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Deux ambiances se sont côtoyées, ce lundi 10 février, sur la place de la République de Paris. Le carburant était le même : la défense des droits des personnes handicapées. Mais la teneur des slogans différente. D’un côté, le Collectif handicaps, regroupement de 54 associations qui lançait, mi-janvier, un appel à la manifestation en cette veille du vingtième anniversaire de la loi du 11 février 2005, majeure dans le champ du handicap. De l’autre, des militants antivalidistes, venus rappeler leur opposition au fonctionnement même des associations organisatrices. Une cohabitation contre-nature, qui a terminé par l’éviction des seconds.
«Cet anniversaire n’est pas une fête, parce que les droits prévus par la loi ne sont pas appliqués. Nous sommes loin d’une vie quotidienne sans discrimination et sans difficultés pour accéder à l’école, à l’emploi», a déclaré Arnaud de Broca, le président du Collectif Handicaps. Les manifestations de personnes handicapées ne sont pas monnaie courante, souvent pour des raisons d’accessibilité, de santé, de sentiment de manque de légitimité. Aussi la présence de plusieurs centaines de personnes en cette fin de journée très pluvieuse est-elle en soi une victoire. «Il y a beaucoup de personnes présentes, je pensais pas», glisse Virginie, membre de l’association Comme les autres, venue du Pas-de-Calais.
Des militants de tous horizons ont scandé leur ras-le-bol, alors que l’égalité des droits est censée leur être garantie dans de nombreux domaines depuis deux décennies. «Des promesses ont été faites avec cette loi de 2005 pour améliorer les choses sur les mobilités, l’inaccessibilité, la liste est longue. Et en vingt ans, les choses n’ont pas beaucoup bougé, constate Jean-François, membre de la délégation du Vaucluse de l’AFM Téléthon. Il faut que la République fasse ce qu’ils ont promis de faire.» «Il nous manque un p’tit truc. C’est le p’tit truc en plus», sourit-il en référence au film d’Artus, énorme carton au cinéma l’an passé.
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«Nos droits sont toujours bafoués, dans plein de domaines, on a un problème systémique, dénonce Pascale Ribes, la présidente d’APF France handicap. Une loi pas appliquée, ça menace la société tout entière.» La question du manque d’accessibilité revient souvent dans la bouche des manifestants. «Il manque beaucoup d’aménagements sur les trottoirs, les magasins. On ne s’en rend pas compte quand on est valide. C’est assez discriminatoire, note Virginie. Les priorités des élus sont purement économiques, elles ne sont pas ici. Il faudrait plus de budget au niveau de l’Etat.» Pendant ce temps se succèdent sur scène représentants d’associations et people, alternant les témoignages sur les problèmes d’accès aux soins ou de scolarité.
Ça, c’est pour l’organisation officielle. Un poil en retrait sur la place, la tonalité est différente. Plus politisée. Les militants antivalidistes réclament ce qu’ils défendent à longueur d’année : la désinstitutionnalisation. Autrement dit, la fermeture de toutes les institutions spécialisées, considérées comme ségrégatives et paternalistes, comme le réclame l’ONU. Institutions gérées par certaines des associations organisatrices de la manifestation, à l’instar d’APF France handicap ou de l’Unapei. «Ce n’est pas parce qu’on est handicapés qu’on a tous les mêmes idées. Je ne m’attendais pas à voir le Téléthon ou les paralysés de France [APF France handicap, ndlr] parce qu’ils ont une manière de voir le handicap qui est contre la liberté de l’autonomie», juge Sofia, membre du collectif féministe les Dévalideuses.
Malgré les désaccords, hors de question de sécher le rendez-vous. «On a voulu être là parce qu’on savait que c’était là qu’il y aurait le plus de médias et on ne voulait pas laisser la place à ces personnes qui n’ont pas du tout une approche politique, revendique Lydie Raër, des Dévalideuses. C’est un boys club qui a lancé cet appel. Artus a créé un film hypervalidiste (se marrer des personnes en situation de handicap mental…), Michaël Jérémiasz [champion de tennis fauteuil et président de l’association Comme les autres, ndlr] c’est l’inspiration porn [concept qui consiste à présenter les personnes handicapées comme des super-héroïnes inspirantes, ndlr], l’idée de surmonter son handicap à travers le sport. Il y a des angles morts, notamment en matière de désinstitutionnalisation et de lutte contre le validisme.»
Leur présence dénote, et déplaît. Un organisateur leur demande de quitter les lieux, faute de quoi il devra, indique-t-il, faire appel aux camions de CRS parqués pas loin. «Il dit que c’est à cause des fumigènes et parce qu’on a parlé trop fort dans le mégaphone. Je pense que c’est une excuse parce que les revendications ne sont pas les mêmes, glisse Lydie Raër. C’est rigolo parce que je ne pense pas que les camions de CRS soient équipés de rampes [pour les fauteuils roulants].»
D’autres militants antivalidistes se montrent plus radicaux. «On ne se mélange pas aux gestionnaires. La place qu’ils prennent, c’est notre place», tranche Emilie Guigueno. Ils sont huit militants antipsychiatrie à être venus quelques instants déployer leurs longues banderoles anti-institutions et dénoncer la position des organisateurs, avant de repartir. «On veut faire exister en face des gestionnaires la parole qu’ils essayent d’étouffer. C’est un peu hypocrite de se prétendre défenseurs des droits des personnes handicapées alors qu’ils défendent des structures contraires», affirme Emilie Guigueno. «Même si on a mis fin aux structures asilaires en tant que telles, elles ont été remplacées par les institutions spécialisées qui ségrèguent en fonction du handicap et qui jouissent d’une image positive, poursuit Nikola Dobric. On continue les pratiques d’enfermement, les atteintes aux droits humains, les stérilisations forcées. Les Esat, c’est la surexploitation dont bénéficient les gestionnaires sous couvert d’accompagnement. Ces mêmes gestionnaires qui se mobilisent.» La manifestation se poursuivra sans les militants validistes, dans une ambiance joviale et avec la promesse que d’autres actions suivront.
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