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Destitué en bonne et due forme. Au terme d’une procédure prévue dans la Constitution kényane de 2010, qui a abouti pour la première fois, le vice-président, Rigathi Gachagua, 59 ans, a été écarté du pouvoir jeudi 17 octobre dans la soirée. Une semaine après l’adoption à une écrasante majorité d’une motion de destitution par l’Assemblée nationale, le Sénat a jugé Gachagua coupable de «violation grave» de la Constitution, de menaces envers les juges et de pratiques politiques de division ethnique. Les allégations de corruption et de blanchiment d’argent ont en revanche été écartées.
En conflit ouvert avec le président William Ruto depuis plusieurs mois, le «DP» (deputy president) a qualifié les accusations de «pure propagande» et de «complot visant à le chasser du pouvoir en raison d’autres considérations politiques». Doté d’un solide réseau d’influence notamment dans la région stratégique du Mont Kenya, cet ancien homme d’affaires de l’ethnie kikuyu – majoritaire dans le pays – avait joué un rôle crucial dans la victoire de William Ruto face à son rival Raila Odinga (50,49 % contre 48,85 %), lors de l’élection présidentielle d’août 2022.
Mais les relations entre les deux hommes à la tête de l’Etat se sont détériorées, notamment depuis le mouvement de contestation antigouvernementale qui a secoué le pays en juin et juillet. Ses détracteurs l’accusent de ne pas avoir soutenu le Président face aux manifestations qui demandaient sa démission. Ruto est resté silencieux tout au long de la procédure de destitution, mais Gachagua clame que celle-ci «n’a pas pu» être lancée sans son accord. «Je suis désormais considéré comme une cartouche usagée, a-t-il déclaré la semaine dernière. Ils veulent m’écarter et nommer quelqu’un d’autre, au mépris de la volonté des Kényans.»
Saillies mordantes
Rigathi Gachagua, que la presse kényane surnomme «Riggy G», a vu sa popularité érodée par une économie en difficulté et une hausse vertigineuse du coût de la vie. Son tortueux parcours politique l’a finalement rattrapé. Après des études de sciences politiques et de littérature à Nairobi, puis une formation paramilitaire, le jeune Gachagua fut administrateur de district dans divers comtés de la région du Mont Kenya, à une époque où ces officiers jouissaient d’un pouvoir énorme, utilisés par le régime autoritaire de Daniel arap Moi pour museler toute opposition.
En 2001, il rejoint l’équipe d’Uhuru Kenyatta, fils du premier président du Kenya alors ministre dans le gouvernement d’arap Moi, et sera son assistant personnel jusqu’en 2006. Il se tourne ensuite vers les affaires, notamment dans le matériel médical, la construction et l’immobilier, où il amassera une fortune qu’il a estimée en 2022 à 800 millions de shillings (environ 6,5 millions d’euros) – un chiffre largement sous-évalué, selon de nombreux observateurs. «J’étais un homme d’affaires habile», s’est-il défendu la semaine dernière. En 2017, Uhuru Kenyatta, devenu président en 2013, brigue un second mandat et Gachagua un poste de député dans la circonscription de Mathira, où se trouve sa ville natale. Les deux hommes remportent leurs sièges.
Mais quand la relation se fait acrimonieuse entre Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto à partir de 2018, Rigathi Gachagua prend le parti de ce dernier. Candidat à la présidentielle de 2022, William Ruto le choisit sur son ticket, à la surprise générale. Le pari s’avère payant. Avec ses saillies mordantes rompant avec la politique classique, il jouera un rôle crucial pour retourner la région électoralement stratégique du Mont Kenya – fief d’Uhuru Kenyatta qui soutenait Raila Odinga – en faveur de Wiliam Ruto, issu de l’ethnie Kalenjin.
Un remplaçant déjà nommé
Quelques heures avant le vote de la Chambre haute, Rigathi Gachagua a été hospitalisé pour de «fortes douleurs thoraciques». Selon un médecin, son état était jeudi soir stable mais il restera en observation entre quarante-huit et soixante-douze heures.
William Ruto a nommé son remplaçant vendredi : le ministre de l’Intérieur Kithure Kindiki, 52 ans, un ancien professeur d’université devenu avocat, lui aussi originaire de la région stratégique du Mont Kenya. L’homme a été propulsé sur le devant de la scène internationale lorsqu’il a défendu William Ruto devant la Cour pénale internationale. L’actuel président y était accusé d’implication dans des crimes commis lors des violences post-électorales au Kenya en 2007, des poursuites finalement abandonnées. Kindiki a été vivement critiqué pour avoir défendu les forces de l’ordre lors de manifestations antigouvernementales en juin-juillet, dont la violente répression policière a fait au moins 60 morts.
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