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La balayeuse municipale sort trois fois par semaine. Le lundi, le mercredi et le vendredi, elle décrotte les trottoirs et aspire les rues de Puget-Théniers (Alpes-Maritimes). Un tour du village pour récolter des feuilles et des graviers surtout. Sur son chemin, elle trouve aussi quelques sachets de bonbons et des mégots de cigarette, les sempiternelles déjections canines, parfois des seringues et des préservatifs. A peine ramassés, déjà rejetés. Hop, la balayeuse déverse sa crasseuse collection derrière une glissière routière. C’est ainsi que 1 560 mètres cubes de déchets ont été déversés près du fleuve Var. Ce vendredi, six élus et agents de ce village de 1 800 habitants étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel de Nice. Ils sont poursuivis pour «jet ou abandon de déchets en quantité importante dans les eaux de surface».
Les inspecteurs de l’Office français de la biodiversité (OFB) roulent sur la route du Fragé, ce 4 février 2023 à Puget-Théniers, quand ils repèrent un abandon de déchets dans un bois jouxtant le Var. Un panneau «décharge interdite» a été apposé devant le petit passage entrouvert dans une barrière de sécurité. Juste la place pour manœuvrer avec la balayeuse. «On faisait un tas. Ce n’est pas une décharge, se défend Ludovic Michelozzi, son conducteur principal. Ce n’est pas vraiment des encombrants. Ce n’est pas des matières toxiques.» Les gros morceaux étaient enlevés par des agents à pied directement dans la rue, la balayeuse n’aspirant qu’à quelques centimètres du sol.
«Ce qui a atterri sur le bord du Var, c’était des déchets inertes et des cendres propres [issues de la chaudière municipale], argumente l’ancien maire, Robert Velay. Du gravier, c’est relativement propre. Les feuilles, c’est relativement propre.» France Nature Environnement (FNE), qui s’est constituée partie civile et estime à 312 tonnes le poids des déchets déversés, ne l’entend pas de cette oreille. «Ce n’est pas comme quand un arbre perd ses feuilles, remet en perspective l’avocate de l’association Me Vanessa Godier, auprès de Libération. 100 kilos de feuilles, ça peut boucher l’habitat, ça amoindrit l’oxygène. Il est impossible de savoir jusqu’où sont dragués ces déchets. Au bout, il y a l’embouchure du Var en zone Natura 2000 et la mer Méditerranée.»
Puget est un village propre, mais il ne dispose d’aucun protocole de gestion des détritus collectés par les engins municipaux. «Il y a eu une discorde avec Veolia qui s’occupait du traitement des déchets. L’entreprise a rompu ce contrat, recontextualise le président du tribunal Edouard Levrault. La mairie s’est retrouvée en situation de devoir trouver une solution.» Gérard Micol se présente à la barre en doudoune bleu sur chemise à carreaux. Responsable des services techniques, c’est lui qui a fait le trou dans la glissière. Mais la pratique préexistait selon lui : le lieu était «une ancienne décharge», explique cet homme de 75 ans, qui a toujours servi sa commune, du club de foot au conseil municipal. Il conteste le déversement des déchets directement dans le Var. Le dépôt a eu lieu sur «une plateforme» trois mètres en hauteur. Les cendres naturelles auraient «fertilisé» le talus. Tous les deux à trois mois, les déchets étaient enlevés grâce à un petit engin de chantier : «On a eu les félicitations parce que c’était un bon coin pour se promener.»
Sur le bord ou sur la berge, il peut y avoir des «infiltrations», un «cumul» avec un «effet cascade», renvoie Me Vanessa Godier. Sans compter les violentes pluies qui peuvent toucher le secteur. «Il est possible que le Var atteigne la berge et emporte un peu de graviers ou des feuilles», reconnaît l’agent Ludovic Michelozzi. Qui était au courant ? Les trois conducteurs de la balayeuse, le directeur des services Gérard Micol, l’ancien maire Robert Velay. Le maire actuel Pierre Corporandy assure qu’il n’en a jamais entendu parler. Pour lui, ce serait une «incohérence totale» au vu de son initiative pour l’installation de pièges à mégots pour filtrer les grilles pluviales et de sa participation à l’opération de la grande collecte de déchets «Nettoyons le Sud». Aujourd’hui, la balayeuse tourne toujours à Puget-Théniers. Les déchets sont stockés «directement» sous un «abri» avant d’être «retraités». Loin des berges du fleuve Var.
Le procureur propose de mettre dans les débats une éventuelle requalification des faits. Si la balayeuse a déversé sur les berges et non dans le fleuve, l’infraction change, pour devenir «abandon ou dépôt illégal de déchets par leur producteur ou détenteur». Une requalification des faits qui double la peine encourue pour les six agents et élus : quatre ans de prison et 150 000 euros d’amende. Suspension et renvoi. La défense doit se préparer. Tout le monde reviendra à la barre le 7 juillet.
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