Lors d’une rencontre avec l’écrivain portugais Gonçalo M. Tavares, celui-ci écoute attentivement les questions posées, puis l’interprétation de son traducteur. D’une main rapide, il dessine des mots sur une feuille : “Bible”, “Biologie”, “Boucherie”, les entoure et trace des lignes pour relier les termes ou les associer à des symboles obscurs.
L’entretien se termine, et l’on regrette de ne pas avoir conservé ces schémas qui résument la conversation dans une sorte de langage scientifique. Mais ce sentiment s’estompe. Contrairement à l’écrivain, fils de professeurs de mathématiques et d’ingénieur, nous ne sommes pas doués pour les maths. Il vaut mieux s’en tenir à ses propos et à ses livres, dont le pouvoir d’évocation et la clarté profonde s’apparentent aux fables qui traversent les siècles.
Depuis une vingtaine d’années, le professeur d’épistémologie à l’université de Lisbonne construit une œuvre prolifique et protéiforme. Elle s’articule autour de deux cycles : Le Royaume, une exploration du mal au XXe siècle, et Le Quartier, ouvert avec Monsieur Valéry et la logique. Fatigué de constater, depuis le café animé de Lisbonne où il travaille, que “tout le monde pense de la même manière”, Tavares a voulu créer une cité imaginaire peuplée de “vrais individus”.
« Par sauts et hasards »
Autour de ces deux cycles romanesques gravitent des contes, de la poésie, du théâtre et des publications que l’ancien étudiant en physique, sport et art n’associe à aucun genre littéraire. “Ce qui m’intéresse, c’est l’idée d’écrire comme verbe intransitif”, avoue-t-il. “A la question “Tu écris quoi ?”, la réponse est une diminution du langage.” Il travaille souvent simultanément sur un livre scientifique, un ouvrage d’art ou un recueil de nouvelles. “En ce moment, je donne un cours sur le corps, la culture et la pensée contemporaine, j’avance par sauts et hasards”, confie-t-il. “Mon rapport à l’épistémologie est pervers, car j’aime beaucoup la contradiction, l’ambiguïté. Là réside la force de la pensée.”
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