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Fidèles et touristes du monde entier ne seront peut-être pas les seuls à réinvestir la cathédrale Notre-Dame de Paris ces prochains mois, après sa réouverture ce week-end. Les naturalistes espèrent aussi voir revenir les espèces d’oiseaux et de chauve-souris qui nichaient dans les nombreuses cavités du bâtiment depuis des siècles. Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux et auteur du Dictionnaire amoureux de la vie sauvage (Plon, 2024), raconte comment la cathédrale a été restaurée pour favoriser le retour de la faune qui a fui lors de l’incendie.
Avant l’incendie, Notre-Dame était une sorte d’arche de Noé au cœur de Paris, quels animaux y trouvaient refuge ?
La cathédrale a toujours été un lieu d’accueil de la vie sauvage. Beaucoup d’espèces vulnérables profitaient des anfractuosités, de son architecture extrêmement dynamique et diversifiée. Les oiseaux les plus imposants qu’on y trouvait sont les faucons crécerelles, menacés à Paris. Dans la capitale, on décompte une trentaine de couples. Ces rapaces aiment la hauteur, et faute de trouver des grands arbres ou des falaises, ils ont considéré que les cathédrales pouvaient leur convenir. A Notre-Dame, il y a eu jusqu’à cinq familles. Elles avaient notamment élu domicile dans des pinacles, des sortes de petites maisons en hauteur situées sur les côtés de la cathédrale. Avant l’incendie, il ne restait qu’un couple. Néanmoins, leur présence illustrait une renaissance car ces rapaces étaient quasiment en voie de disparition dans les années 70. Nous avons réussi à les sauver en interdisant le pesticide DDT, en les faisant sortir de la liste des nuisibles… J’espère que l’on pourra un jour installer des caméras à Notre-Dame pour observer la reproduction des faucons crécerelles, comme c’est le cas pour les faucons pèlerins de la cathédrale d’Albi.
Quels autres oiseaux retrouvait-on ?
Des étourneaux, qui se logent un peu partout, des rougequeues, des oiseaux assez familiers qui aiment nidifier à proximité des hommes, ainsi que des moineaux, dont la population parisienne a décliné de 75 % en vingt ans. Mais aussi des martinets noirs, qui mangent, boivent, font l’amour en plein vol et, le soir venu, vont dormir dans le ciel en empruntant les courants ascendants. Ils ne se posent qu’une fois dans l’année pour donner la vie. Notre-Dame est pour eux un lieu d’accueil grâce aux trous de boulins, des ouvertures carrées dans la façade qui ont permis d’installer des échafaudages pour la construction de la cathédrale et sont restés tout au long de l’histoire. C’est là-dedans que des oiseaux comme les martinets et les faucons crécerelles ont pu s’installer. C’était un refuge formidable.
Les chauves-souris étaient aussi locataires. En haut d’une tour de la cathédrale, une peinture au pochoir témoigne d’ailleurs de leur présence depuis longtemps…
Quatre espèces différentes étaient présentes sur le site. Les chauves-souris étaient dans toutes les anfractuosités possibles, et Dieu sait s’il y en avait dans la cathédrale ! Il faut quelques centimètres de creux pour qu’une chauve-souris puisse passer l’hiver tranquillement ou s’abriter. La forêt de la charpente leur est aussi favorable. Et s’il y avait eu davantage d’ouvertures, la chouette effraie, surnommée la «dame blanche», aurait aussi pu y nidifier.
La LPO dit que la cathédrale est une «pyramide écologique», pourquoi ?
Car la vie s’installe à plusieurs niveaux. C’est d’ailleurs le premier reportage que j’ai fait pour Antenne 2, en 1976 : «Notre-Dame-de-Paris : la vie à tous les étages.» Au plus haut, il y a les faucons crécerelles, au plus bas c’est les moineaux, et entre les deux, il y a les chauves-souris et les martinets noirs. Chaque espèce trouve le lieu qui lui est favorable.
Le jour de l’incendie, des nids sont-ils partis en fumée ?
C’était au printemps, en pleine période de reproduction. L’incendie est donc arrivé au pire moment pour la biodiversité. Dans les trous de boulins, il y avait des œufs, des oiseaux, une vie qui a soit péri dans les flammes, soit quitté les lieux. Cela a été d’une telle violence, d’une telle puissance que, même s’il restait des abris potentiels, les animaux ont fui la zone. Il y avait de la chaleur, de la fumée… On a vu des oiseaux tourner autour de la cathédrale et refuser de s’y poser parce qu’elle avait perdu ses capacités d’accueil. Concernant le plomb relâché pendant l’incendie, nous n’avons pas de données mais il est certain que, comme pour les humains, c’est préjudiciable pour les oiseaux. Cela dit, comme la plupart de la faune inféodée à Notre-Dame a fui après le désastre, on peut penser qu’elle n’a pas trop été affectée.
Le temps des travaux, que sont devenus les animaux locataires de Notre-Dame ?
Des faucons crécerelles ont été observés en train de tourner autour de la cathédrale. Nous espérions qu’ils trouveraient un coin pour renidifier mais ça n’a pas été le cas. Cela s’entend : les travaux ont généré un tel chantier que ça a occasionné du dérangement, or les oiseaux et chauves-souris ont besoin de tranquillité.
Qu’est ce qui a été fait pour favoriser le retour de la faune ?
D’abord, nous avons alerté les autorités pour que l’on prenne en considération la vie sauvage dans le futur aménagement de la cathédrale. Au début, le projet de reconstruction a inquiété la LPO. Nous avons négocié avec les architectes pour qu’ils permettent, à terme, d’accueillir à nouveau toutes les espèces qui fréquentaient l’édifice depuis le XIIe siècle. Très honnêtement, dans un premier temps, il y avait d’autres priorités, et on peut le comprendre, car il s’agissait de voir si on reproduisait la cathédrale à l’identique ou si on l’aménageait de façon contemporaine. Et puis, peu à peu, l’idée d’être fidèles à l’histoire et de prendre en compte la biodiversité s’est inscrite dans les consciences. C’est un joli signal, une manière de conjuguer nature et culture. A un moment de la restauration, il a été question de boucher les trous de boulins, nous avons obtenu qu’ils soient maintenus. A la LPO, nous travaillons plus largement avec le Centre des monuments nationaux pour intégrer la biodiversité dans les édifices culturels. C’est primordial car l’une des causes du déclin de la biodiversité en ville est l’architecture aseptisée : on a maintenant des bâtiments complètement en verre, fer ou béton qui n’offrent plus d’anfractuosités favorables à la nidification.
Travaillez-vous sur d’autres actions favorables au retour de la biodiversité sur le site de Notre-Dame ?
Des aménagements seront ajoutés peu à peu dans les mois à venir. Nous allons installer des nichoirs sur Notre-Dame, qui seront dissimulés aux yeux du public. Des visites techniques ont permis d’identifier et d’évaluer les emplacements potentiels. Par exemple, les lieux de nidification ne doivent pas être à proximité d’un éclairage. Il a fallu former les personnels, autant ceux de la LPO que ceux qui restaurent, pour repérer et protéger la faune. Il y a aussi des espaces verts à proximité. Le square Jean-XXIII va devenir un refuge LPO, c’est-à-dire un jardin écologique, un lieu d’accueil avec des plantations favorables aux oiseaux, à la biodiversité, des hôtels à insectes, des nichoirs… Il restera ouvert au public. C’est depuis ce lieu que pendant des années des naturalistes prêtaient des longues-vues au public pour observer la nidification des faucons crécerelles sur la cathédrale. Leur réinstallation sera sans doute progressive, en raison des travaux qui se poursuivent.
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