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Traumatisme de jeunesse, frustrations sexuelles, besoin de soumettre une «femme insoumise»… Durant trois mois, le retraité de 72 ans a tenté d’expliquer comment il en est venu à violer sa femme durant une décennie, invitant au moins cinquante inconnus recrutés sur Internet à faire de même.
Pendant plus de trois mois, Libération a suivi le procès des viols de Mazan au tribunal judiciaire d’Avignon. Le principal accusé, Dominique Pelicot, est l’architecte d’un système tentaculaire de violences sexuelles sous soumission chimique, dans le cadre duquel il a violé et fait violer celle qui était alors sa femme, Gisèle Pelicot, par des inconnus recrutés en ligne. A ses côtés, 50 coaccusés se sont succédé à la barre de la cour criminelle départementale du Vaucluse. Libération dresse les profils de ces hommes, dont la quasi totalité étaient poursuivis pour «viol aggravé», avant le verdict prévu d’ici au 20 décembre.
Nom : Dominique Pelicot.
Age : 72 ans.
Profession : retraité.
Faits : au moins une centaine de viols sur sept ans, si l’on se réfère aux vidéos.
Statut : détenu depuis le 2 novembre 2020.
Peine requise : vingt ans de réclusion, pour «viols aggravés» mais aussi pour cinq délits connexes, notamment «administration, à son insu, d’une substance», «atteinte à la vie privée» et «diffusion d’images», celles de son ex-épouse mais aussi de sa fille Caroline et de ses deux belles-filles.
Trois mois d’audience n’y auront rien fait : prostré sur son siège rembourré – sa santé défaillante en septembre a bien failli compromettre la tenue des débats –, le regard sur ses pieds la plupart du temps, Dominique Pelicot n’a finalement pas dit grand-chose de plus devant la cour criminelle du Vaucluse que ce qu’il avait déjà raconté aux policiers dès son placement en garde à vue, le 2 novembre 2020 : «Je suis un violeur», a résumé le retraité de 72 ans dès sa première audition mi-septembre, «comme ceux qui sont concernés dans cette salle». Tous étaient parfaitement informés, martèle-t-il, que Gisèle Pelicot avait été droguée au préalable par ses soins, balayant les dénégations de nombre d’entre eux à la barre.
Ces derniers ont dressé en contre-attaque le portrait d’un «manipulateur hors pair», appâtant ses proies sur le site Coco avec la promesse d’une soirée libertine pour mieux les soumettre, une fois piégés sur place, à ses propres fantasmes. Leurs avocats lui ont reproché d’ailleurs de continuer à jouer les «chefs d’orchestre» des audiences, invité à donner sa version de l’histoire après chaque audition. Un accusé-accusateur, dénoncent-ils, pointant sa posture peu commune d’allié improbable des parties civiles, énième singularité d’un procès décidément hors norme en tout. «Manipulateur», sans aucun doute, mais aussi «colérique», «menteur», personnalité «perverse», ont abondé à la barre les différents experts qui se sont penchés sur le cas Pelicot. La clé, c’est ce «clivage» derrière une «façade de normalité», a suggéré le psychiatre Paul Bensussan, «des réalités différentes et incompatibles, qui coexistent néanmoins dans une même personnalité, d’où la cécité psychique de l’entourage».
Dr Jekyll et Mister Hyde : l’explication convient à Dominique Pelicot qui la fait sienne devant la Cour. Une façon de crédibiliser cette image de bon patriarche servie des décennies à ses proches, de «super mec» décrit par Gisèle Pelicot aux enquêteurs avant de tomber en enfer. «On ne naît pas pervers, on le devient», soutient-il, justifiant sa face sombre par les «chocs et traumatismes» engrangés dans l’enfance. Un père autoritaire et violent, un infirmier qui aurait abusé de lui alors qu’il avait 9 ans, un viol collectif auquel on l’aurait contraint à participer à l’adolescence, alors qu’il était apprenti-électricien… Seule sa rencontre avec Gisèle, rencontrée à 17 ans – «j’étais fou d’elle, c’était devenu celle qui remplaçait tout» –, leur mariage en 1973 et leurs trois enfants, lui auraient permis d’enfouir ses démons jusqu’à leur installation à Mazan une fois la retraite sonnée.
A la barre
Ses frustrations, attisées par ses virées sur les réseaux, le refus de l’échangisme et de certaines pratiques sexuelles de son épouse, n’auraient fait «qu’augmenter le fantasme, qui est devenu une perversion, une addiction», plaide-t-il encore. L’envie aussi, de soumettre une «femme insoumise» en la droguant : «J’ai toujours aimé l’inaccessible. Personne n’appartient à personne et j’ai bravé ce sentiment-là, pour pouvoir faire ce dont j’avais envie au moment où j’en avais envie. Voilà mon mobile.» S’il parle désormais, c’est pour sa «conscience» : «Je préfère la vérité au mensonge […] Je sais que je vais prendre vingt ans, j’ai tout perdu, qu’est-ce que je peux faire de plus ?»
Il n’en dira pas plus, laissant sa famille aux zones d’ombre du dossier. Sa fille Caroline, dont des photos dénudées ont été retrouvées sur son ordinateur, reste persuadée qu’elle a, elle aussi, subi des violences sexuelles. Il niera jusqu’à son dernier mot, comme il réfute les soupçons d’inceste à l’encontre d’un de ses petits-fils – une enquête est toujours en cours sur ce volet. Lors de son dernier passage à la barre, il ne fera que leur répéter ses excuses : «J’avais mesuré les dégâts, l’anéantissement [sur eux], mais à ce point non, je le regrette amèrement.»
Sans surprise, l’accusation a requis vingt ans de réclusion à son encontre, la peine maximale. «C’est à la fois beaucoup car c’est vingt ans d’une vie, quel que soit son âge, ce n’est pas rien. Mais c’est trop peu au regard de la gravité des faits qui ont été commis et répétés», a insisté la vice-procureure Laure Chabaud, en s’interrogeant sur la «persistance de ces comportements criminels sur plusieurs décennies». Depuis l’arrestation de Dominique Pelicot, son nom est évoqué dans deux autres affaires. Confondu par son ADN, il a fini par reconnaître une tentative de viol avec arme sur une jeune femme en région parisienne, en 1999. Mais persiste à nier, malgré un mode opératoire similaire, le meurtre précédé ou suivi de viol de Sophie Narme à Paris en 1991, pour lequel il est toujours mis en examen.
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