fonctionne très bien», se félicite Amarantha Barclay Bourgeois. A Lyon, Jade organise des ateliers de théâtre à destination de ces jeunes. Quelle que soit la méthode, l’objectif est simple, résume la directrice de l’association : «Donner un regain de souffle et d’énergie aux jeunes.» Permettre à des enfants ou adolescents de quitter la cellule familiale une semaine entière pour, tout simplement, «juste être jeunes, juste être ados» est capital pour ces gamins déjà quasi adultes.

Parmi les participants du dernier séjour de répit, il y avait Méloa. A 13 ans, elle est en classe de quatrième et aime «dessiner, écouter de la musique mais, surtout, être au calme et dormir» – un portrait somme toute ordinaire de jeune ado. Néanmoins, comme le raconte sa mère, Aurélie, l’emploi du temps de Méloa ne lui permet pas «d’écouter le dernier album de Billie Eilish en boucle dans sa chambre». Elle est en effet la grande sœur de deux frères dont le plus grand, à 8 ans, souffre de maladies qui prennent autant de place que de temps à la maison : il est atteint d’un syndrome rare, l’épilepsie avec pointes-ondes continues du sommeil (POCS), mais aussi d’asthme, de troubles «dys» et d’un trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

Lorsqu’un membre de la famille est malade ou en situation de handicap, Amarantha Barclay Bourgeois observe plusieurs types de réactions chez les jeunes aidants. «Certains enfants vont faire n’importe quoi pour que l’on fasse enfin attention à eux», quand d’autres, comme Méloa, vont adopter une attitude diamétralement opposée. «C’est assez féminin, comme comportement, de devenir des élèves modèles, avec des comportements d’adulte très précoces», explique la directrice de Jade qui a côtoyé un grand nombre de jeunes aidants. L’idée est, pour ces derniers, «de ne pas ajouter une charge supplémentaire aux parents».

Ce caractère purement dirigé vers l’aide se révèle lorsque Aurélie, la mère de Méloa, reprend la parole. Tandis qu’elle évoque le quotidien de leur famille, rythmé par les rendez-vous chez le neurologue, le psychomotricien ou, tout simplement, la gestion d’une crise inopinée, sa fille profite de ces quelques minutes pour aller vider le lave-vaisselle. A l’inverse d’un adolescent récalcitrant à la moindre tâche ménagère, Aurélie se sent «obligée de lui dire stop» lorsqu’elle sent que Méloa prend trop de responsabilités sur ses épaules, tout en reconnaissant le dilemme : elle serait bien en peine sans son aide.

Lorsque mère et fille ont décidé qu’elle partirait en séjour répit pendant une semaine, l’adolescente s’est donc immédiatement inquiétée des conséquences de son absence à la maison. Finalement, la collégienne n’a pas regretté son séjour. Très timide, elle ne parle pas de sa situation familiale à ses camarades de classe. Alors, se retrouver dans un groupe de jeunes vivant la même chose a été une sorte de havre de paix. Ce séjour n’était pas pour elle l’occasion de s’épancher sur ses problèmes, mais plutôt de «penser à autre chose». Pour une fois.

Libération

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