Musiques de jeux vidéo : les bandes originales à la manette

Musiques de jeux vidéo : les bandes originales à la manette

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Plus de 170 millions d’écoutes. «Du jamais-vu pour une BO indépendante», se réjouit Vincent Percevault, gérant et fondateur de G4F, première structure française de création sonore pour jeux vidéo. Pour composer la musique du jeu FURI (2016), notamment celle des combats de boss, G4F a réuni plusieurs poids lourds de la synth-wave française (Carpenter Brut, The Toxic Avenger, etc.), et ce fut un succès, un exemple parmi beaucoup d’autres. Car les bandes originales de jeux sont de plus en plus présentes dans la culture pop, les plateformes de streaming et même dorénavant les bacs des disquaires. Et, phénomène qui prend de l’ampleur, elles s’écoutent indépendamment de l’expérience même du jeu.

En 2023, le morceau Children of the Sky, composé par le spécialiste du genre Inon Zur (Fallout, Prince of Persia, etc.) et interprété par le groupe pop rock américain Imagine Dragons pour le jeu de science-fiction Starfield, a lui aussi battu des records de streams. «Il s’est retrouvé playlisté sur des radios nationales de boomers, synchronisé sur des spots publicitaires et a servi d’habillage à des émissions de télé… Désormais, l’industrie du jeu crée aussi des hits musicaux !» se réjouit Vincent Percevault.

Autre acteur français du secteur, créé en 2019, le label spécialisé dans la musique de jeu Kid Katana Records se félicite d’avoir commercialisé la bande originale techno metal de The Last Spell, composée par The Algorithm, alias le Français Rémi Gallego. Les titres de ce jeu de combat tactique dans un univers heroic fantasy, d’ordinaire plus familier des symphonies médiévales, ont eux aussi reçu un accueil exceptionnel. «Proportionnellement à la taille et au succès du jeu, la BO a vraiment sur-performé, donc les gens l’écoutent comme un album à part entière sans même avoir joué au jeu», explique son président, Tarafa Sahloul.

Si les passerelles entre industrie de la pop et celle du jeu vidéo ne sont pas nouvelles, dès les années 90, certaines BO de jeu, comme celle de Wipeout, comprenaient des morceaux composés par les Chemical Brothers ou The Prodigy, ces compositions n’étaient pas conçues pour avoir réellement une vie propre en dehors des jeux. Or, ces dernières années, la montée en puissance du gaming dans notre société représente un marché au fort pouvoir d’attraction. En témoignent les quelque 35 labels spécialisés qui ont vu le jour récemment. Parmi ceux-là, on peut notamment citer le français Wayô, le premier à s’être spécialisé dans les BO de jeux japonais en dehors du Japon, et l’américain Laced, le plus prisé du milieu. Sans oublier les éditeurs, Ubisoft, Bandai Namco et consorts, qui publient dorénavant eux-mêmes les BO de leurs jeux. Dans cet écosystème, où chacun rivalise d’inventivité, le vinyle comme produit dérivé d’exception se taille la part du lion. Une anomalie dans un secteur largement dématérialisé où les jeux eux-mêmes ne sortent souvent plus qu’en digital. Ainsi, les albums de Kid Katana Records, dérivés des jeux dont ils produisent et/ou distribuent la musique, sont souvent la première voire la seule émanation physique d’un jeu. Parmi la dizaine de références de leur catalogue, les vinyles de V Rising et Jusant, des hits vidéoludiques. Mais, la liste des sorties en vinyle ne cesse de s’allonger de décennie en décennie. La plateforme Discogs en compte 465 dans les années 80, 2866 avant 2010, 3035 entre 2010 et 2019, contre 9592 rien qu’en 2020 ! Pour l’anecdote, dès 1978, le groupe japonais Yellow Magic Orchestra, dans lequel figurait Ryûichi Sakamoto, s’était amusé à utiliser les sons issus de Space Invaders pour produire des morceaux.

Valeur communautaire

Le président du label américain Laced Records, Danny Kelleher, a lancé sa structure en 2015 au moment où les ventes ont décollé, avec la production du vinyle collector du premier Hotline Miami, jeu d’action pour PC, via une campagne participative financée à plus de trois fois son objectif. «L’industrie du jeu vidéo n’a pas toujours été très cohérente avec la façon dont elle traite sa musique, mais au fil des ans, nous avons pu établir de solides relations avec certaines des plus grandes sociétés du secteur, ainsi qu’avec d’incroyables développeurs indépendants, se réjouit-il. Tous sont bien conscients de la valeur des bandes-son et des arrangements musicaux issus des jeux vidéo. Pas seulement pour leur valeur pécuniaire et marketing, mais, plus encore, pour approfondir les relations avec leurs communautés de fans.»

Commercialiser les musiques de leurs jeux favoris, c’est jouer à fond le fan service en vigueur dans cette industrie : en CD, destiné presque exclusivement au marché japonais, en cassette, si l’esthétique musicale ou l’époque représentée dans le jeu le permet, et surtout en vinyle. «C’est sur ce dernier produit que se concentrent l’offre et la demande, confirme Rémy Dahi, cofondateur de Kid Katana Records. On travaille étroitement avec l’éditeur pour extraire le maximum de graphisme et comprendre quelle histoire on veut raconter pour valoriser le packaging de nos disques.» Ainsi, son label a lancé le premier biovinyl du marché pour la BO du jeu Under the Waves, un vinyle durable, sans plastique, qui illustre l’engagement écologique défendu par le jeu. Le pétrole contenu dans le matériau principal est remplacé ici par des huiles de cuisson et des résidus industriels recyclés. Kid Katana Records pousse même la logique dans le design, très épuré, travaillé à l’encre végétale, en seulement deux couleurs, sans livret additionnel. «Pour réduire a minima son coût environnemental», précise Rémy Dahi.

Pochettes-surprises

Le soin et l’imagination apportés au traitement de ces objets originaux qui parfois débordent de goodies en tous genres (vinyles colorés, illustrations exclusives, concepts arts…) sont toujours impressionnants. «Pour la BO du jeu de plateforme 3D Penny’s Big Breakaway, il y avait même sept cartes à collectionner à l’effigie des personnages, toutes réparties de façon aléatoire dans chaque pressage, avec un QR code qui donnait accès au téléchargement d’une version longue de la bande-son», détaille-t-il. De véritables pochettes-surprises, à l’image des coffrets de la K-Pop. Wayô produit notamment de luxueuses boîtes à musique en bois massif reproduisant les motifs caractéristiques du jeu dont elle joue le thème principal. La plus précieuse est celle de Chrono Cross (708 euros, édition limitée à 315 exemplaires). Dotée d’un mécanisme de précision, la partition est codée sur un cylindre de cinquante notes ! Le label G4F mise aussi sur une image de marque premium : vinyles dorés et marbrés, séries limitées numérotées et signées, lithographies, qualité optimale d’enregistrement via son studio maison. «Il y a plein de façons de rendre ces objets collectors par la rareté ou l’exclusivité», se félicite l’équipe.

Evidemment, ces produits n’entrent pas dans le circuit de la grande distribution (le taux de marge pris sur la fabrication est insuffisant), mais ils sont grandement appréciés par les fans. Certains collectionnent les vinyles sans même posséder de platine. «Ce désir de collecter, d’archiver, de célébrer le digital avec des objets tangibles et beaux vient à rebours de la tendance à désencombrer et numériser nos vies», témoigne Danny Kelleher. Mais, tous les jeux ne sortent pas accompagnés de leur bande-son en vinyle. Les labels préfèrent tempérer l’engouement pour le développement de ce nouveau marché. «Le jeu vidéo est un hobby très populaire à l’échelle mondiale, mais les fans suffisamment engagés pour acheter une bande-son de leur jeu vidéo en vinyle ne sont pas la majorité, et le vinyle lui-même est toujours un format de niche, donc le vinyle de jeu vidéo est une niche dans une niche», ajoute Danny Kelleher.

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Si Kid Katana Records s’est lancé sur les chapeaux de roues en 2022 avec la BO de Teenage Mutant Ninja Turtles : Shredder’s Revenge et ses dérivés – dont une édition remixée par des artistes cultes de la scène chiptune –, les revenus générés par ces sorties restent anecdotiques comparé à ceux du géant Nickelodeon qui détient les droits des personnages. Et les contraintes sont nombreuses. La sortie physique suppose de linéariser une musique pensée au départ pour être dynamique et interactive, bourrée d’effets et gimmicks qui ne peuvent pas fonctionner dans un format chanson. C’est loin d’être le seul écueil. «Au mix et au mastering s’ajoutent la gestion des droits musicaux, des contrats qui peuvent causer quelques maux de tête, complète Danny Kelleher. Le vinyle est un produit délicat et spécialisé. Il y a de longs délais de fabrication. Il peut s’écouler six mois entre le lancement des précommandes et la date à laquelle elles peuvent être expédiées aux clients. Il faut sécuriser la capacité des usines de pressage, et ensuite, il y a toute la logistique, très ennuyeuse, des emballages à assembler et envoyer dans le monde entier.» Malgré sa vivacité et l’engouement qu’il suscite, ce marché est donc destiné, par essence, à s’adresser aux fans les plus mordus. C’est sa vertu et sa limite.

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