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Romans
Sarah Jollien-Fardel, la Longe
Sabine Wespieser Editeur, 160 pp., 18 € (ebook : 13,99 €).
On le comprend très vite : la narratrice Rose se trouve enfermée dans une pièce boisée attachée à une longe. Pourquoi ? Il faut écouter le récit de cette femme, la rencontre évidente avec son amoureux Camil à l’âge de 6 ans, leurs retrouvailles à Lausanne bien des années plus tard, la naissance inattendue de leur fille Anna et le drame qui la mettra par terre. Comme dans son beau premier roman, Sa Préférée, l’écrivaine suisse Sarah Jollien-Fardel campe une histoire dans les montagnes du Valais, avec son décor rustique et les affluents familiaux. La grand-mère chérie et costaude tient le café avec le père, la mère, qui avait souvent «les bêtes», en meurt, le frère s’éloigne. Rose reconstitue, de son étrange captivité, et avec une tendre affection, un univers béni, parfois douloureux. L’autrice parvient à renverser l’idée qu’on peut se faire de la violence et de la cruauté, et en bonne libraire, imagine un personnage apaisant qui lit à travers les portes. F.Rl
Lettre
Claude Simon, «Mon travail d’écrivain n’autorise à mes yeux aucune concession». Lettre à Federico Mayor
Présentation de Mireille Calle-Gruber. Les éditions du Chemin de fer, 32 pp., 11 €.
Prix Nobel 1985, Claude Simon se rend en URSS l’année suivante à l’invitation de l’écrivain kirghiz Tchinguiz Aïtmatov, un proche de Gorbatchev, pour un forum international destiné à réfléchir «aux objectifs de l’humanité dans le troisième millénaire à l’échelle mondiale». Parmi les participants, James Baldwin, Yachar Kemal, Arthur Miller, la photographe Inge Morath, le comédien Peter Ustinov et le futur directeur général de l’Unesco, le biologiste Federico Mayor. Le Forum d’Issyk-Kul, ainsi nommé car il a lieu au bord du lac Issyk au Kirghizistan, s’avère si décevant que Claude Simon refuse de signer la déclaration finale, taxée de «puérilité», de «creuse emphase», et publie en 1988 le roman l’Invitation (Minuit), une satire ravageuse. Entretemps, en novembre 1986, Federico Mayor envoie une version française amendée que Claude Simon renvoie signée, et accompagnée d’une lettre reproduite ici pour la première fois. Il dit sa foi dans la création. «Je m’attendais à ce que soit posée et discutée la question : ” Qu’est-ce que l’art ? Quels sont sa fonction, son statut dans la société, ses pouvoirs, quel rôle peut-il jouer dans la lutte contre «l’obscurantisme, la tyrannie et l’exploitation»”?», ces termes figurant dans la déclaration d’intention du forum. Il en profite pour évoquer sa situation de «marginal» : «Je suis rejeté presque à l’unanimité dans mon propre pays.» Cl.D.
Histoire
Daniel Cordier, Rétro-chaos. Mémoires
Gallimard «Témoins», 370 pp., 22 € (ebook : 15,99 €).
Qu’ils aient apprécié les travaux historiques de Daniel Cordier (à commencer par la République des catacombes) ou se soient penchés sur ses autobiographies (Alias Caracalla avant tout), les lecteurs familiers de l’itinéraire hors série de l’ancien secrétaire de Jean Moulin pourront passer leur chemin. Pour les autres, ses Mémoires offriront un récit alerte d’un homme qui aura connu trois vies. Celle d’un Français libre brûlant de combattre qui, faute d’une affectation militaire, accepte d’être parachuté pour coiffer le secrétariat du délégué du général de Gaulle et assiste aux premières loges à la fondation du Conseil national de la Résistance ; celle d’un néophyte qui, méprisant souverainement l’art contemporain, devient marchand de tableaux et l’agent de Dubuffet – non sans heurts avec ce peintre au caractère rugueux ; celle d’un acteur de la Résistance qui, révulsé par les attaques portées contre Jean Moulin par Henri Frenay, le chef du mouvement Combat, se mue en historien pour défendre son ancien patron avec les armes de la science. Un témoignage magnifique sur un engagement placé sous le signe de l’ardeur et de la passion. O.W.
Psy
Isabelle Bedouet, Des imposteurs. Landru, Petiot, Romand et autres
Imago, 192 pp., 20 €.
Si on faisait l’inventaire de toutes les «mauvaises choses» apportées par Internet et les réseaux (a)sociaux, on citerait la prolifération des arnaques, des forfaitures, des prévarications et autres pièges à cons. L’anonymat, le fait d’agir «à distance», sans contact, les subtilités du numérique et l’expansion de la crédulité ont bien aidé. Bien sûr, usurpateurs, filous et dupeurs ont toujours existé : il n’existe ni lieu ni époque où des individus ne se soient escrimés à «revêtir de fausses identités, des titres « véreux », et s’inventer des histoires dans le but de soutirer à d’autres des « objets », tels que les biens, le pouvoir ou encore l’amour», voire n’aient poussé jusqu’au crime. Certains sont devenus célèbres, tels Landru, le «Barbe-Bleue de Gambais», Marcel Petiot, l’homme aux mille visages, capable de trouver ses proies parmi ceux et celles qui fuyaient les persécutions nazies, ou le faux médecin Jean-Claude Romand, lequel, «pris dans l’engrenage du mensonge, ira jusqu’à commettre un quintuple meurtre». Quelles sont les personnalités de ces imposteurs ? Relèvent-elles de la psychose ? La «perversion» suffit-elle à expliquer leurs exactions? Psychothérapeute - on lui doit déjà le Crime des sœurs Papin (Imago, 2016) -, Isabelle Bedouet analyse ici la trajectoire sociale, intellectuelle, affective et psychologique de sept imposteurs (Landru, Petiot, Romand, Léa Papin, Paul Grappe, «le travesti des Années folles», Gilbert Bourdin, le «rénovateur divin du monde», et l’anonyme Gabriel, «mi-ange mi-démon»), visite les «coulisses obscures» de leurs existences, et y découvre des «univers insoupçonnés, énigmatiques, plus surprenants les uns que les autres». R.M.
Philosophie
Flora Bastiani, Philosophie du soin critique
Le Cercle herméneutique, 258 pp., 23 €.
Le sous titre dit explicitement l’objet du livre: «Penser la relation en réanimation, en soins intensifs et dans le prélèvement d’organes». Et cet objet est évidemment aussi complexe que précieux, car il s’agit de dire ce qu’est un être humain, ce qu’est une personne, ce qu’est un sujet – au moment même où, dans la maladie irrémissible, le coma artificiel, la sédation, la proximité de la mort, on se trouve «soigné» et où semblent disparaître les caractéristiques qui définissent la vie et l’existence. Philosophe, maîtresse de conférences à l’université Toulouse-Jean Jaurès, membre du bureau du Comité d’éthique hospitalier du CHU de Toulouse, spécialiste des pensées de Levinas et de Maldiney, Flora Bastiani, dans cet ouvrage situé entre «documentaire et analyse théorique» (où figurent quatre entretiens avec des infirmiers de différents services de santé, réanimation, traumatologie, soins intensifs…), propose d’entrer «dans l’univers soignant avec un regard philosophique», en poursuivant l’élaboration d’une «microphilosophie de la relation», centrée sur l’acte de soin, sur la théorisation d’un tel acte, systématique, épistémologique, d’où pourrait naître une «science infirmière», un «savoir propre au soin», distinct du savoir médical. Qu’est-ce que «le soignant fait émerger, par son acte de soin» ? En construisant une «sphère intermédiaire» où les autres peuvent «venir s’abriter», s’y faire leur place, «les soignants créent un accueil, un ensemble, enveloppant les souffrances, non pour les atténuer, mais pour permettre à l’existence de ne pas s’y résoudre». R.M.
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