:quality(70):focal(2353x4873:2363x4883)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/KYJHVSYDLBGV3DPMZTBCWQ2YSU.jpg)
A l’appel de plus de 400 organisations, syndicats et personnalités, des manifestations contre les violences faites aux femmes ont eu lieu dans plusieurs villes de France, samedi 23 novembre. A Paris, où le cortège s’est élancé de gare du Nord direction place de la Bastille, 80 000 personnes se sont mobilisées selon les organisatrices, 12 500 selon la police. Sur le parcours ce jour-là étaient également présentes des membres du groupuscule d’extrême droite Némésis, qui se revendique d’un «féminisme identitaire». Une forme «d’infiltration» dans les mouvements féministes dénoncée par des militantes et participantes à la manifestation initiée par Nous Toutes, qui prépare un communiqué afin de dénoncer le fait que «l’Etat protège des groupes » qui n’étaient pas les bienvenus dans la manifestation «et facilite leur action de perturbation».
Sur leurs réseaux sociaux, les membres de Némésis revendiquent en effet avoir été «escortées par la police pour “éviter toute violence venant de l’extérieur”». Et d’ajouter : «En d’autres termes, des femmes dénonçant les violences faites aux femmes ont dû être protégées des milices antifas pour pouvoir défiler. Lunaire.» La vidéo qui accompagne cette publication montre un cortège de quelques dizaines de femmes brandissant les portraits de Philippine et de Gisèle Pélicot et scandant le slogan xénophobe : «Violeurs étrangers dans l’avion, violeurs étrangers en prison.» De nombreux policiers d’une compagnie d’intervention de la préfecture de police les encadrent, formant un cordon devant et sur le côté de leur cortège. Sur d’autres images, on peut entendre Alice Cordier, fondatrice de Némésis, se féliciter : «C’est la première fois que nous avons pu nous joindre à la manifestation Nous Toutes sans être victimes de violences. Vous savez pourquoi ? Parce que nous sommes encadrées d’un cordon de policiers qui sont venus nous protéger.»
«Clairement, on a l’impression qu’elles nous volent notre manifestation»
Un dispositif repéré, sur place, par les autres manifestants. Sur X, l’organisation Révolution permanente diffuse elle aussi ces mêmes images de militantes d’extrême droite avançant entourées de policiers. Révolution permanente dénonce le «pitoyable cortège de Némésis scandant “vous n’êtes pas féministes” en fin de manifestation parisienne, protégé par la police pour cracher sa haine et instrumentaliser les violences patriarcales à des fins racistes».
🔴 DIRECT I Pitoyable cortège de Némésis scandant “vous n’êtes pas féministes” en fin de manifestation parisienne, protégé par la police pour pouvoir cracher sa haine et instrumentaliser les violences patriarcales à des fins racistes.
Extrême-droite hors de nos manifs ! pic.twitter.com/lqUVta6g0n
— Révolution Permanente (@RevPermanente) November 23, 2024
Dans une vidéo du Média pour tous, le journaliste d’extrême droite Vincent Lapierre montre son «immersion chez les Némésis». Et filme comment le groupe de militantes a été abordé par les policiers, en amont de la manifestation. Sur ces images, on voit d’abord les membres du collectif se retrouver au métro Anvers, dans le XVIIIe arrondissement, à un peu plus d’un kilomètre de la gare du Nord, point de départ de la manifestation. Le groupe en marche se fait ensuite approcher par les forces de l’ordre. Un policier leur demande : «Vous êtes un groupe de 60 personnes ? Vous comptez rejoindre la manif gare du Nord ? Ok.» Vincent Lapierre commente ensuite : «Donc là, les policiers ont proposé de passer par un autre endroit. Les filles sont escortées par la police, ça c’est cool.» Les militantes se retrouvent alors rue du delta, où elles attendent aux côtés des forces de l’ordre. S’ensuit un moment de flottement, durant lequel les militantes ne savent pas dire si les policiers «savent qui elles sont». Toutes semblent surprises : «Il y a un cortège entier de policiers qui nous rejoignent pour nous escorter, dit l’une d’entre elles. Je dois avouer que je ne sais pas trop ce qu’il se passe, c’est assez fou, ça nous est jamais arrivé jusqu’ici, on pensait qu’ils allaient nous empêcher de faire l’action mais en fait non, ils viennent pour nous aider, en tout cas assurer notre sécurité.» Juste avant que le cortège ne s’élance, on entend une policière leur expliquer : «Quand le cortège va sortir, vous suivez le cortège, derrière Nous vivrons. Il est possible que [les policiers] restent à vos côtés pour vous sécuriser.»
Du côté de Nous Toutes, l’équipe organisatrice de la manifestation assure ne pas avoir été informée de la présence de Némésis. Maëlle explique à CheckNews : «On n’a jamais eu de contact direct avec elles, mais on savait qu’elles viendraient, comme elles le font chaque année depuis leur création. Cela dit, leur mode d’action a changé. Il y a quelques années, elles venaient aux manifestations féministes accompagnées d’hommes violents, ensuite elles ont mené une action symbolique en se déguisant et en portant une burqa. Maintenant – et c’est la première fois – elles essaient de s’intégrer à notre cortège et d’imposer un discours selon lequel elles participent avec nous, grâce à la protection de la police.» Maëlle note encore : «Clairement, on a l’impression qu’elles nous volent notre manifestation et cela nous inquiète beaucoup.»
Nous Toutes était également opposé à la participation du collectif sioniste Nous vivrons. Lequel avait quant à lui sollicité l’organisation pour indiquer son souhait de rejoindre le cortège principal. Le 8 mars, comme le racontait CheckNews, des heurts avaient éclaté entre des militants pro-palestiniens et le service d’ordre de collectifs de la communauté juive, dont Nous vivrons. Maëlle, de Nous Toutes, détaille : «Nous leur avons répondu qu’on ne souhaitait pas qu’elles se joignent à nous, car nous ne partageons pas les mêmes valeurs. Lors d’une réunion de préparation, nous avons dit à la préfecture de police que ces deux associations n’étaient pas les bienvenues. On ne met pas nécessairement Némésis et Nous vivrons dans le même sac, mais ils sont tous les deux, selon nous, des collectifs qui instrumentalisent les luttes féministes à des fins fémonationalistes, coloniales, racistes et islamophobes.»
«Nous les avons découvertes avec beaucoup d’étonnement»
Ainsi que le corroborent les explications de la policière dans la vidéo de Vincent Lapierre, le collectif Nous vivrons a finalement défilé ce jour-là, lui aussi derrière un cordon policier. Auprès de CheckNews, Sarah Aizenman, porte-parole de Nous vivrons, explique : «La préfecture nous a appelées et convoquées le mercredi 20 novembre. Ils nous ont indiqué qu’ils avaient identifié des menaces sur Telegram et qu’il fallait s’organiser. On nous a dit qu’il faudrait s’éloigner du cortège principal et que des policiers seraient déployés autour de nous. Le jour de la manifestation, la préfecture nous a donné rendez-vous rue du delta, pour qu’on puisse rejoindre le cortège une fois parti, à l’arrière, juste derrière le cortège des partis politiques.»
Les deux collectifs se retrouvent donc réunis par la police, dans la même rue. Sarah Aizenman précise, au sujet de Némésis : «Elles n’étaient pas avec nous mais elles étaient aussi rue du delta. Nous les avons découvertes avec beaucoup d’étonnement à notre arrivée.» Mais à l’inverse de Nous vivrons, Némésis affirme qu’aucune concertation avec la préfecture n’a eu lieu en amont. Auprès de CheckNews, Alice Cordier explique ainsi : «On n’avait prévenu personne parce qu’on avait peur qu’on nous empêche de venir. Donc seules les militantes avaient rendez-vous au métro où nous nous sommes retrouvées. De là, les policiers sont arrivés en nombre, nous ont questionnées sur notre groupe puis ils nous ont réunies rue du delta.» La militante confirme que la police a encadré leur groupe jusqu’à la fin de la manifestation, à Bastille. «On a vécu leur présence comme une protection, mais aussi un peu comme un encadrement, un contrôle, dans le sens où on aurait pas pu changer d’itinéraire si on avait voulu», ajoute-t-elle.
La préfecture de police de Paris interrogée sur ce point reconnaît qu’un «dispositif a été déployé lors de la manifestation organisée le samedi 23 novembre à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes afin de garantir le plein exercice de la liberté de manifester à toutes les personnes qui souhaitaient y participer et d’éviter des affrontements entre groupes antagonistes».
Finalement les deux groupes ont défilé à l’arrière du cortège, aux côtés d’une imposante présence policière. Sarah Aizenman : «On a refusé de manifester avec Némésis. Elles étaient derrière nous, un fourgon de policiers nous séparait.»
Leave a Comment