La montagne, «ça forge des valeurs que t’emmènes dans tout» – Libération

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Tout a commencé un matin de septembre, autour d’un café bien serré. Avec Samir Souadji, le directeur d’Apart, l’association de Tremblay-en-France (93) qui bosse pour ouvrir la montagne aux jeunes des quartiers populaires, on parlait de dépaysement, de sortir des sentiers battus, de proposer autre chose que ce qu’on voit déjà partout…

Le sud de la Chine nous tentait bien, mais c’est finalement le Kirghizistan qui a raflé la mise. Un contact à l’ambassade de France n’arrêtait pas de nous bassiner avec ce pays. Des montagnes gigantesques, des lacs comme des joyaux et un accueil humain inoubliable. Cela faisait rêver. Une destination inattendue, pleine de promesses. On s’est regardés, et paf, c’était réglé.

Apart a lancé un appel sur Instagram, et une vingtaine de jeunes se sont pointés. «Malheureusement, aucune fille, déplore Samir, mais on va bosser là-dessus pour la prochaine fois.» Au final, Youssef, Oussama, Zakaria, Omar, Rayan, cinq gars ultra-motivés ont été choisis. Des mecs du 93, du 92, du 95… des coins où la montagne, normalement, c’est juste une photo bien filtrée sur Insta Mais là, ils allaient partir pour de vrai. Du 20 octobre au 3 novembre, direction Bichkek, la capitale kirghize. Une nouvelle aventure pour ces néophytes de la montagne, loin de tout ce qu’ils connaissaient.

Ecole de la vie

Sur place, le dépaysement a été immédiat. Le Kirghizistan, c’est un joyau oublié. Coincé entre le Kazakhstan et la Chine, ce petit pays ressemble à une carte postale vivante : des montagnes à perte de vue, des plaines infinies et des lacs qui brillent sous le soleil. Mais ce n’est pas juste une histoire de paysages. Ce qui frappe, c’est l’harmonie humaine avec plus de 80 ethnies qui cohabitent. Ça calme, quand tu vois comment ça se passe parfois chez nous ! Là-bas, on a eu la chance de tomber sur Ulan, un guide local qui parlait français comme un livre ouvert et qui avait une humanité à en faire pâlir les plus grands. Un type qui t’invite à plonger dans son amour pour son pays. Et comme si ce n’était pas déjà assez de chance, on a eu la montagne pour nous seuls. C’était hors saison, donc les refuges étaient vides, et parfois, les gens ont même rouvert des refuges juste pour nous. Sérieusement, on se croyait presque les propriétaires de la montagne. Pendant ces deux semaines, on a découvert une vingtaine de communautés locales. Les jeunes étaient comme des gamins devant un jouet tout neuf, les yeux écarquillés. Pour Samir, la montagne, ce n’est pas qu’un terrain de jeu : c’est une école de la vie. «Même si on fait de la montagne par plaisir, on le fait aussi pour apprendre à se faire confiance. Ça forge des valeurs que t’emmènes dans tout, même dans le monde du travail», répète-t-il souvent. Et il a raison. Les chiffres parlent : tous les jeunes passés par Apart ont trouvé un job ou une formation à la clé.

Moi, je sais de quoi je parle. J’ai grandi dans une cité HLM de Seine-Saint-Denis, entourée de béton. Pourtant, en 2008, sans aucune expérience, j’ai réussi à atteindre le sommet de l’Everest. C’était un défi insensé, mais je n’ai rien lâché. Mon histoire, beaucoup la connaissent déjà, mais je la répète inlassablement aux gamins que je rencontre. Pourquoi ? Parce que je veux qu’ils comprennent une chose essentielle : même si la route est souvent semée d’embûches, rien n’est jamais impossible.

Aujourd’hui, je ne m’interdis plus rien. Et c’est ce message que je veux transmettre : peu importe d’où l’on part, ce qui compte, c’est jusqu’où on veut aller. Etre parrain de cette association, c’est plus qu’une fierté, c’est aussi une manière de dire aux jeunes qu’on accompagne : «La montagne, c’est pour tout le monde. Vous avez autant de place là-haut que n’importe qui.» Puis dans ce voyage, il y a eu le grand moment : l’ascension du mont Uchitel, à 4 540 mètres. L’ascension a commencé à la frontale, à quatre heures du matin. La neige jusqu’aux genoux, le froid qui mordait les visages. Les conditions étaient rudes, entre -10 et -20 degrés. Certains jeunes ont failli craquer, et on ne peut pas leur en vouloir. Mais ils se sont accrochés. Zakaria, 21 ans, a avoué plus tard qu’il avait pensé abandonner. Ce qui l’a retenu ? Un simple texto de sa mère : «Tu vas le faire, mon fils.» Parfois, ça ne tient qu’à ça.

Casser les murs invisibles

Quand ils ont atteint le sommet, c’était un moment indescriptible. Des larmes, des rires, une explosion d’émotions. Pour deux d’entre eux, l’ascension s’est arrêtée plus bas au dernier refuge à 3 800 m mais ce n’était pas un échec. La montagne, c’est aussi savoir écouter ses limites, respecter son corps et son esprit. Ce qui est beau dans ce genre de projet, c’est que ça va bien plus loin que le simple effort physique. Ça te pousse à te confronter à toi-même, à regarder le monde autrement. Quand tu as grandi dans un quartier bétonné, là-haut, tu respires enfin. «Ça te libère la tête», dit Samir. Et je suis entièrement d’accord. La montagne, c’est une fenêtre ouverte sur tout ce que tu pourrais devenir.

Mais soyons francs : la diversité en montagne, c’est encore pas ça. Cet été, avec Apart, à Chamonix, on était les seuls gars de banlieue à marcher sur les sentiers. C’est pas normal. Beaucoup de jeunes des quartiers populaires pensent que ce monde n’est pas pour eux. La montagne, dans leur tête, c’est un truc de riches, un sport réservé aux élites.

C’est pour ça qu’Apart a lancé le programme Apart Outdoor. L’idée, c’est de casser ces murs invisibles, de montrer que la montagne n’a pas de frontières. Apart Outdoor fonctionne uniquement avec des fonds privés, histoire d’éviter que les fachos viennent crier que l’État finance «les vacances des basanés». Grâce à des partenaires comme Arc’teryx, une boîte canadienne (plus facile de convaincre des étrangers que des Français, comme dirait l’autre), l’association organise des séjours en France et à l’étranger. Samir précise : «On veut casser les clichés et prouver que la montagne appartient à tout le monde. Grâce à ce programme, on offre aux jeunes les clés pour découvrir cet univers, en France, mais aussi à l’étranger.»

Ce programme ne vise pas seulement à faire marcher des jeunes dans la neige, il prépare aussi à la vie. «On ne fait pas que grimper, on travaille sur la discipline, la persévérance et la gestion du stress. Ces compétences sont cruciales dans la vie quotidienne et pro. Au fil des années, on a vu des jeunes changer radicalement d’état d’esprit. C’est ça notre mission : utiliser la montagne comme levier pour l’insertion et l’épanouissement.» Zakaria a trouvé les mots justes pour résumer son expérience : «Solidarité, authenticité, transmission». Et il a ajouté, les yeux qui pétillent : «Nadir et Samir ne nous ont pas juste donné un voyage. Ils nous ont offert une leçon de vie.» On lui a répondu que nous aussi, on leur en devait une. Parce que ce genre d’aventure, ça va dans les deux sens. Ce sont eux qui nous rappellent pourquoi on fait tout ça.

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