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Une progression fulgurante que personne n’avait anticipée, pas même les rebelles qui mènent depuis le 27 novembre une offensive contre les forces du régime de Bachar al-Assad. Et un corollaire : une armée loyaliste qui s’effondre, sans que ses alliés russe, iranien et du Hezbollah libanais ne soient en mesure de la soutenir.
En un peu plus de deux semaines, les rebelles menés par les islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS) se sont emparés de deux villes majeures : Alep et Hama. Vendredi 6 décembre pendant l’après-midi, après une nouvelle progression d’une quarantaine de kilomètres en moins de vingt-quatre heures, ils étaient aux portes nord de Homs, cité clé sur la route de Damas qui, si elle tombait, isolerait la capitale des zones côtières et des fiefs du régime alaouite de Bachar al-Assad. Les rebelles venaient de s’emparer de Rastan et Talbiseh sans combattre, les soldats syriens censés les défendre ayant fui. A l’est, les forces du régime ont abandonné leurs positions à Deir el-Zor, laissant s’engouffrer les Forces démocratiques syriennes, commandées par les Kurdes. Face à la débâcle, la Russie a appelé ses ressortissants à quitter la Syrie. La Chine l’avait précédé la veille.
Témoignages
Comment expliquer une telle déroute ? Comment une armée de plus de 200 000 hommes peut-elle s’effondrer ? «L’une des premières explications tient à la corruption, explique Agnès Favier, professeure et directrice du programme Syrie à l’Institut universitaire européen de Florence. Les soldats sont dans une situation de pauvreté extrême, avec des salaires d’une vingtaine de dollars par mois, et de 80 dollars pour les officiers. Il y a aussi cette pratique courante de soldats qui paient leur supérieur pour rester chez eux. Des officiers qui volent le mazout. A Alep, juste avant l’offensive, les soldats manquaient de nourriture et les chars n’étaient pas en mesure de rouler, faute de carburant.»
Manque de loyauté
Avant le soulèvement de 2011, l’armée syrienne comptait plus de 300 000 hommes. Hafez al-Assad, le père de Bachar, l’avait organisée comme un moyen de domination de la population et de protection du régime, avec une surreprésentation d’alaouites originaires des villes côtières parmi les officiers. Cela a induit un manque de loyauté, qui s’est traduit durant les premières années de la révolution par des défections massives, plusieurs milliers de soldats, le plus souvent sunnites, qui ont rejoint les rangs de la rébellion ou se sont exilés. En parallèle, les innombrables milices ont pris de plus en plus de place, sapant d’autant l’autorité et l’efficacité de l’armée régulière.
Le régime syrien et son allié russe ont tenté plusieurs réformes depuis 2015. La Russie a par exemple créé un corps d’armée, le 5e, qui avait notamment pour objectif de fédérer les milices. Il a compté jusqu’à près de 15 000 hommes, payés deux à trois fois le salaire d’un soldat de l’armée nationale, et déployés à travers le pays, de Deraa, dans le Sud, jusqu’à Idlib, dans le Nord-Ouest. Mais il n’a jamais obtenu de victoire majeure, faute de moyens suffisants et de sa dépendance aux frappes aériennes. En avril, deux ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, Moscou a fait savoir qu’il allait réduire de moitié les moyens alloués à la 5e brigade.
«Le régime a lui aussi tenté de réformer son armée mais cela n’a jamais abouti», note Agnès Favier. Il y a quelques semaines, il a annoncé une refonte du système de la réserve, ainsi qu’une vague de démobilisation. Une preuve que ses services de renseignement sont totalement passés à côté de l’offensive que préparait HTS à Idlib. Ils n’ont pas vu non plus à quel point le groupe avait professionnalisé la formation de ses combattants et renforcé son arsenal.
Communication habile vis-à-vis des soldats loyalistes
L’armée syrienne fait face à une rébellion particulièrement agile et rapide. Depuis le 27 novembre, les combats les plus significatifs se sont déroulés à Hama. Les forces loyalistes, dont celles de la 25e brigade, réputée pour sa cruauté, ont tenté de tenir la ville. «Des renforts s’étaient positionnés au nord de Hama, explique Arthur Quesnay, docteur en sciences politiques à Paris-I Panthéon-Sorbonne et coauteur de Syrie, anatomie d’une guerre civile (CNRS éditions, 2016). HTS n’avait pas forcément la puissance de feu pour les repousser alors ils ont manœuvré très rapidement et les ont contournés.»
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Le groupe d’Idlib a aussi mis en place une communication habile vis-à-vis des soldats loyalistes, excluant toute vengeance et leur offrant une protection s’ils rendaient leurs armes et rentraient chez eux. Près de 1 500 auraient accepté ces deux dernières semaines, selon la chambre de commandement de l’offensive.
Le régime tente lui aussi de recruter en catastrophe. «Les remontées que l’on a, notamment de Lattaquié, montrent que finalement très peu acceptent de signer», indique Arthur Quesnay. Les soldats qui restent paraissent, eux, de plus en plus démoralisés. «Comment pourraient-ils être motivés pour défendre un régime qui les a affamés ? explique Agnès Favier. Ils n’ont plus d’espoir.»
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