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Ce n’est pas dans les habitudes de Maxime mais ce matin, au réveil, il a pris du Doliprane. Barre qui fendait son crâne. Puis, l’ouvrier s’est dirigé vers son usine, Opella-Sanofi, à Compiègne (Oise), l’un des sites de production du médicament. Tandis que ses camarades se réunissent pour discuter de la grève nationale qu’ils entreprennent à partir de ce jeudi 17 octobre, en contestation de la vente de 50 % de sa filiale Opella au fonds d’investissement américain CD & R, Maxime, yeux couleur eau, s’est posé près du brasero. Il est tout seul avec Thierry, le collègue au «Libertad» tatoué sur l’avant-bras. Maxime parle «pognon». Que le site est «rentable» pour Sanofi, mais qu’il faut abreuver les actionnaires.
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Il retrace : «A la base, on est tous fiers de travailler pour Sanofi. Sur la ligne de production, on ne parle pas de client mais de patient, on travaille pour des gens qui sont malades.» Thierry, trente-six ans à marner ici, se souvient de la période du Covid, des quatre ou cinq lignes de production contre deux habituellement, de leur réquisition toute la semaine et tout le week-end. Maxime, la quarantaine dépassée, évoque sa famille. L’inquiétude qui l’anime quand il pense à l’avenir de ses enfants, 8 et 10 ans. Son père, l’un des fauchés de Continental, l’une des grandes luttes sociales de la région, quand l’équipementier automobile avait décidé en 2009 de fermer les portes de l’usine de Clairoix, la ville à côté. De «l’impact humain» sur plus de 1 000 salariés. Il liste d’instinct les malheurs qui ont suivi : «Des suicides, des gens qui tombent dans l’alcool, qui dilapident leur argent au bout de quelques mois, des familles qui terminent brisées.» Aussi, il parle des «frissons» qu’il ressentait en manif, les 1 000 ouvriers qui coudoient pour leur cause. «C’était il y a plus de dix ans et je m’en souviens encore.»
«La pénurie dans les officines»
Là, devant le site, ils sont une petite cinquantaine, dont beaucoup affiliés à la CFDT, le syndicat majoritaire. Adrien Mekhnache, leur délégué, pense que «Sanofi ne veut plus de nous». Il dit qu’il faut marteler une ligne, celle de ne pas être vendu à CD & R. Que les promesses, celles de la «pérennité» des emplois, encore répétées aujourd’hui par la présidente de Sanofi, «n’engagent que ceux qui les croient». C’est-à-dire pas lui, ni ses collègues. Le syndicaliste plante un épouvantail sur le piquet de grève : Donald Trump et son slogan «America first». «Le risque c’est de voir notre production délocalisée aux Etats-Unis. Macron souhaitait la souveraineté pharmaceutique de la France. Les actes doivent suivre.» Ici, ce sont 480 salariés qui sont employés. Le site produit notamment l’Allegra, contre les allergies, le Gaviscon, contre les brûlures d’estomac et, donc, le Doliprane, médicament consommé presque uniquement par les Français. «La plus grosse crainte de Sanofi avec cette grève, poursuit Adrien Mekhnache, c’est la pénurie dans les officines». Une France sans Doliprane.
Plus tard, dans la journée, des têtes ont émergé parmi les grévistes. Le député Rassemblement national de l’Oise, Michel Guiniot, à peine écouté, juste une syndicaliste qui a les larmes prêtes à ruisseler face à cette «récupération politique». Un jeune homme d’un cabinet de com de crise, lunettes extra-rondes, qui zieute les journalistes. Le site internet de son cabinet propose l’aide auprès des entreprises «durant leurs moments critiques et au travers de leurs challenges les plus rudes». Puis François Ruffin, le député NFP de la Somme, arrivé à l’heure de la pluie, qui a loué ces grévistes qui se battent pour la «souveraineté industrielle du pays», son credo politique. A Libération, il dit aussi ceci : «Le Doliprane, c’est comme le Caprice des dieux. Il y a des noms symboles comme ça, des noms qui respirent le pays. Dans l’imaginaire des Français, le médicament qui apparaît en premier, c’est le Doliprane. Tu vas pas bien ? Prends un Doliprane, même si on sait pas trop ce que tu as.» Un ouvrier, plus tôt, racontait une chose. Les boîtes jaunes connues de tous, le Doliprane qui «règne en maître» dans les petites pharmacies de chacun, la pastille gobée aussi facilement «qu’un Dragibus».
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«Qu’il en prenne une palette !»
A deux kilomètres à peine, au sortir de la zone industrielle, une pharmacie. Devant le comptoir, un vieil homme hésite. Trois ou quatre ? Ce sera quatre. La pharmacienne lui sert les boîtes jaunes et, au même instant, derrière lui, c’est une autre tête chenue qui tourne sur elle-même en soufflant bruyamment. «Qu’il en prenne une palette !» L’homme dit qu’il a dans le temps travaillé dans l’industrie pharmaceutique. Que «personne ne comprend rien à ce milieu». «Tout le monde a la frousse parce que Sanofi est soi-disant un fleuron français» mais le principe actif du Doliprane, le paracétamol, est «fabriqué en Inde et en Chine». Il a raison. Il souffle, resouffle, et tourne le dos. Il n’entendra pas le pharmacien parler de ces clients qui, depuis deux jours, comme le vieil homme, lui glissent en fin de commande : «Je prends deux boîtes de Doliprane. Au cas où.»
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