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On a chopé la passion du polar un jour de 2000 à la lecture des Egouts de Los Angeles de l’américain Michael Connelly, de la Cinquième femme du suédois Henning Mankell et des Rivières pourpres du français Jean-Christophe Grangé. Dévorés tous les trois d’une traite. On a continué à lire Henning Mankell jusqu’à sa mort, y compris ses romans, à commencer par les Chaussures italiennes, un chef-d’œuvre. On a poursuivi de façon irrégulière les aventures de Harry Bosch, le héros de Connelly, un peu lassée. Quant à Grangé, on a lu le Vol des cigognes, le Concile de pierre, l’Empire des loups, puis on a calé. Trop gore. Trop ostensiblement tape à l’œil. Il fallait donc que le pitch attise notre curiosité pour que l’on se jette sur les deux tomes que l’auteur de best-sellers publie cette semaine sous le même titre de Sans soleil. Le premier est sous-titré Disco inferno, le second le Roi des ombres. Une plongée dans la communauté homosexuelle des années 80 entre frénésie sexuelle et arrivée du sida.
Jean-Christophe Grangé a un indéniable talent pour façonner ses personnages. Et créer du suspense. On accroche très vite et, même si l’on peste sur quelques expressions ou tournures trop faciles ou si peu 2025, on lit avec voracité. Le problème de Grangé, c’est qu’il cabotine. Il est content de lui alors il s’adresse au lecteur, le prend à témoin, on croirait voir Yves Montand dans la Folie des grandeurs, tout en courbettes et tortillements, il en fait des tonnes.
Découper à la machette
Les héros sont au nombre de trois, deux hommes et une femme. Passons sur le fait que les deux hommes sont appelés essentiellement par leur nom et la femme par son seul prénom. Ils sont tous les trois très beaux et très intelligents mais rongés par des démons intérieurs ou un lourd passé. Il y a Daniel Segur, médecin, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, totalement dévoué à son travail, solide, une gueule, extrêmement séduisant, n’aimant que les femmes noires. L’antithèse de Patrick Swift, le flic, un gars mince, nerveux, la trentaine, beau gosse genre gravure de mode, obsessionnel, épris de vérité et de justice, nourrissant une passion secrète pour Brigitte Lahaie dont il se passe en boucle les films pornos quand il a du temps. La troisième, c’est Heidi Becker, lycéenne dans le premier tome, femme dans le deuxième. Oui, elle mûrit vite à force de voir défiler des cadavres et de côtoyer nos deux héros. Ces trois-là vont être surnommés au fil des pages Segur, Swift et Heidi.
Qui tue les homosexuels avant de les découper à la machette en cet été 82 parisien, chaud, moite, et lourd ? François Mitterrand a été élu un an plus tôt, on sent une sorte de frénésie dans l’air, le Palace et les Bains Douches sont à leur sommet, on danse à s’en fouler les chevilles, on sniffe à s’en trouer les narines et on baise comme des castors. Les homosexuels profitent à fond de la libération des mœurs, se partageant entre les boîtes gays et le cap d’Agde, jusqu’à ce qu’un mal inconnu les frappe. On l’appelle dans le premier tome «le cancer gay». Ségur est aux premières loges. Il voit la maladie apparaître et l’hécatombe commencer.
Jamais ils ne lâcheront l’affaire
Cela parait loin maintenant mais, à l’époque, aucun traitement n’existe contre cette maladie. Une fois touché, vous êtes un mort en puissance. C’est dans ce contexte qu’un jeune homosexuel en phase terminale est retrouvé un jour assassiné chez lui. Démembré. La bouche pleine d’une matière noire à laquelle l’assassin a mis le feu. Un meurtre d’une violence folle. Ségur est appelé sur les lieux. Le jeune chilien, Federico, était un de ses patients. C’est là que le médecin rencontre l’inspecteur Swift qui va être chargé de l’enquête. Et aussi Heidi Becker, l’amie intime de la victime, une jeune Argentine brillante et belle comme un astre, qui vit essentiellement la nuit entre boîtes gays et Bains Douches. Et c’est là qu’une amitié solide va se nouer entre nos trois héros. Une amitié qui va les aider à supporter la litanie des meurtres. Car celui de Federico n’est que le début d’une longue série qui va les conduire au bout de quatre ans jusqu’à Tanger, puis au fin fond de la jungle zaïroise et dans les champs de canne à sucre de Haïti. Car jamais ils ne lâcheront l’affaire. Impossible d’avoir le moindre répit tant qu’un assassin capable d’actes si monstrueux court dans la nature. Qu’est-ce qui anime celui-ci ? Que cherche-t-il à venger ? Ou à expier ?
Jean-Christophe Grangé a bossé, cela se sent. A part une longue envolée sur les Tontons Macoutes à Haïti, la lecture n’est pas alourdie par la doc. On découvre les premiers tâtonnements autour du sida, les hypothèses, les moments de panique, le vertige. On sent presque physiquement la soif de liberté et de plaisirs du début des années 80. Il y a parfois des phrases ou des expressions qui nous font sursauter. Grangé n’a pas peur de la caricature, les homosexuels sont souvent «des langues de pute» ou des affabulateurs, les Marocains sont louvoyants et les flics marocains incompétents, l’homme blanc aime la peau noire et «tarifée» ou les actrices pornos. Il n’empêche qu’il sait y faire pour embarquer son lecteur ou sa lectrice dans les tréfonds de l’âme humaine. Et ne jamais lui lâcher la main.
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