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Alerte au riz ! Le gouvernement japonais a annoncé, ce vendredi 14 février, qu’il allait débloquer ses réserves stratégiques de riz, constituées pour répondre aux situations d’urgence, afin de contrer la flambée persistante des prix de cet aliment de base typiquement nippon. Le ministre de l’Agriculture Taku Eto a annoncé que le gouvernement allait mettre sur le marché 210 000 tonnes de riz (environ 3 % de la consommation nationale annuelle), sur des réserves d’environ un million de tonnes.
Le Japon avait déjà recouru à ces réserves, qui existent depuis presque 30 ans, en réponse à des pénuries et des tremblements de terre, mais c’est la première fois qu’il les débloque en raison de tensions sur les prix et de perturbations dans la distribution. La récolte 2023 (consommée l’an dernier, donc) avait été pénalisée par les chaleurs record dans l’archipel, réduisant l’offre, ce qui a fait bondir le prix du riz à l’été 2024. Face à une demande plus forte et d’importantes perturbations des circuits commerciaux, il a continué de s’envoler depuis.
Le prix de détail moyen d’un sac de cinq kilos était fin janvier de 3 688 yens (23 euros) selon une enquête gouvernementale, contre 2023 yens un an auparavant (12,60 euros)… soit une hausse de 82 %. Un fardeau supplémentaire pour les consommateurs, déjà confrontés à une inflation persistante (+ 3 % en décembre hors produits frais).
En réaction, le ministère de l’Agriculture a ouvert la porte, courant janvier, à la vente d’une partie des réserves nationales, sur la base d’une nouvelle réglementation. Le Japon avait promulgué dès 1995 une loi pour constituer des stocks stratégiques de riz, après qu’une mauvaise récolte deux ans auparavant avait poussé les consommateurs à se ruer dans les supermarchés.
Mais jusqu’à récemment, ces réserves gouvernementales ne pouvaient être débloquées qu’en cas de grave perte de récolte ou de catastrophe. Les nouvelles règles permettent d’y recourir aussi si la distribution s’enraye et peine à répondre aux besoins. La récente flambée des prix s’explique en partie par une demande accrue : avec l’afflux record de touristes étrangers friands de sushis, mais surtout en raison des achats paniques déclenchés en août par un avertissement au «mégaséisme», selon Masayuki Ogawa, professeur à l’université d’Utsunomiya. Paradoxalement, «la demande a également augmenté car le riz, dont le prix était stable, était vu comme une bénédiction dans un contexte d’inflation», explique-t-il.
Du côté de l’offre, après les récoltes décevantes de 2023, le gouvernement misait sur l’arrivée de la récolte de l’automne 2024 pour calmer les tensions, mais cela ne s’est pas produit. La production de riz a en fait augmenté en 2024, mais les grands groupes qui approvisionnent les entreprises alimentaires et supermarchés ont collecté 210 000 tonnes en moins, ce qui pourrait suggérer que les producteurs de riz utilisent des circuits alternatifs, avec des revendeurs individuels. «On soupçonne (certains négociants) d’essayer de faire du profit en attendant (pour vendre leurs stocks) que les prix montent encore», souligne Masayuki Ogawa. Ces derniers pourraient se résigner après l’annonce gouvernementale.
Pour autant, il s’agit d’ «une opération compliquée», et une baisse brutale des prix pourrait entraver la stabilité de la production de riz à long terme, avertit le professeur Ogawa. Autre levier : «il ne faut pas exclure que le gouvernement finisse par accroître les importations de riz, qui sont strictement encadrées et oscillent dans une fourchette étroite de 800 000 à un million de tonnes par an depuis 15 ans», avec des droits de douane prohibitifs, commente Marcel Thieliant, analyste de Capital Economics. D’autant que «le riz thaïlandais est moitié moins cher que le riz japonais de référence».
Si le riz japonais typique à grains courts reste emblématique dans la cuisine nippone, la consommation annuelle par habitant est tombée en 2022 à 50,9 kg par habitant, soit moitié moins que 60 ans auparavant. A l’inverse du riz, «les prix du maïs et du blé ont chuté très fortement ces deux dernières années», ce qui pourrait inciter certains consommateurs à changer leurs habitudes, observe Marcel Thieliant.
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