EN IMAGES - Rétro 2024 : un an d’actu politique dans l’objectif de nos photographes

EN IMAGES – Rétro 2024 : un an d’actu politique dans l’objectif de nos photographes

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Dissolution, Jeux olympiques, chute de Bachar al-Assad, morts de l’année… Retrouvez tous les articles de la rétro 2024 en cliquant sur ce lien.

Des coulisses de la fabrication de l’image, à la petite phrase qui échappe aux services de presse, l’œil de Libé donne à voir et à lire l’envers du décor de la photographie politique.

Thérouanne, le 4 janvier

Le Pas-de-Calais en quatre destinations choc. Près de 100 kilomètres de routes parfois barrées. 1 h 40 pour relier le premier village au dernier. Sans compter ni le temps sur place à la rencontre des élus et des sinistrés ni les aléas de ce genre de déplacement. Autant dire que le respect de la feuille de route est vite tombé à l’eau, jeudi dernier. Couvrir pareille visite du ministre de la Transition écologique (Christophe Béchu) et du porte-parole du gouvernement (Olivier Véran), c’est passer son temps à rouler, à la traîne, à négocier avec les gendarmes pour franchir un barrage, à passer à la va-vite dans des zones ravagées par l’eau, sans rien approfondir, en attendant une image des politiques en bottes dans la flotte. Il faudra attendre le village de Bourthes. Avant, on s’arrête à Thérouanne. Le maire âgé accueille le cortège, ému, en lisant une liste des choses qui lui tiennent à cœur. La facture pour le plancher de sa salle de sports qui a pris l’eau. Son collège foutu. Une autre facture de 60 000 € pour on ne sait plus quoi. Des charges en veux-tu, de la TVA en voilà. Du concret. Ça ne plaît pas à Béchu qui est là pour prendre de la hauteur et lui fait quasiment la morale. Il n’y a pas que Thérouanne dans la vie d’un politique. Une télé a obtenu un direct. Béchu se prépare, raide, sûr de lui. Droit dans ses bottes… À côté, le maire. Il sera hors-champ lors de la diffusion. Puis reprise de l’inondation-tour au pas de charge. On décrochera avant le dernier déplacement. Rincés. Stéphane Dubromel

Clairmarais, le 9 janvier

À de rares exceptions près, les premières fois sont souvent des moments mémorables, pour le meilleur ou bien le pire. Ils donnent une autre couleur à ce qu’il s’est passé avant et à ce qu’il se passera après. Que dire du premier déplacement du Premier ministre Attal ? Pour ma part, je l’ai trouvé plutôt rapide et je dois dire que ce n’était pas pour me déplaire ; avec un thermomètre affichant – 4°C, il faisait froid aux abords du Relais du Lac… C’est dans ce véritable bar-tabac où l’on peut acheter des articles de pêche et des choux-fleurs, qu’Attal a rencontré des sinistrés. À sa sortie des lieux, le Premier ministre surprend les caméras. Il traverse la rue pour aller à la rencontre d’autres victimes de la crue qui l’attendent, frigorifiées, sur le trottoir d’en face. Il veut parler avec les «gens» et entend bien ne pas laisser les journalistes et leurs questions l’en empêcher. Ayant senti le coup arriver, je me hâte d’enjamber la barrière du jardin d’une maison et me retrouve face à lui, du côté des gens. Attal échange quelques mots avec des enfants et leurs parents, ravis, qui immortalisent la rencontre en prenant une photo. Clic-clac, c’est dans la boîte. Hugo Clarence Janody

Ermont, le 10 janvier

On se retrouve souvent au poste après une nomination. On démarre en quatrième vitesse en saturant les médias : le visage du nouveau doit effacer celui de l’ancien(ne), le plus vite possible. Alors assez vite, on bouge, on sort, on fait du bruit. La police, on y revient toujours. C’est l’ordre, la sécurité, tout ça… Et c’est facile à organiser. La hiérarchie décide et le képi s’aligne. Le communiqué de presse tombe une heure avant l’heure du rendez-vous et les journalistes déboulent en convoi. Les nouvelles têtes des équipes com’ apparaissent, sûres d’elles, le journaliste n’est pas encore trop râleur, il faut soigner un peu ses relations, au début. Tout le monde est un peu content d’être là et l’heure n’est pas encore trop grave. Le nouveau ne sait pas trop quoi dire ni quoi faire de ses mains. Alors oui, dans le commissariat, on y revient toujours vite : on écoute et on salue pour réussir l’exercice, et puis on file. Denis Allard

Paris, le 12 janvier

Dans ce cadre très orchestré d’une passation de pouvoir, je me sens trop à l’étroit. Un pupitre, deux personnalités qui prennent la parole. Peu de possibilités d’images originales. Le défi pour un photographe est une gageure : comment trouver la petite faille qui montre au-delà de l’illustration de l’événement ? Pour cela je reste attentif, l’œil accroché au viseur. Vient le moment fugace ou l’une cède sa place à l’autre. Le rire crispé d’Abdul-Malak démontre une gêne de laisser place à cette ministre politique. Dati, elle, au contraire retrouve ses habitudes derrière le micro et s’en empare avec énergie. Les corps parlent plus que les mots. Corentin Fohlen

Dijon, le 13 janvier

Samedi 13 janvier, 11 h 29, je bois un coup de blanc avec le groupe végétalisation de mon village quand je reçois un message de Libé : «Serais-tu dispo pour la visite de Gabriel Attal au CHU de Dijon à 14h ?» Illico, je fonce recharger les batteries de mon ordi et celles de l’appareil 5D, j’avale une assiette de riz réchauffé et décide de partir en petite veste, projetant d’avoir trop chaud dans les couloirs étriqués du CHU, armée de deux appareils photo et d’un sac à dos. Le rendez-vous pour la presse est prévu à 13 h 30 devant l’entrée des urgences pédiatriques. Après une inspection du matériel par l’équipe de déminage et un chien besogneux, le convoi gouvernemental n’arrive qu’à 14 h 50, je regrette amèrement d’être partie habillée ainsi par ce froid polaire. Et j’apprends que Libé et quelques autres journalistes accrédités n’ont pas été retenus pour faire partie du pool. Autrement dit, je ne suivrai pas Attal et Vautrin dans les différents services du CHU. Parmi les punis, je me retrouve à attendre enfin un peu au chaud dans la salle dédiée au point presse. Changement de programme, celui-ci se déroulera dehors. Ces 10 minutes dans la meute autour du Premier ministre fraîchement nommé seront ma seule chance de ramener quelques images au journal. Je me faufile pour me rapprocher des représentants de la nation – pas trop quand même, à Libé on aime bien le hors-champ. Et puis cette ultime photo : un selfie dérobé à la volée avec Attal, un inconnu et ma trombine cachée derrière le 50 mm. Mise en abyme hitchcockienne. Claire Jachymiak

Paris, le 16 janvier

D’habitude le matin, il y a plein de poussettes devant la porte d’entrée. Ce lundi, à 11 h 30, les journalistes s’entassent sur le trottoir d’en face. Des manifestants font du bruit, et une flotte de CRS – qui n’ont pas envie d’être là – tentent de faire régner un peu d’ordre. On se dit qu’à la place d’Oudéa-Castéra, pour rencontrer la directrice et le personnel de l’école Littré qui fait tant parler, on aurait essayé d’être discret en venant au petit matin : rien de tel qu’un peu de calme et de proximité pour réparer les pots cassés. Or, il n’en est rien. L’horaire de la visite a fuité dans les matinales radio. Du coup, tous les médias auront le temps d’arriver à l’heure, joueront forcément des coudes pour ramener une image et les manifestants auront le temps de s’organiser pour arriver gaiement. Alors évidemment, la maréchaussée est mobilisée en grand nombre pour calmer tout le bazar. Et les images sont catastrophiques pour la ministre lors de son arrivée (on est devant une école primaire tout de même). Pour finir en majesté, quelques journalistes seront tirés un peu au hasard par la police pour traverser le trottoir (quel privilège !) afin de participer à un point presse improvisé de la ministre, sous les huées des manifestants présents à quelques mètres, de l’autre côté de la rue, au moment de sa sortie. En partant, on se dit qu’on vient d’assister à un très beau happening de com’ politique complètement raté. Denis Allard

Marck, le 28 janvier

Une cérémonie des vœux à Marck-en-Calaisis, fief du député LR Pierre-Henri Dumont, cela ne se refuse pas. Surtout s’il y a de la galette des rois et des petits marckois, sorte d’éclairs au praliné vraiment délicieux. Mais une cérémonie des vœux, c’est aussi très planplan. Il y avait bien Xavier Bertrand, venu câliner la jeune pousse républicaine tout en rappelant que c’est lui le patron. Aucune image intéressante à ce moment-là. Après les discours, Dumont discute avec tout le monde. Ça dure. Je photographie l’ambiance, les mains qui se jettent sur la galette, les coupes de champagne. Rien de transcendant. J’aurais peut-être dû mettre un flash, mais comment passer après Martin Parr, photographe britannique célèbre notamment pour son utilisation du flash en plein jour ? Je me dis que Dumont va bien finir par manger une part de galette. Ce sera ça, l’image. Passionnante. Faut être patient. Et là, coup de théâtre avec l’arrivée de miss Calais et ses dauphines, dans de magnifiques tenues à paillettes. Ma fille adorerait, la robe de la quatrième dauphine ressemble à celle d’Ariel la petite sirène. Il y aura beaucoup de photos. Vraiment beaucoup. Par tout le monde. Dumont est pris au piège des filets et de l’image qui dérape. Mais le député gère bien le sourire figé de la gênance. Il me regarde, du moins c’est ce que je crois percevoir. Il sait que je sais qu’il n’en peut plus, qu’il ne peut rien y faire, et que la photo va finir dans le journal… Stéphane Dubromel

Boulogne-sur-Mer, le 16 février

Sur l’échelle de l’image «waouh», les politiques et la bouffe, c’est assez haut. Là, c’est la séquence pêche. Car il s’agit d’un reportage sur la fraîcheur vendredi 16 février, dans le port de Boulogne-sur-Mer. Fraîcheur du poisson, mais aussi du politique débarqué à 5 heures du matin à la criée, puis mis sur la glace à la halle aux poissons, puis dans un chalutier, et enfin au restaurant à 7 h 30 à avaler des poissons fumés pour tâter et humer la France qui bosse et se lève tôt. Éric Ciotti, patron de LR, et François-Xavier Bellamy, tête de liste aux élections européennes, étaient là pour parler quotas, prix. L’entente entre les deux est en surface, comme la légère houle sur la mer du Nord. Les deux acolytes jouent chacun leur partition dans son coin. Ciotti reste le patron, il s’exprime le premier, impose son personnage, tandis que Bellamy essaie d’émerger et de faire valoir son bilan au Parlement européen. Cela se voit sur les images, la distance est manifeste jusqu’à ce geste en fin de déplacement lorsque Ciotti, qui quitte l’assemblée, semble repousser Bellamy pour lui dire «petit, laisse faire les grands». Le petit poisson se fait toujours manger par les plus gros. Stéphane Dubromel

Paris, le 24 février

La visite d’un président de la République au Salon de l’agriculture est un marathon pour un photographe. Être présent pour 6 h 30, pour des raisons de sécurité. Commencer à travailler à 8 heures pour son arrivée. Et comme depuis quelques décennies chacun s’attache à battre des records de présence, cela donne des journées à rallonge. Cette année, avec la crise agricole, les habitudes sont bousculées. Réunion de Macron avec des syndicalistes, pendant que le salon vit une première. Les gendarmes et CRS sont obligés d’intervenir au sein du hall 1, celui des animaux (image inédite), pour contenir la colère des bonnets jaunes de la Coordination rurale, des jeunes agriculteurs et de la FNSEA. Un speaker annonce que le salon ne peut ouvrir au public au vu de la situation. Celui-ci ouvrira avec 1 h 30 de retard, à l’exception du hall 1 toujours dans l’effervescence des manifestants. Macron entame ensuite un débat avec une quinzaine d’agriculteurs représentant les manifestants. Échanges parfois vifs mais réunion qui se termine quand même par des poignées de mains et des applaudissements vers 13 heures. La colère ne retombe pas, le Président inaugure le Salon en coupant le ruban avec plus de 4 heures de retard, sous les huées et les «Macron démission». Le parcours sera extrêmement raccourci et ralenti de manière à tenir les officiels à distance de projectiles. L’un d’eux ose : «Mieux vaut traîner une chèvre récalcitrante parce que le Président n’en fait qu’à sa tête.» Vingt-quatre heuresplus tard, visite de Jordan Bardella au Salon de l’agriculture. Evidemment, après le chaos de la première journée et la visite de Macron, le jeune président du RN arrive en terrain conquis. Nuées de caméras autour, des militants qui scandent «Jordan Président» (Marine Le Pen aux oubliettes)… Selfie après selfie avec un sourire travaillé, Bardella parcourt les allées guidé par un parapluie jaune pour lui indiquer le chemin. Clin d’œil discret aux bonnets jaunes ? Albert Facelly

Marseille, le 3 mars

Pour son premier grand meeting de cette campagne pour les européennes à Marseille, le RN a bien cadré les horaires : portes ouvertes à 13 h 30, discours de Le Pen puis de la tête de liste, Bardella, à 15 heures. Entre les deux, 1 h 30 d’attente pour les militants. Afin de soulager ce temps incompressible, le RN a prévu une playlist enchaînant des tubes rappelant certaines fins de soirées en boîte de nuit. 30 minutes avant l’arrivée des deux politiques, le son est monté de plusieurs décibels, rendant tout échange verbal compliqué. Des militants exultent sur Depeche Mode, Téléphone, Queen, Louise Attaque (un groupe au positionnement anti-FN à la fin des années 90), quand arrive enfin le summum musical de toute soirée : Alexandrie Alexandra, par Claude François. La foule est en délire, l’avant meeting politique n’est plus qu’une grande discothèque dans laquelle dansent les bras en l’air des militants et des politiques parfaitement alignés face à l’estrade couleur bleu marine. Moment politique improbable où mon regard se pose sur ce groupe de militants et d’élus avec le sentiment que les campagnes électorales de ces prochaines années prendront une toute autre tournure. 15 heures : le son est coupé, les politiques prennent le relai, la salle se calme. Les thèmes abordés par Bardella restent dans la veine de la rhétorique du RN pour se conclure sur un feu d’artifice sur scène. Comme dans un show à l’américaine… Bien loin du «voile sur les filles» et des «barques sur le Nil». Patrick Gherdoussi

Versailles, le 4 mars

Une inscription nouvelle dans la Constitution, ce n’est pas rien, et le décorum est bien choisi. Pour les profanes, ça peut paraître un peu baroque, mais quand on y est, on comprend mieux. Dans les murs de l’Assemblée ou du Sénat, les codes sont bien connus de tous. Parfois, un peu comme à l’école, certains députés jouent avec le règlement pour se faire un peu remarquer des autres, dans l’hémicycle ou ailleurs. Mais ce lundi, quand on observe les parlementaires arriver sous des dorures versaillaises encore plus gigantesques que les parisiennes, eh bien, l’air de rien, on remarque un air beaucoup plus grave sur leurs visages. Leurs corps plus lourds bougent un peu différemment. L’heure n’est pas à la rigolade et le poids de l’institution, chacun le porte un peu sur ses épaules. Alors pour la photo, on se dit que ce serait bien d’avoir une image un peu différente, pour marquer le coup, un peu comme l’aurait fait un peintre royal à l’époque : un très grand angle pour embrasser la scène (même s’il déforme un peu tout sur son passage) et un traitement graphique aux odeurs de cire et de peinture à l’huile. Au-dessus de la présidente Yaël Braun-Pivet, trône une grande toile (d’après Auguste Couder) de la dernière grande cérémonie de l’Ancien Régime : les États généraux de 1789. Essayant de reproduire son angle, je tente vainement de trouver l’endroit où notre Auguste était placé dans la salle. Je peux toujours chercher : la scène a eu lieu à un autre endroit de la ville et en 1789, Auguste Couder était mis au monde ; la peinture, elle, date de 1839 ! Personne n’est parfait, mais pour la réunion historique du Congrès, qui a approuvé le projet de loi permettant d’inscrire définitivement l’IVG dans la Constitution, on pourra dire qu’on y était. Denis Allard

Arras, le 11 mars

To pool, or not to pool ? C’est le dilemme du journaliste accrédité à moitié. Lors d’un grand événement comme la venue d’Attal à Arras pour la cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme, les médias sont «gérés» en groupes. Deux pour être précis. Ceux qui sont dans le pool, autorisés à être au plus près du Premier ministre. Et les autres qui n’y sont pas. Ne pas en être permet parfois de faire un pas de côté, de montrer une autre facette d’un événement. À Arras, les non poolés étaient sous un barnum, sans possibilité de mouvements. Très loin des intervenants et d’Attal. Aucune émotion à photographier. Juste de petites figures perdues au milieu de la citadelle d’Arras qui semblait avaler tout ce qui se présentait. Comme si les enjeux dépassaient tout. Je remarque des coulonneux. Ce mot du nord de la France désigne des éleveurs de pigeons voyageurs. Parce que lors d’un lâcher de colombes, on lâche en réalité des pigeons. Les colombes ne volent que quelques mètres et se posent, désorientées, leur blancheur appelant les prédateurs. Pas terrible. Les pigeons eux, reviennent. En voyant ces petites bêtes dans leurs paniers en bois attendant qu’on les lâche dans la grisaille, je me dis que nous ne sommes pas si éloignés, les pigeons et nous, en ce lundi matin froid et humide dans le Pas-de-Calais. Stéphane Dubromel

Villepinte, le 16 mars

Nous sommes au Parc des Expositions de Villepinte, samedi 16 mars. Aujourd’hui, c’est la convention de l’Union populaire pour lancer la campagne des européennes. Le service de presse nous a soigneusement tenus à l’écart de la salle en attendant qu’elle soit entièrement remplie. Il ne faut pas d’images d’une salle avec un seul siège vide. Dire ce que l’on veut dire ou transcrire ce que l’on voit, c’est évidemment une question qui nous importe lorsqu’on est journaliste. Cette question m’est d’ailleurs revenue à l’esprit particulièrement dans le traitement photographique des militants politiques. L’utilisation du flash direct est-elle simplement crue ou aussi cruelle ? De quoi permet-elle de rendre compte ? Elle exacerbe l’instant, fige les attitudes, fait ressortir les détails et les défauts, ceux des vêtements, des visages, des coiffures, des expressions… Elle donne en fait un accès direct aux éléments de lecture qui m’intéressent. Tant à propos du qui sont-ils que des sentiments mis en œuvre. En l’occurrence, c’est l’entrée de Manuel Bompard sur scène qui provoque cet émoi. Évidemment, c’est un traitement que je me suis évertué à appliquer à l’ensemble de la classe politique. Démarche qui devient une forme d’étude sociologique des partisans. Un militant RN ne ressemble pas à un militant LFI qui ne ressemble pas à un militant macroniste… S’il y a un jugement porté sur ces personnes c’est celui de l’œil qui regarde et qui, instinctivement, révèle les appartenances. Nous sommes qui nous sommes. Le flash, cru plutôt que cruel. Stéphane Lagoutte

Marseille, le 19 mars

Le rendez-vous est donné tard la veille. Au commissariat Nord, le programme s’annonce simple : arrivée de trois ministres (Darmanin, Dupond-Moretti et Agresti-Roubache) à 11 heures, passage en revue des troupes engagées face au narcotrafic, de leurs saisies réalisées et remise de médailles. Mais à 10 h 45, tout est annulé par la visite surprise de Macron. Avec ces mêmes ministres, il est à la cité de la Castellane pour promouvoir la première opération «Place nette XXL». Car la cité, mondialement connue pour avoir vu naître Zinédine Zidane, est tristement réputée pour ses nombreux points de deal et ses règlements de compte. La veille, une grosse opération de police a eu lieu. Sur l’avenue Henri-Barnier, face à une des entrées entravée de gravats, le bitume a été fraîchement coulé. Une longue file de camions de CRS s’allonge. Le dispositif policier s’annonce lourd. À l’intérieur, on croise le Raid, des CRS, la BRI, des policiers encagoulés armés sur les toits, des policiers en civil, la cité est ultra-sécurisée. Chaque déplacement du Président dans l’enceinte de la Castellane est entouré par une couche de CRS. Pour moi, comme pour beaucoup de journalistes, il est difficile d’approcher Macron et les habitants au cœur de la cité. Nous sommes hors pool et accréditation de l’Élysée. On se contente d’observer les allées et venues de ces Marseillais blasés par ce nouveau spectacle médiatique : «Quand la police sera repartie, ils reviendront !» 14 heures : Macron repart pour l’aéroport tout sourire. Je vois, dans la foulée, les CRS former de longues colonnes, pour rejoindre deux par deux leurs camions garés sur l’avenue Barnier… avec le sentiment qu’ils vont laisser un vide «XXL» au cœur de la cité de la Castellane. Patrick Gherdoussi

Lyon, le 21 mars

Après presque cinq mois sans avoir pu faire de reportage, et pour mon premier rendez-vous politique, je couvre la venue à Lyon de Gérald Darmanin pour une réunion avec les militants de la majorité présidentielle, dans le cadre de la campagne des européennes. J’ai l’impression de retrouver le stress de mes débuts, la peur de rater, de ne pas être au bon endroit au bon moment, de ne pas avoir le recul nécessaire face à la situation. Après un long moment d’attente, le ministre de l’Intérieur arrive enfin dans une salle, au huitième étage d’un immeuble du quartier de Confluence, avec très peu de lumière. Et, comble pour un photographe, il se place dos à une fenêtre face à une centaine de personnes. Le stress monte encore un peu plus, je cherche le bon angle pour ne pas être gêné par ce contre-jour, dont je ne peux prendre aucun parti intéressant. Après avoir tourné autour de mon sujet, je repars assez mécontent de moi. Une fois rentré, je commence à éditer mes photos pour les envoyer à la rédaction. Et là, je découvre cette image où le ministre rit, on dirait presque un enfant avec ses épaules légèrement relevées et ses yeux fermés. Trop absorbé par mes contraintes techniques, je ne me souviens plus de ce moment ni du sujet qui a généré cette émotion. Des détails que je ne manquais pas de relever avant cette trop longue pause. Je me rends compte alors que le travail du cerveau, de l’écoute et de l’observation dans la photographie est un exercice qui doit être pratiqué au quotidien pour ne pas perdre ses réflexes et son regard. La photo, c’est pas comme le vélo. Bruno Amsellem

Montpellier, le 24 mars

Oh joie, je suis père à presque 50 ans… et pigiste ! Samedi, Libé me demande de couvrir le lancement de la campagne des européennes du Parti animaliste. J’aurais pu venir avec mon chien… mais je n’en ai pas. Je ne suis pas venu seul pour autant. Je me suis retrouvé dans l’obligation de faire mon reportage avec un «p’tit Tom», il a 9 mois. Il a passé un peu de temps au sol au début, il a commencé à faire les poches d’un militant, j’avais un œil sur lui et un autre dans le viseur de mon appareil. Comme il n’aimait pas trop que je m’éloigne, je l’ai pris en portage devant moi pour gagner en mobilité et jouer de la tétine si besoin. Il babillait gentiment et essayait de toucher l’objet étrange qu’il avait souvent au-dessus de la tête. Dans la mienne de tête, il y avait une pointe d’amusement et une bonne dose de stress. Un corps moins agile pour chercher le bon angle, des regards interrogatifs qui me suivent, des petits sourires attendris alors que je recherche la DISCRÉTION. Voici comment mon fils et moi avons vécu notre première journée «Famille en entreprise» sans même attendre le premier mercredi du mois de juin qui en est la date officielle. David Richard

Lécluse, le 6 avril

Samedi dernier, Jordan Bardella labourait les terres des Hauts-de-France en vue des européennes. Premier arrêt, le marché de Cambrai et de suite, la ruée des badauds vers le candidat RN. C’est à qui veut son selfie, sa vidéo, son autographe, son petit mot, son regard. La déambulation n’avance pas. Un photographe s’est équipé d’un escabeau pour prendre de la hauteur, les autres attendent la suite. Très en retard, le staff du RN annule la conférence de presse de midi à laquelle les médias nationaux n’étaient pas conviés… Le deuxième acte de la journée, c’est à Lécluse. 1 300 habitants. La France périphérique. En arrivant, ce sont des files ininterrompues de voitures, de gens qui se rendent non pas à la messe, mais au meeting. La salle est pleine, il y aura deux malaises, une fournaise dont on sent littéralement la brûlure du dehors, d’où beaucoup se contentent du son de ce grand raout. C’est très compliqué de se déplacer dans ce magma de drapeaux tricolores. La sécurité du RN me repère avec mon badge presse et m’oblige à me positionner au pied de la tribune. J’attends la fin. La sortie de Bardella sera digne d’une rock star dans la fosse. Je grimpe sur une chaise en plastique. Il accumule, encore, les selfies, devant une marée de téléphones. Il recevra même des fleurs, portera des lunettes noires RN 2027 pour une photo. J’ai loupé cette image. Stéphane Dubromel

Lille, le 18 avril

Après l’annulation de sa conférence sur la Palestine par l’université de Lille, puis par le préfet, la semaine dans les Hauts-de-France de Mélenchon a pris l’allure d’une épreuve de force politique. Si le meeting de Roubaix était assez classique dans sa configuration de campagne pour les européennes, la prise de parole à Lille était bien différente. Sur la place Vanhoenacker, une estrade est montée à la va-vite. Les militants se rassemblent doucement, un jeune communiste est déguisé en Lénine, il pose avec un militant tenant un drapeau palestinien et un drapeau des Insoumis. Une dame demande à un agent de sécurité si elle pourra faire un selfie «avec Jean-Luc». La sono crache du Bérurier Noir. Face à ce que Mélenchon qualifie de censure, il fallait bomber le torse. C’est toute la garde rapprochée, les poids lourds du mouvement qui sont là. Aubry, Mathilde Panot, Louis Boyard, Sophia Chikirou, Adrien Quatennens, Ugo Bernalicis, et d’autres. Ils ne prendront pas la parole. C’est un uppercut de com’ politique, où tout est fait pour la photo. Les voilà qui montent sur l’estrade avec leurs écharpes tricolores comme sur un ring. Je repense à la perquisition du siège de LFI en 2019, et Mélenchon vociférant «la République, c’est moi». Dont acte. Aucun dispositif de police sur place. Aucun trouble à l’ordre public. La démonstration est faite. Stéphane Dubromel

Marseille, le 21 avril

Cet après-midi du 21 avril, à Marseille, une trentaine de militants de LFI investissent la cité Air Bel dans le 11e arrondissement. But de l’opération : un porte-à-porte afin de mobiliser l’électorat des cités pour les européennes. Pour Libé, je suis chargé de suivre un candidat Insoumis : Mohamed Bensaada. Pas d’autre journaliste présent sauf ma collègue rédactrice et moi-même. Le rendez-vous est donné devant le centre social d’Air Bel. Dans la foulée des militants, arrivent le député Sébastien Delogu accompagné de Rima Hassan, 7e sur la liste LFI. Après avoir participé à la manifestation de soutien aux Palestiniens, ils sont venus prêter main-forte au candidat local. Leur présence est remarquée. Ils sont souriants, d’humeur légère et plaisantent avec les militants. Une complicité ressort de ce duo. Pendant qu’ils se fraient un chemin, je suis en train de me concentrer sur Bensaada, essayant de le capter au milieu de tout ce monde. Mais je suis vite distrait par la voix de Hassan à quelques mètres de moi et qui interpelle le député LFI : «On se fait une marelle ?» Dans la foulée, je la vois sautiller à cloche-pied sur le jeu dessiné sur le sol de la cité. Je me rapproche précipitamment au travers des nombreux militants pour me retrouver juste à temps au pied de la marelle. Je cadre à la volée et finis par saisir la progression du député devant l’avocate, le tout sur une quinzaine d’images. Je sais que la photo que je retiendrai ne sera pas parfaite mais je sais qu’elle traduira un moment particulier. Car ce genre de scène est devenue improbable dans un milieu politique contemporain où le contrôle de l’image est un mot d’ordre. Je les salue tous les deux juste après, me présentant auprès de Hassan que je rencontre pour la première fois. Elle a encore un sourire amusé lorsqu’elle comprend que je ne suis pas militant mais photographe de presse… Patrick Gherdoussi

Strasbourg, le 24 avril

Ça faisait longtemps que je n’étais pas allé à un meeting du PS. Cela se passe salle de la Bourse, à Strasbourg, 400 places environ. Les portes ouvrent 15 minutes avant, ça a l’air d’être tranquille. Cependant, je reçois des messages WhatsApp du service de presse, avec le dispositif prévu, la «gestion» des journalistes, comme si on était en campagne présidentielle dans un Zénith. Il est même prévu des tours de prises de vues, pour ne pas qu’on se bouscule… En arrivant, on me réexplique le dispositif. Je tente une blague : vous avez ressorti la corde de François Hollande ? On me regarde stupéfait. Ils n’ont pas l’air d’avoir la ref. Je me vois alors comme un photographe sorti du Néandertal de la politique, à l’époque où baguenaudaient les éléphants du parti. J’explique donc ma blague, c’est toujours un peu humiliant d’expliquer ses blagues quand personne ne les comprend : jadis, lors d’une des dernières campagnes victorieuses du PS, une corde avait été sortie pour garder les photographes à bonne distance du futur Président. Tout le monde devait être derrière, de sortie en sortie c’était devenu un genre de punition : «Attention si vous êtes trop près on sort la corde !» Ça s’est terminé en grosse blague quand à la fin du mandat il n’y avait plus personne et qu’on se retrouvait à 3 photographes. Cet accessoire a donc l’air d’avoir été perdu dans les cartons de déménagement de Solférino, et c’est bien ainsi. On s’allume une clope et évidemment, voilà notre homme du jour. Il regrette de ne pouvoir en fumer une avec nous. Il se cache pour cloper, ça ne doit pas faire cool, bref. C’est parti pour un peu de marche à reculons de photographes, devant la marche en avant du candidat. Au milieu de la soirée, je me dis que la particularité de Raphaël Glucksmann, c’est d’avoir toujours l’air d’être content, mais vraiment. Il a l’air de vivre sa meilleure vie, il est heureux sur toutes mes photos. Je me dis que même au Néandertal, je n’ai pas vu ça souvent. Pascal Bastien

Perpignan, le 3 mai

Quand l’extrême droite plante un arbre de la liberté d’expression parmi des monuments aux morts, on appelle ça un acte manqué ! J’arrive à Perpignan pour couvrir un salon du livre nommé pompeusement Premier printemps de la liberté d’expression. Il se déroule au Palais des Congrès. L’asso qui le porte est financée entièrement par la municipalité RN de Louis Aliot. Je connais bien ce lieu, j’y suis venu de nombreuses fois pour le festival international du photojournalisme Visa pour l’image, haut lieu de la liberté d’expression s’il en est. Mon reportage commence à 14 heures avec la plantation de l’arbre de la liberté dans le parc qui jouxte le Palais des Congrès. Je me dirige sur les lieux, l’arbre est là devant moi : c’est un ginkgo biloba. La seule essence qui a survécu à la bombe sur Hiroshima. Je regarde autour de moi : un vrai champ de bataille, 5 monuments aux morts et plaques commémoratives entourent l’arbre. Étrange choix… Un des invités de cette cérémonie parle avec Éric Naulleau, qui préside l’événement : «Je vois qu’une guerre mondiale ou une guerre civile, pour remettre les compteurs à zéro.» Naulleau acquiesce en déplorant quand même le coût humain. David Richard

Marseille, le 8 mai

Ce 8 mai, l’arrivée de la flamme olympique dans le Vieux-Port à bord du Belem est une occasion de plus pour Macron de venir dans la cité phocéenne. Pour les photographes de presse qui couvrent l’événement olympique, sa présence passe au second plan devant l’immense liesse populaire autour du 3 mâts. Et pourtant, la journée présidentielle était ponctuée de rendez-vous. Ceux liés aux commémorations de la capitulation allemande, et ceux mettant en avant ses priorités du moment : le sport et l’économie. Couvrir tout cela m’aurait forcé à négliger l’aspect populaire de cette journée. C’est donc d’une estrade placée au milieu de la foule et face au ponton où doit accoster le Belem que j’assiste à son arrivée quai des Belges. Je ne le vois pas immédiatement. Ce sont des sifflets hostiles qui me mettent en alerte. Même si ces huées sont vite couvertes par des applaudissements… destinés à 3 vedettes du foot marseillais (Eric Di Meco, Basile Boli et Didier Drogba) présentes sur scène au même moment et à quelques mètres du Président. Dans mon téléobjectif, il est difficile pour moi de l’apercevoir. Mais il est assez facile de deviner où il se trouve grâce aux gardes du corps qui l’entourent et aux deux perches de technicien du son qui le surplombent. Entre deux poignées de main, le coup de chance arrive. Les gardes du corps s’écartent. Une seconde, peut-être deux. J’ai enfin Macron dans le viseur. Il salue des personnes. La scène est rapidement brouillée par sa garde rapprochée. Je finis par détourner mes objectifs vers le grand final de cette journée : le Belem, la patrouille de France et Jul. Plus tard, en choisissant mes images, je m’aperçois que je ne distingue le visage présidentiel que sur deux photos. Petite cerise sur un gâteau de fortune, la personne saluée par Macron n’est autre que Tony Estanguet, l’architecte des JO de Paris. Patrick Gherdoussi

Paris, le 22 mai

Beaucoup de médias hier soir, autour de la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris. De militants socialistes aussi. Lionel Jospin est venu soutenir le candidat PS aux européennes Raphaël Glucksmann, dans une opération de tractage. Tout au long de la déambulation, de bars en bars, des visages surpris, mais plutôt bienveillants à l’égard de l’ancien Premier ministre. La nuée de caméras et de journalistes oblige le candidat à s’excuser : «Désolé, vous buviez un coup tranquille.» Un consommateur répond sur le ton de la plaisanterie : «Et là on se laisse emmerder…» Au bistrot suivant, Jospin lance à nouveau : «Désolé, on vient troubler votre apéro, du coup vous allez voter contre nous !» Une jeune femme rétorque : «Ah non ! Je vote pour vous !» Un peu plus loin, on invite le duo à une partie de Uno… Un «Oooh Lionel !» affectueux résonne dans la rue, lancé par un motard. Je ne me souviens pas d’un Jospin aussi souriant et détendu durant ses années de mandature. L’ex de Matignon a été bien accueilli dans son ancien fief électoral. Albert Facelly

Marseille, le 23 mai

Le meeting de LFI se déroule dans un quartier improbable, au nord de la ville, entre industries et zone commerciale. 30 minutes avant le début, il reste une grosse centaine de personnes devant l’entrée, sur un parking au milieu de nulle part. Arrivé un peu en avance, je constate que la salle est comble. Je décide d’aller photographier les militants qui se massent dehors. Soudain, Jean-Luc Mélenchon fait son apparition. Il se positionne juste à côté de moi. Une proximité inhabituelle dans les meetings LFI où la presse est généralement gardée à bonne distance. Il explique avec bonhomie et satisfaction à la foule qu’elle devra suivre l’évènement sur un écran de télévision disposé sur le parking. Je suis coincé entre un mur et Mélenchon, surpris par cette promiscuité, le temps d’ajuster un cadre. Alors que tout photographe cherche à s’approcher du sujet, je rêve là, exceptionnellement, de faire deux pas en arrière pour avoir un cadre parfait. Olivier Monge

Roubaix, le 23 mai

Un tête-à-tête photographique avec une personnalité politique, c’est une chasse où les protagonistes sont visibles en permanence. Dans un meeting, lorsque la presse est là en masse, on est noyé et le photographe peut devenir invisible. C’est un atout. Ce n’était pas le cas lors de ce reportage avec David Guiraud, député LFI de Roubaix. Il peut contrôler son image. Même lorsqu’une séquence sort des sentiers battus, qui sait s’il n’est pas encore dans la maîtrise, en donnant un truc différent qui va satisfaire la presse, et lui aussi finalement ? Tout cela est-il vraiment spontané ? Dans ce bureau d’une association de Roubaix, c’est l’univers geek. Un écran d’ordinateur énorme qui laisse rêveur le député, des figurines de manga. Cela parle à Guiraud, lui-même amateur de cet univers – on l’a vu récemment lorsque le député a un diffusé sur les réseaux un extrait du manga One Piece, accompagné d’une expression utilisée par des antisémites pour cibler les personnes de confession juive. L’échiquier attire son regard, il contemple le superbe objet et déplace quelques pièces. Il tombe un peu le masque, ce n’est plus le député mais le joueur. Quoi de plus métaphorique de la politique que le jeu d’échecs ? Avancer une pièce pour en prendre une autre, faire tomber les rois et reines. Ce que Guiraud aimerait faire avec la mairie de Roubaix lors des prochaines municipales en 2026. Pour cela, comme aux échecs, patience et stratégie sont nécessaires. Stéphane Dubromel

Boulogne-Billancourt, le 30 mai

«On n’est pas ici pour la com’ ! On n’est pas ici pour faire votre com’ !» Dans le rassemblement pour la Palestine et contre l’interview du Premier ministre israélien sur LCI, une voix de femme se dégage juste à côté de moi et s’adresse à Sébastien Delogu, qui enchaîne les selfies dans la foule. Le député LFI finit par arriver devant elle, un peu interloqué. «Vous ne trouvez pas que j’en ai déjà fait assez pour la cause ?» «On peut toujours faire plus !» Et lui de répondre avec un ton flatteur, tout sourire : «Mais alors, dites-moi quelle est la voie, et je vous suivrai. Qu’est-ce que je dois faire ?» «Juste parler de la Palestine.» Mais vite, des personnes autour se pressent : «Tu as eu ton selfie avec lui ? Vite, après c’est à moi.» Ce sentiment d’assister à une opération de communication, je l’avais déjà eu quelques minutes plus tôt, quand Delogu était juché sur les marches du perron du stade Pierre-de-Coubertin, aux côtés d’autres députés LFI. Avec son mégaphone, il demande le silence aux centaines de personnes présentes pour pouvoir se filmer lui-même, et leur demande de faire du bruit quand il tourne l’objectif vers eux. La ferveur est là, je lève mon appareil, comme toutes les personnes autour de moi, le bras tendu. La vidéo est postée sur Snap, TikTok et Insta. Pendant qu’un drame se produit, des célébrités se font. Cha Gonzalez

Aubervilliers, le 2 juin

Dernier meeting écologiste, à une semaine des européennes. Au micro, les cadres principaux du parti défilent. La foule, comme sur un ressort, se lève et agite ses drapeaux. Pendant deux heures, je cours partout, multiplie les points de vue de ce rassemblement bien orchestré. Je participe à la danse, mais je n’arrive pas à enlever de mon esprit la défaite annoncée de la gauche dans ces élections. Bientôt, le discours de Marie Toussaint se termine, et tous les invités des premiers rangs se réunissent sur scène. La candidate monte sur une chaise pour prendre un selfie final avec toute l’assemblée. Je traîne encore un peu, et je vais au coin presse trier mes photos. Au bout d’un moment, tout le monde a quitté la salle à part les journalistes et les attachés de presse. Je lève le regard de mon écran d’ordinateur, et je vois sur la scène cette chaise solitaire où la candidate s’était hissée. Je remets la carte mémoire dans l’appareil et je déclenche. L’attaché de presse arrive vers moi : «Vous n’allez quand même pas prendre la salle vide !» La salle, non. J’ai juste peur que la gauche elle, perde des sièges au Parlement européen. Cha Gonzalez

Paris, le 2 juin

Lors de la campagne présidentielle de 2017, nous avons regardé avec amusement l’arrivée des séances de selfies après les meetings. C’était chaotique, les militants et partisans tournaient le dos à leur candidat sans même prendre le temps de le saluer pour graver ce moment dans leur smartphone. À cette époque, je me posais la question de l’inversement des valeurs entre l’importance de vivre l’instant et sa mise en mémoire. Nous sommes en 2024, lors du dernier meeting de la campagne pour les européennes de Jordan Bardella. Il se livre à cette nouvelle tradition du selfie de fin de meeting. Mais cette fois, bien que les téléphones se tendent et que les gens se pressent à la rencontre, fini le chaos. Dans sa tentative d’ultra-contrôle de l’image, le candidat d’extrême droite s’empare systématiquement des téléphones pour déclencher lui-même. Cela me frappe, son visage change du tout au tout en une fraction de seconde, le temps d’arborer un sourire maîtrisé à la perfection au moment du clic. Que cela soit dit, chaque selfie qui tournera sur les réseaux sociaux des sympathisants, à l’image de cette photo de fond de scène, devra être valorisante et flatteuse. À un moment, j’entends une jeune femme lui demander de refaire l’image. Et lui de répondre : «Non, c’est une seule photo par personne.» La spontanéité qui donnait un peu d’humanité à ce moment a bien laissé place au jeu de la communication. Autrement dit, plus le fond est vide, plus la maîtrise de la forme a d’importance pour le cacher et dévier le regard. Stéphane Lagoutte

Le Cannet, le 5 juin

Le meeting de François-Xavier Bellamy au Cannet, mercredi, était annoncé comme le point d’orgue de sa campagne pour les élections européennes. Le décor moderne était soigné à coup de vidéo-projections parfois animées en rouge et bleu, et de néons blancs soulignant l’avancée de la scène au milieu du public. Des affiches au nom des différents groupes militants étaient visibles sur les sièges. «Var», «Hautes-Alpes» et surtout, sur deux rangées placées de part et d’autre de la scène, «Jeunes LR». Mais en arrivant à la salle de la Palestre, c’est surtout l’âge avancé de la majorité des participants qui m’a sauté aux yeux. L’entrée des pontes LR se fait sans grande bousculade. Les jeunes au premier rang agitent gentiment leurs drapeaux tricolores et européens et scandent le nom de Bellamy, envisageant parfois un selfie ou deux mais sans plus de convictions. Les images pour la com’ de LR se font à ce niveau. Sans surprise. La température est légèrement plus élevée à quelques rangs de là. Je remarque un groupe de personnes âgées, essentiellement des femmes qui manifestent bruyamment leur ferveur. Le candidat me tourne le dos et continue de saluer les jeunes participants. Dans mon viseur, j’aperçois essentiellement sa coupe de cheveux toute fraîche et parfois son sourire de jeune premier. La façon dont le personnage se penche vers les militants m’interpelle. Il est chaleureux. Mais je ne retrouve pas l’atmosphère de ce meeting. Accompagné d’Éric Ciotti, il finit son bain de foule en faisant un détour devant les groupies que j’avais repérées. Tout d’un coup, les visages de ces dames se transforment, comme devant une apparition divine. Au cœur de son électorat, Bellamy est aux anges. Pour ma part, je reste terre à terre et en trois déclenchements, j’obtiens la photo que je cherchais : Bellamy, le jeune LR des européennes devant le visage de ses électeurs. Patrick Gherdoussi

Paris, le 12 juin

Branle-bas de combat chez les élus LR… et chez les journalistes chargés de courir derrière eux autour du Musée social, où ses cadres se réunissent pour virer Ciotti. Certains techniciens regrettent d’avoir accepté la pige car le séisme de la veille qui fait encore trembler les couloirs du parti se réplique sur le trottoir : la désorganisation est totale. Les élus arrivent de partout, une conférence de presse est improvisée sur un trottoir, et le bal des caméras-perches-micros-appareils photos rejoue son ridicule bal du n’importe quoi /chacun pour soi pour ne pas manquer son cadrage ou sa prise de son. Certains vont même jusqu’à monter sur le toit des voitures pour y voir plus clair, beaucoup se chamaillent et d’autres distribueront quelques coups plus rudes qui iront chatouiller quelques narines innocentes. On croyait la campagne terminée, elle ne fait que commencer. Denis Allard

Amiens, le 12 juin

Arrivée dans les quartiers d’Amiens Nord pour le lancement de la campagne de François Ruffin, j’erre un peu au milieu des caméras et autres collègues de la presse qui sont venus en nombre. Des cameramen se sont installés devant la tente blanche posée dans un coin sombre qui servira au discours de Ruffin. On se fait une réflexion avec un autre photographe : «Y’a plus de médias que de gens…» Mais les gens arrivent. Petit à petit. Et tout d’un coup ils sont plusieurs centaines. Des gilets jaunes, des antifas, des femmes au foyer, des écolos, des socialistes, des LFI, des personnes précaires, du quartier, et des personnes plus aisées. Ruffin fait son arrivée, traversant la foule, serrant les mains les unes après les autres, les caméras en grappe autour de lui. Il regarde le spot qui a été installé pour son discours d’un air dubitatif, et dit à son assistant que non, il se mettra là, devant, sur un banc. Il crie : «Je veux pas de caméras devant moi, je veux des gens, donc les caméras, derrière !» Tout le monde s’exécute. Je tourne autour de ce banc pour avoir le maximum de points de vues, jusqu’à cette image où on voit bien l’éclectisme de la foule, et un Ruffin qui pourrait presque être n’importe qui. À la fin, je lui dis : «Bien vu de faire reculer les caméras, pour les photos c’était beaucoup mieux.» Il me répond : «C’était pas pour les photos, c’était pour moi : je ne parle pas pareil quand je m’adresse à des gens et quand je parle à des caméras.» On y aura tous les deux trouvé notre compte. Cha Gonzalez

Marseille, le 19 juin

C’est à Marseille que Raphaël Glucksmann fait son retour après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée. Il vient soutenir les candidats de la 1ère et 2e circonscription des Bouches-du-Rhône. Dans la seconde, où le RN fait près de 38 %, l’accueil est rude et le dialogue compliqué, voire impossible. Tout le monde s’y attendait. Dans la première, face à la plage des Catalans (quartier «acquis» à la gauche), les échanges devaient être plus favorables à l’eurodéputé. Assis à la terrasse d’un café, il déroule ses arguments au côté du maire Benoît Payan et du candidat du NFP, Laurent Lhardit. Juste avant les prises de parole, une femme que j’avais photographiée il y a une vingtaine d’années et que je croise régulièrement sur des manifs et des campagnes électorales, s’installe face au candidat. On discute souvent. Elle est de gauche, elle soutient LFI. En lui disant bonjour, je sens qu’elle est en colère. Elle laisse les politiques s’exprimer. Une fois les discours finis, elle s’approche de Glucksmann. Le fondateur de Place publique fait une drôle de tête, tente de s’isoler avec elle, esquive les micros. Ils finissent par rentrer dans le café et s’asseoir l’un en face de l’autre, comme n’importe quels clients. La scène me surprend, et attire mon regard. On ne voit pratiquement plus de politiques parler face à face avec un électeur, sans journaliste autour. Je choisis de ne pas m’approcher. De l’extérieur, je n’entends pas leurs échanges. Je ne vois que leurs visages. Elle est en colère. Il écoute. Ils argumentent. Elle répond. Il sourit parfois. Elle a une expression de tristesse. La discussion finie, j’interpelle cette personne. Elle reproche à Glucksmann ses prises de position face à LFI : «Je lui ai dit que j’avais un nom juif, il m’a dit qu’il s’appelait Glucksmann, je lui ai répondu que c’était à lui d’affirmer au Front populaire que soutenir le peuple palestinien n’est pas de l’antisémitisme.» La tristesse s’éloigne, la colère reprend le dessus. Une autre discussion s’engage avec une militante du Front populaire. À gauche, la campagne pour l’union est rude, mais le dialogue est possible. Patrick Gherdoussi

Treignac, le 23 juin

En 2007, dans cette même contrée de Corrèze, j’avais suivi la campagne de Ségolène Royal pour la présidentielle. J’avais pu me rendre compte que si aller sur le terrain pour un politique est essentiel, cela reste un exercice difficile. Sur ces terres socialistes, François Hollande est chez lui. À l’aise avec tout le monde, sa jovialité et sa bonhomie lui permettent une proximité que d’autres n’ont pas. Toujours d’accord pour un selfie ou une photo, il n’hésite pas à devenir le chef d’une troupe de majorettes en tenant le bâton. L’image, toute simple, fait sourire. Le commentaire de Hollande également : «Il faudrait que Jean-Luc Mélenchon voie ça, ça l’apaiserait, il serait plus tranquille.» Un bâton de majorettes est aussi important pour certains qu’un bâton de maréchal pour d’autres. Pascal Aimar

Tourcoing, le 26 juin

Le téléphone sonne. Le service photo de Libé me demande de retrouver Darmanin à Tourcoing, dans le cadre de sa campagne pour la 10e circonscription du Nord. On me laisse entendre qu’il est d’une humeur à monter sur les tables. Avec ma consœur, nous retrouvons le candidat au Saint-Anne, un PMU qu’il dit affectionner et où les clients sont contents de voir le ministre débarquer. Deux cafés plus tard, le candidat nous emmène en promenade dans les rues de Tourcoing. Le message est simple. Darmanin est un homme du peuple. Il se balade en jeans dans sa circo et connaît presque tout le monde dans la rue. Du boucher au chauffeur de bus, tout le monde lui dit merci ou veut taper un selfie. Étant le seul photographe, l’exercice est à la fois plaisant et laborieux. Les situations se répètent et rien ne semble venir perturber cette journée heureuse si ce n’est un soleil de plomb. Arrivé sur le parvis de l’église de Tourcoing où a lieu une bénédiction de voitures, j’espère une photo qui ne viendra pas et me résigne à accepter la bière offerte par le candidat pour noyer ma peine et me désaltérer. Il m’invite cordialement à la boire avec lui et son équipe mais je préfère rester en retrait pour tenter de me faire oublier, sans réel succès. La séquence suivante a lieu devant la salle communale de Linselles où le ministre prend la parole avec son suppléant et actuel député de la 10e circonscription du Nord, Vincent Ledoux. Tandis que la séance de questions s’éternise, le candidat s’autorise un petit ravitaillement en chips au buffet situé juste derrière lui. Visiblement, la campagne ça creuse. Quand vient enfin le moment de partager un verre, il est le premier à se jeter sur le saladier dans lequel il ne cessera de picorer compulsivement des chips, une à une, tout en répondant aux sollicitations des gens. L’événement touchant à sa fin, une membre de l’organisation demande au candidat : «Gérald, tu en veux encore ?» Il répond : «Non, il faut s’arrêter à un moment.» Hugo Clarence Janody

Hénin-Beaumont, le 30 juin

L’endroit se nomme la salle de l’abbaye. Un bâtiment flambant neuf, inauguré l’année dernière. Sur la façade, une plaque rappelle le moment, avec le nom de Le Pen dessus. À l’intérieur, pour la soirée électorale du RN dimanche, c’est un sabbat maléfique où bouillonne un brouet de sorcière dans une lumière rouge inquiétante. Les gens ont chaud, la buvette est prise d’assaut. J’ai toujours un temps d’adaptation lors d’un grand raout comme cela et reste dans un coin le temps de rentrer dans l’ambiance, d’avoir une vue très subjective sur l’événement. Je discute avec un collègue. Devant nous, une jeune fille joue avec un drapeau tricolore et le met sur sa tête, me fixe l’air grave. Je déclenche. Elle rigole et fait un duckface juste après. L’image est décomplexée un soir comme celui-là. Je trouve ce rouge affreux dans un premier temps, mais le regard de l’éditeur de Libé m’ouvre les yeux sur la pose picturale et les yeux incandescents. Ce rouge baveux s’est incrusté dans ma rétine, comme un présage de ce qui attend le pays en cas de victoire de l’extrême droite. En repartant, un homme en fauteuil roulant électrique avance seul et téléphone dans les rues d’Hénin-Beaumont. «J’étais au truc du RN, là. Y’avait Marine. C’était sympa. C’était bien.» Une soirée normale. Rien qui ne fasse peur. Stéphane Dubromel

Paris, le 9 juillet

À Versailles, lors de la séance royale du 23 juin 1789 pendant les États généraux, le roi demande aux délégués de s’en aller mais n’est suivi que par la noblesse et une partie du clergé. Le tiers-État reste immobile. Le roi insiste, on lui rétorque : «La Nation assemblée ne peut recevoir d’ordre.» Puis Mirabeau se serait avancé pour dire : «Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes.» Alors quand les nouveaux députés LFI posent devant le bas-relief de Jules Dalou avant de visiter l’hémicycle, on se dit qu’en politique, le combat des idées ne s’arrête certainement jamais. Et puis surtout, pour un photojournaliste, se souvenir qu’une image est un ensemble de plans et qu’un communicant ne fait jamais poser ses clients au hasard pour une belle lumière. Le cadre, autre combat à ne pas négliger. Denis Allard

Autun, le 30 août

Nous sommes dans la première université d’été du Laboratoire de la République à Autun. Des écrivains et intellectuels, d’anciens humoristes, des chalands y embarquent sur le bateau laboratoire d’hommes politiques déchus. À la toute fin, quand Blanquer fait l’ultime discours, je tente une image en plan large avec ces plantes éclairées au LED qui entourent la scène. Je déclenche quand il écarte les bras dans un mouvement rapide. Je n’aime pas cette image dans sa forme. Mais elle porte une symbolique qui me plaît particulièrement et au fond reflète mon sentiment du moment. Pendant ces deux jours, j’ai senti très fortement l’entre-soi. Comme une bulle qui se parle à elle-même en recoupant les mêmes idées et en pensant que cela les conforte. Ici, Blanquer parle à une assemblée de plantes. Stéphane Lagoutte

Hénin-Beaumont, le 8 septembre

La rentrée parlementaire de Le Pen à Hénin-Beaumont, c’est le vieux vinyle que l’on fait tourner sur sa platine vintage. Le programme est le même, à savoir le couper de ruban au bout de la rue Gruyelle, la déambulation sur la braderie. Petite différence, le service d’ordre qui instaure un périmètre autour de «MLP» pour des «moments privés». Étonnant sur une brocante… C’est ensuite la séquence rétro et pin-up, comme l’année dernière, avec un autre ruban à trancher. La séquence voiture, pas une Volkswagen comme l’an dernier mais une belle américaine cette fois-ci. Un photographe ouvre une portière qui cogne sur la voiture voisine. «T’es vraiment un bourrin, toi», lui lance Le Pen. Cette sauterie se termine à la permanence parlementaire, dans une petite cour d’où l’on aperçoit la mairie. À Hénin-Beaumont, c’est le canal historique du RN version Le Pen. La moyenne d’âge y est assez élevée, même si l’on y trouve de plus en plus de jeunes, mais ce n’est pas la génération TikTok ramenée par Bardella. Le service d’ordre apporte des chaises pour y installer les militants les plus faibles pouvant se faire écraser par la horde médiatique. Je repère cet homme avec son assistance respiratoire. Dans le bassin minier du Pas-de-Calais, ce sont souvent des anciens mineurs silicosés qui trimballent cet attirail. Ceux-là mêmes qui votaient communiste. La dame me voit cadrer, elle détourne la tête, et tient le bras de son mari, qui regarde, digne. Portrait d’un électorat. Stéphane Dubromel

Tourcoing, le 29 septembre

La rentrée politique de Darmanin cuvée 2024 était quasiment identique au cru 2023. Même lieu, même dispositif dans les jardins, un peu plus frisquet. L’enjeu pour lui était de créer une union du centre, qui ne se verra pas sur les images. Attal viendra mais partira en cours de journée. Idem pour Xavier Bertrand et Sébastien Lecornu, actuel ministre des Armées. Philippe semblera lui voler la vedette au terme de son discours. Élisabeth Borne le taclera en lui rappelant que l’ambiance est plus apaisée cette année. En bon journaliste un peu bêta, on rêvait de faire la photo de toute cette assemblée grignotant des frites puisque c’est l’arme d’union massive de Darmanin. La frite, c’est fédérateur, c’est bien connu. Las, les portes de la salle VIP ne s’ouvriront qu’au compte-goutte, et sous bonne surveillance du service presse qui n’avait qu’une obsession : nous donner à manger. Louable intention mais on est là pour travailler. Un peu. Dommage, à l’intérieur, il y avait Samy Naceri. Eh oui. Mais pour la photo de famille recomposée, on oubliera. Peut-être que Darmanin est un peu seul, ou que ses invités ne le prennent pas au sérieux. Sur cette image, il ressemble à un premier communiant, attendant des invités qui l’impressionnent. Il cherche à faire l’union autour de lui mais cela patine. On a les frites, mais la mayonnaise ne prend pas encore. Stéphane Dubromel

Vélizy-Villacoublay, le 17 novembre

Nous sommes le 17 novembre au soir, les agriculteurs viennent d’installer un barrage sur la N118. Le rendez-vous avec la presse avait été fixé à 17 h 30 sur le parking d’un Castorama qui jouxte la nationale. Arrivés une heure en avance dans l’espoir de voir s’installer les tracteurs, nous faisons finalement le pied de grue dans le froid jusqu’à 18 h 30 avant de sentir des mouvements sur la route. C’est vers 18 h 50 que les tracteurs s’installent. Il me faut agir vite, une photo est attendue pour la une du journal à 19 h 30. Une fois la une produite et envoyée, j’apprends que Valérie Pécresse va venir. Je me demande comment elle sera reçue. Elle semble à l’aise avec les représentants de la FNSEA qui vont jusqu’à lui offrir une tribune sur un plateau surélevé. Comme pour la prémunir de critiques, ils prennent même soin de préciser qu’elle monte à leur demande. Le jeu du politique dans les mouvements syndicaux est effectivement un jeu d’équilibriste. Pécresse reste un moment sur place. Comme d’habitude, les journalistes ont constitué un amas compact au moment des interviews puis se sont ensuite détournés. Nous sommes alors seulement quelques-uns à picorer des images à droite à gauche. Or, justement, dans ce genre d’exercice, la communication a cette faille qu’elle ne peut jamais gérer complètement le réel qui l’entoure. Dans cette photo plusieurs minutes après l’exercice médiatique et la prise de parole, quelque chose se passe. La présidente de région ressemble à une automate, le visage figé dans un sourire venu d’ailleurs, le geste de son bras comme mécanisé. Face à elle, certainement ému de voir de près une personne de pouvoir, un homme semble heureux du contact imminent entre les deux mains. Le malheureux n’a pas senti le piège approcher alors que son voisin, lui, dans un léger geste de recul, semble avoir détecté l’embrouille, quelque chose d’anormal venu d’ailleurs. J’y vois tout l’artifice de cette rencontre de deux mondes si éloignés. Stéphane Lagoutte

Toulouse, le 22 novembre

Bernard Cazeneuve à Toulouse. J’ai l’impression que c’est un peu comme le loup dans la bergerie. Il arrive à l’heure pour un timing serré comme son costume très ajusté. Souliers à double boucle, lunettes bien calées, petite pochette en soie… À son arrivée, nous ne sommes pas nombreux parmi les journalistes, j’ai l’impression qu’il me fusille du regard. Au fil de la réunion en hommage aux 100 ans de la panthéonisation de Jean Jaurès, grand acteur socialiste local, l’homme me paraît distrait. Carole Delga, aussi élégante avec son foulard Hermès, n’est pas dans la retenue. La présidente de la région Occitanie participe et sourit aux interventions de Jean-Michel Baylet, président du groupe la Dépêche du midi, dinosaure local et ancien ministre de l’Aménagement du territoire. On n’est pas dans la gauche dure ! Côté point de vue, la situation est plus que classique alors je traîne et cherche un contrechamp. C’est au moment où Cazeneuve part au beau milieu d’un échange que l’homme se transforme. Il se prête volontiers au jeu de la photographie avec les militants, même lorsqu’une personne le rattrape dans les allées de l’hôtel de région pour refaire un selfie raté… Puis il monte dans son van de location, toujours sans un regard, mais me laissant travailler et capter cette image hors des lumières conventionnelles. Matthieu Rondel

Onnaing, le 26 novembre

Marc Ferracci, ministre de l’Industrie, aime l’industrie. Il le dit quasi la main sur le cœur, sourire charmeur au coin des lèvres, devant une assistance à l’écoute sur le site de Toyota à Onnaing, dans le Nord. Car mardi, la marque japonaise célébrait le 5 millionième véhicule produit chez les Ch’tis. Pas n’importe quoi, c’est une Yaris cross. Pour en arriver à ce summum du raout corporate, avec les petits fours et la novlangue qui va avec – les «members» pour désigner les collaborateurs, les employés, les ouvriers, le «fighting spirit» pour caractériser l’œil du tigre qui s’empare du «member» lorsqu’il visse une roue -, on a visité l’usine au pas de charge. Le ministre a même rencontré des ouvriers. Non, des «members», sélectionnés au préalable. Sur un déplacement comme celui-là, on en profite pour photographier les lieux, pour faire de l’archive d’un site industriel. Parqués dans le couloir réservé aux piétons, ça fait un peu zoo, voire safari à l’ouvrier. Heureusement, le «member» a de l’humour et se moque bien de nous, avec nos caméras et nos manières de goujats. Le clou de la journée, c’est le dévoilement des couleurs de la voiture – évidemment tricolore -, le lâcher de paillettes et l’obligation de sourire. Le ministre évite les paillettes, dommage, je fantasmais la photo. Dommage aussi pour l’industrie, car au même moment, les sidérurgistes d’Arcelor brûlaient des palettes devant leur site de Denain, condamné. À 20 kilomètres en Yaris cross. Stéphane Dubromel

Paris, le 7 décembre

Un long moment, Donald Trump est assis seul. Je suis planqué au premier étage du balcon de Notre-Dame. Les consignes sont strictes, nous devons être discrets, ne pas se retrouver dans le champ des caméras de télévision. Je photographie le président américain, regarde mes images en me disant que son visage est étrangement orange. Emmanuel et Brigitte Macron entrent en scène en dernier par l’allée centrale. Ils s’assoient autour de Trump. Je continue à faire quelques photos et à un moment donné, alors qu’ils ne se parlaient pas forcément, dans mon viseur je vois Macron me fixer une seconde. Dans l’instant qui suit, il se tourne vers Trump et lui montre du doigt le haut de la cathédrale. La séquence se termine et de nouveau, le Président français fixe dans ma direction. Je refais une photo, celle-ci. Après coup, je me suis dit qu’il a dû penser être filmé, ou a-t-il compris qu’il était photographié et a eu envie de paraître en connivence avec Trump à ses côtés ? Petit moment de eye contact en contrôle. Cyril Zannettacci

Paris, le 13 décembre

Retour à Matignon, trois mois après la passation Attal /Barnier. Cela commence par un réveil, France Info qui annonce une passation en fin de matinée. Craignant l’affluence des grands jours, j’arrive sur place, ou plutôt le trottoir d’en face, à 10 heures par 1°C. Être photographe, c’est aussi choisir sa place et avoir beaucoup de patience. Le Monde prévient que le Président ne nommera pas Bayrou, ce qui suppose encore de longues discussions en coulisses et, par conséquent, un allongement du timing. La file de journalistes frigorifiés s’étire. Des informations contradictoires, et finalement… Bayrou est nommé. Passation officiellement annoncée pour 17 heures, il fera nuit. Pour une génération de photographes, l’instant prime sur la lumière. Observer et déclencher au bon moment : une mimique, un mouvement, un instant furtif. Depuis quelques années, travestir la pauvreté d’une image par des artifices lumineux est à la mode. Dépouillez les photos de cette superficialité, qu’en reste-t-il ? Souvent pas grand-chose, peu de sens et, pour un portrait, ce qui ressemble à un Photomaton… Dire pour la énième fois que l’on est parqué derrière un cordon n’a aucun sens, cela a toujours été ainsi depuis presque 40 ans de photographie, sous n’importe quel gouvernement. Ce serait comme prendre trois jets de bouteilles dans une manifestation parisienne pour une révolution. Chercher l’instant où la personnalité s’imagine encore à l’abri des regards, le moment où le masque s’effrite. Bref, parfois, l’expérience à du bon. En politique aussi ? Albert Facelly

Etrepagny, le 15 décembre

Meeting des deux chefs du RN, dimanche dans l’Eure. Dans une salle perdue au milieu des champs, des gens essayent de repousser les murs pour rentrer. Au pied d’un podium qui menace d’être pris d’assaut à chaque instant, le photographe contreplonge et se noie, par terre, aux pieds boueux des militants rageux du premier rang (c’est la place idéale d’un journaliste dans l’idée qu’on s’en fait, ici) et n’en bougera plus. En parlant sur l’estrade, Marine Le Pen a demandé à tout le monde de se taire ou, à ceux qui avaient encore des trucs à se dire, d’aller les dire sous la pluie, dehors. À la même place, pendant son discours, des petits excités qui interrompaient ponctuellement la nouvelle idole romanesque, Jordan Bardella, l’ont fait bien rire, lui. Fin de meeting, fin de spectacle et Marseillaise finale vue d’en-bas, donc. Bardella, sourire TikTok, contre Le Pen, sourire crispé, les deux s’étreignent sans se regarder et s’éloignent de plus en plus. Et on est très content de s’en aller. Denis Allard

Libération

Emile Zola, ses deux dames et la petite reine

Lorsque Emile Zola découvre le plaisir de la bicyclette, ce n’est pas encore l’affaire Dreyfus qui bouleverse sa vie, mais les déchirements de sa vie privée. On est en 1893,…