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«Aujourd’hui, on est des sous-citoyens», s’agace Nabéla Aïssaoui, hémiplégique depuis un accident et devenue par la force des choses une militante de l’accessibilité. Vingt ans après l’entrée en vigueur de la grande loi de 2005 «pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées», qui consacrait notamment l’accessibilité du bâti, le droit effectif des personnes en situation de handicap à un logement adapté et décent est encore très insuffisant. C’est le constat établi par la Fondation pour le logement des défavorisés dans son rapport annuel sur l’état du mal-logement en France, signé pour la dernière fois de son ancien nom de Fondation Abbé-Pierre, abandonné en raison des accusations de violences sexuelles contre le prêtre.
La Fondation, qui évalue le nombre de mal-logés à 4,1 millions de personnes et de sans-abri à 350 000 personnes – 20 000 de plus que la précédente estimation –, a choisi de mettre en lumière la situation des personnes handicapées. Plus vulnérables que les valides face à la crise du logement, elles font face à «toutes les facettes du mal-logement… en pire», assure le rapport. Au total, 24 % des ménages comprenant une personne en situation de handicap ou de gêne – soit 1,3 million de ménages – sont concernés par l’un différents problèmes de logement (privation de confort, surpeuplement, précarité énergétique, effort financier excessif pour se loger…), contre 20 % des ménages français. Aujourd’hui, commente le directeur de la fondation, Manuel Domergue, l’accès au logement est par ailleurs «un des obstacles principaux» au «chantier de la désinstitutionnalisation», c’est-à-dire la fin de la mise à l’écart des personnes handicapées dans des institutions spécialisées et leur inclusion «dans la cité».
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Les inégalités d’accès à un logement décent prennent de nombreuses formes. Déjà, le montant de l’allocation adulte handicapé (AAH) – 1 016 euros maximum, en dessous du seuil de pauvreté – refroidit propriétaires et agents immobiliers, entraînant une discrimination de fait dans l’accès au parc privé. «A cela s’ajoute, poursuit le rapport, une forme particulière de mal-logement, l’inadaptation de leur logement aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap.» Selon les chercheurs spécialistes du handicap Pierre-Yves Baudot et Thomas Chevallier, cités dans le rapport, les personnes handicapées ont moins de chances d’accéder à un logement en propriété (9 % contre 23 % pour la population générale) comme en location (19 % contre 24 %). Et quand elles se tournent vers le parc social, elles se heurtent à une «une offre incomplète, pour ne pas dire marginale», voire une «grave pénurie» de logements adaptés. Seuls 18 % des logements seraient considérés comme accessibles, c’est-à-dire permettant à l’occupant d’y circuler et y vivre en toute autonomie. Et à peine 6 % sont accessibles et adaptés, c’est-à-dire équipés en fonction des spécificités du handicap de son occupant.
En 2022, la loi «3DS» avait pourtant consacré la reconnaissance de l’inadaptation du logement comme priorité du droit au logement opposable, une avancée majeure. Mais dans les faits, comme le relatent auprès de Libération plusieurs personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie, faire valoir que son logement n’est pas adapté relève souvent du parcours du combattant. Une situation d’autant plus inquiétante qu’avec le vieillissement de la population, la demande de logements accessibles et adaptés va se faire de plus en plus pressante.
Face à ce constat, la fondation dresse plusieurs pistes et recommandations pour simplifier l’accès des personnes handicapées à des logements leur permettant de vivre dignement, notamment l’abrogation «de l’article 64 de la loi Elan, qui réduit à 20 % la part de logements neufs accessibles au handicap», la mise en place «d’un système de contrôle et de sanctions dissuasives pour amener à l’accessibilité effective des logements», la revalorisation de l’AAH «au moins au niveau du seuil de pauvreté monétaire» et la priorisation «des attributions de logements adaptés dans le parc social pour les personnes en situation de handicap». Elle demande aussi de s’attaquer à l’angle mort des pannes d’ascenseur – 1,5 million chaque année – qui assignent à domicile les personnes à mobilité réduite habitant à l’étage de résidences supposément accessibles, en s’appuyant sur la proposition de loi du député PS Philippe Brun, adoptée en première lecture à l’Assemblée début janvier.
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