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Avec ses ateliers de création partagée, le théâtre La Cité, à Marseille, accompagne durant deux ans amateurs des quartiers et professionnels du spectacle pour des projets basés sur les envies et les vécus de chacun. Répétition avec les jeunes danseurs de la troupe 2024-2026.
Casque de musique sur les oreilles, silhouette élancée, Isaac pousse la porte du théâtre La Cité. Le lieu, à deux pas de la place Castellane, à Marseille, lui semble déjà un peu comme «une maison». Il prend place autour de la grande table installée dans le hall, pas loin d’un canapé. Aux murs, les photos d’anciens spectacles présentés dans cet établissement qui s’inscrit dans un temps long de création. «Ici, je suis entouré de personnes souriantes, je rigole, même si je suis là pour un objectif, danser.» C’est la première fois qu’il pratique la danse en «structure», lui qui dit pourtant l’avoir «dans le sang». «En Afrique, quand tu danses, on te dit que tu ne vas rien faire de ta vie, que tu ne vas pas réussir.»
Main dans la main
Arrivé il y a deux ans à Marseille, «après avoir traversé le désert et la mer», Isaac est suivi par l’association Ramina, qui accompagne les mineurs isolés en exil. C’est ainsi qu’il a entendu parler de la création partagée d’un spectacle de danse pour la Biennale des écritures du réel de 2026, au cœur du projet artistique de La Cité. Un travail mené main dans la main entre danseurs professionnels et jeunes de 13 à 25 ans issus de différents quartiers de Marseille. La troupe se réunit pour des ateliers un week-end par mois et une semaine durant les vacances scolaires. Soit 150 heures de pratique entièrement gratuite pour les jeunes, au sein de l’établissement, en centre-ville, mais aussi dans d’autres lieux. «La richesse de ce que l’on va traverser ensemble dépend de la mixité culturelle et sociale du groupe, énonce Magda Bacha, directrice déléguée de La Cité. Les périodes de début sont très importantes. On démarre fort. On ne va pas faire que danser, on va beaucoup parler.»
«C’était grave inspirant», sourit Isaac à l’évocation de sa première rencontre avec les membres de la compagnie Dans6T avec laquelle se fait la création du spectacle. «Je suis un jeune qui réfléchit beaucoup, je cogite à tout», dit-il encore, alors parler du «sens de l’existence», cela l’a interpellé et «grave fait du bien». Il a été question d’histoire, d’identité, de religion ou plutôt, de laïcité.
«Délit de corps»
Bouziane Bouteldja, le directeur de la compagnie habituellement basée à Tarbes (Hautes-Pyrénées), a aussi raconté son parcours. «Je suis un enfant de l’éducation populaire, j’ai grandi dans les quartiers, je ne serais pas artiste sans cela», assure le chorégraphe, qui a découvert la danse hip-hop en pratiquant le breakdance avant de s’ouvrir et se former à la danse contemporaine. Mais hors de question d’asséner un quelconque savoir descendant. «On part toujours de leurs envies, de leurs musiques, de leurs vécus aussi, pour écrire le spectacle, poursuit-il. L’idée, c’est de leur faire kiffer la danse comme quelque chose de plus large que simplement mettre de la musique et bouger. C’est la compréhension du corps en mouvement, de la gestuelle. Je leur dis souvent aussi que le délit de faciès est avant tout un délit de corps.» Magda Bacha observe également comment la danse «peut concrètement servir dans leur vie» : «C’est apprendre à se défaire du regard de l’autre, à mieux se connaître, à se situer dans un rapport social.»
«Le plus beau, c’est vraiment de les voir prendre possession de leur corps et de la scène», continue Alison Benezech, assistante chorégraphe de la compagnie Dans6T, qui mène les ateliers pour la création partagée. Ils ont deux ans pour écrire ensemble une partition sur le thème «En corps ! La jeunesse». «On a vraiment envie de fédérer ça, de leur dire d’y croire, d’avoir confiance, d’y aller à fond.» Mi-novembre, un passage de relais a eu lieu entre les anciens et les nouveaux de la troupe lors d’un week-end de répétitions au centre social Del Rio, à la Viste, dans les quartiers nord. L’occasion pour les jeunes qui arrivent d’apprendre une partie du précédent spectacle, intitulé l’Echo de nos pas, pour une prochaine présentation. «On a dansé, bien mangé, parlé entre nous», résume Isaac, qui a déjà créé des liens avec d’autres jeunes de la troupe ainsi qu’avec l’équipe du théâtre. Il parle du mafé qu’il pourra leur cuisiner un jour. Les repas partagés sont aussi des moments forts. «La seule porte que je peux ouvrir facilement, c’est la danse», confie-t-il encore, avant d’ajouter : «Quand je danse, c’est comme avec le basket, j’oublie mon existence. C’est le seul moment où je suis heureux.» Alors il danse dès qu’il a un moment – il prépare en alternance un CAP en électricité et vise le bac pro l’an prochain – dans sa chambre comme dans la rue, avec, dans son casque, de l’afro ou du hip-hop et «qu’importe si les gens trouvent cela étrange».
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