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Par Michèle Antoine, directrice du musée des Arts et Métiers.
par Michèle Antoine, directrice du musée des Arts et Métiers et photo Christophe Maout
Inscrits dans un temps long, les musées se sont souvent vécus comme des institutions hors du temps. Préservant œuvres et objets du passé et du présent pour la postérité. Leur temporalité semblait immuable. Or, l’évolution récente des réflexions autour de la responsabilité sociale des organisations (RSO) a profondément bouleversé cette vision. Les musées, eux aussi, doivent accepter qu’ils se trouvent au cœur des crises multiples que nous vivons collectivement : crise environnementale, crise sociale, crise éthique. Et ce, de manière inéluctable.
Même si les écomusées, développés dans les années 70, l’annonçaient déjà, un tournant significatif dans cette nécessaire réinvention du rôle des musées est la nouvelle définition proposée par l’Icom (Conseil international des musées) en août 2022. Ce débat, qui s’est déroulé sur plusieurs années, a vu l’introduction de concepts inédits dans la définition du musée. Des termes comme «accessibilité», «inclusivité», «durabilité», «diversité» ou encore «participation des communautés» sont désormais au cœur même de l’essence du musée. Loin d’être une simple évolution sémantique, cette transformation révèle un véritable changement de paradigme dans la manière de penser l’institution muséale. Désormais, le musée ne se conçoit plus comme le sanctuaire intemporel des objets, mais comme un acteur dynamique et ancré dans le présent, profondément engagé avec ses publics et son environnement.
Cette redéfinition marque une reterritorialisation de l’institution muséale. Elle déplace son centre de gravité vers ses publics, vers les diverses communautés qui l’entourent, et vers les enjeux contextuels de son époque. Ce déplacement invite le musée à se poser des questions existentielles : quelle est sa pertinence pour ses contemporains ? Comment peut-il participer activement à la société actuelle, dans toute sa complexité et son urgence ?
Ce défi est particulièrement prégnant pour les musées des techniques, comme le musée des Arts et Métiers, dont la collection est souvent constituée d’objets issus du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, témoins d’une époque où le progrès technique était considéré comme le principal vecteur d’émancipation et de prospérité. Or ce mythe du progrès, qui a façonné l’imaginaire collectif, est aujourd’hui fissuré, voire contesté. Les preuves de l’impact des technologies et de l’industrialisation sur la dégradation de l’état de la planète sont désormais incontestables. Les crises écologiques contemporaines, de plus en plus visibles, révèlent les limites de cette vision : les techniques, qui étaient autrefois synonymes de progrès, sont aujourd’hui vues sous un autre prisme, celui de la menace écologique.
Face à ce constat, il est impératif pour ces musées de repenser leur discours et d’engager une réflexion critique sur les technologies qu’ils présentent et leur impact sur le monde contemporain. Cette introspection doit s’accompagner d’une réflexion sur ce que devrait être la «right tech» (la juste technique) dans un monde qui doit désormais entamer une redirection écologique de ses activités et de ses modes de production.
C’est dans ce contexte général que le musée des Arts et Métiers a pris un tournant décisif en créant l’exposition Empreinte Carbone, l’expo !. En abordant de front un concept aussi omniprésent dans le débat public que mal compris dans sa complexité technique, l’institution fait bien plus que présenter des collections historiques. Elle se positionne comme un espace de réflexion critique, invitant les visiteurs à prendre part à un débat essentiel, et s’engage à réduire son propre impact environnemental à travers une démarche écoconçue, faisant de la durabilité un principe clé de ses expositions et de sa gestion.
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