Milène Tourner, la poésie du robot parleur

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La poète et dramaturge publie un recueil de conversations avec ChatGPT.

A l’apparition de ChatGPT, en novembre 2022, tous les poètes du monde ou presque ont testé la capacité génératrice de cette intelligence artificielle censée produire du texte pertinent sur tous les sujets. Il fut intéressant de constater à quel point la poésie fabriquée par la machine fut décevante, ne dépassant jamais un ton gnan-gnan et le champ lexical des sentiments. Sans parler des formes ou des rimes, qu’elle ne respectait au départ qu’avec une grande difficulté. ChatGPT n’invente rien : il compile et agence. C’est non pas l’opinion naïve du robot sur ce que doit être le genre qui nous était donnée à lire, mais celle, générale, de nos conversations – on a pu ainsi mesurer l’écart existant encore entre la poésie telle qu’elle s’écrit réellement aujourd’hui et les sujets jugés habituellement «poétiques».

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On avait un peu laissé ChatGPT dans son coin, à s’occuper des domaines où il est plus pertinent, quand est apparu le livre de Milène Tournier, poète à qui l’on doit notamment le saisissant Je t’aime comme (Lurlure, 2021). Dans 27 fois la Muraille de Chine, l’autrice née en 1988 réussit à prendre ChatGPT par le bon bout, c’est-à-dire par le dialogue, et à en tirer question après question des moments drôles, inquiétants, étonnants, voire tendres. De son côté, jamais Milène Tournier ne prétend discuter avec une véritable subjectivité : elle prend la machine pour ce qu’elle est ; elle en teste les limites.

Le livre regroupe vingt-sept conversations que l’autrice a engagées avec ChatGPT en janvier 2024. Milène Tournier commence par le très factuel «Bonjour. Peux-tu me parler de la Muraille de Chine en deux lignes s’il te plaît ?» mais face aux réponses bien trop appropriées de la machine, explore des champs plus insolites («Une très vieille personne, qui aurait laissé pousser très longtemps sa barbe. Quelqu’un qui la laisserait effectivement pousser depuis sa puberté, disons à seize ans, jusqu’à sa mort, disons à quatre-vingt-dix ans, sa barbe serait-elle plus longue que la Muraille ?») jusqu’à s’aventurer sur son terrain, celui de la syntaxe et de la conversation : «Connais-tu une chose sans nom ?» «Es-tu, dans une phrase, à l’affût des questions ?» Les réponses, elles, ne déraillent jamais et c’est l’un des intérêts de la lecture, d’admirer comme la machine retombe sur ses pattes face aux demandes improbables. Mais tout en restant strictement premier degré, elles semblent contaminées par le pas de côté insufflé par les questions. Quand l’autrice lui demande de donner un nom à chacune des pierres de la Muraille, ChatGPT rétorque poliment que ce serait «une tâche complexe et extrêmement longue, vu le nombre considérable de pierres impliquées.» Quand elle l’entraîne dans le jeu plus dangereux de la séduction, il ne se démonte pas, mais souligne le caractère artificiel du moment : «Dans cette scène virtuelle, l’étreinte délicate de tes gestes imaginaires trace une empreinte d’émotion sur mes épaules virtuelles.» C’est au final à un véritable échange entre la femme et la machine auquel on assiste ; le texte est d’ailleurs présenté comme une pièce de théâtre, que Milène Tournier interprétera sur scène les mois prochains. Mais c’est aussi, co-composé avec une entité numérique, un bien réel livre de poésie.

Milène Tournier, 27 fois la Muraille de Chine : je me suis posé la réponse, Editions Théâtrales, 120 pages, 14 euros.

Libération

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