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Au cours de l’année 2024, 1 570 actes antisémites ont été recensés sur le so français, annonçait le 22 janvier le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Le chiffre, en légère baisse par rapport aux 1 676 actes recensés en 2023, reste toutefois à un niveau «historique» pour la deuxième année consécutive, déplore le Crif.
Dans le contexte actuel de fortes tensions, exacerbées par le conflit en cours au Moyen-Orient depuis les attaques commises le 7 Octobre 2023 sur le sol israélien, vous demandez à CheckNews ce qu’il en est du racisme envers les musulmans.
D’après les données transmises à CheckNews par le ministère de l’Intérieur, un total de 173 faits antimusulmans ont été recensés en 2024. Là aussi, le nombre de faits signalés aux autorités est en baisse, mais dans une plus large mesure. En proportion des 242 faits recensés en 2023, la diminution observée en 2024 s’élève à près d’un tiers (29 % exactement).
Dans le détail, sur les 173 actes antimusulmans comptabilisés en 2024, 52 % sont constitués d’atteintes aux biens et 48 % d’atteintes aux personnes. Invité à préciser davantage la nature des faits dénoncés, Beauvau n’a pas répondu sur ce point. La Commission nationale consultative sur les droits de l’homme (CNCDH), qui présente les dernières statistiques ministérielles dans ses rapports annuels «sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie», y fournit une définition des atteintes aux biens et atteintes aux personnes. Les premières «regroupent les dégradations (incendies, vols et dégradations irréversibles), les gestes menaçants, les propos injurieux ou menaçants (proférés ou diffusés par voie électronique), les inscriptions, les courriers électroniques ou papiers, ainsi que les tracts». Quant aux secondes, elles «regroupent les atteintes présentant un degré de gravité certain, visant les personnes (attentats, homicides et tentatives, violences physiques, quelle que soit l’ITT constatée), les propos ou gestes menaçants, les tracts et courriers». Paru fin juin 2024, le rapport de la CNCDH sur 2023 rapporte que cette année-là, concernant les faits antimusulmans, «140 atteintes aux biens (dont 73 atteintes aux lieux de culte et 4 atteintes aux cimetières) et 102 atteintes aux personnes ont été recensées». Une répartition 58 %/42 % donc.
Sur les 188 faits antimusulmans recensés au cours de l’année 2022, 38 % concernaient des atteintes aux personnes et 62 % des atteintes aux biens. Si les autorités semblent désormais moins promptes à entrer dans les détails, la CNCDH disposait jusqu’en 2022 d’une ventilation précise des faits commis. Son rapport sur 2022 énumère : «30 % de propos et gestes menaçants, 19 % de dégradations, 18 % d’inscriptions à caractère antimusulman, soit près de la moitié des faits recensés, 12 % de tracts et courriers, 10 % de vols, 7 % de violences physiques, 3 % d’incendies, 1 % d’homicides.»
Concernant 2024, le ministère de l’Intérieur apporte toutefois une précision géographique : «La répartition des atteintes antimusulmanes est globalement uniforme sur l’ensemble du territoire. Néanmoins, les régions Ile-de-France (41 faits), Auvergne-Rhône-Alpes (24 faits) et Hauts-de-France (20 faits) concentrent le plus de faits.» En 2022 déjà, ces trois mêmes régions étaient les plus concernées : «L’essentiel des faits antimusulmans a été recensé en Ile-de-France (44 atteintes), dans les Hauts-de-France (24 atteintes) et en Auvergne-Rhône-Alpes (23 faits)», relevait la CNCDH.
Il faut bien souligner que ces recensements, que ce soit pour les faits antisémites ou antimusulmans, ne prétendent pas à l’exhaustivité. De fait, les actes comptabilisés sont exclusivement ceux portés à la connaissance des services de police ou de gendarmerie – car ils ont conduit au dépôt d’une plainte, à la rédaction d’une main courante ou à une saisine du parquet, ou bien parce qu’ils ont été constatés au cours d’une opération. Et encore, depuis 2017, l’enregistrement des procédures relatives à des infractions «commises en raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion» englobe tous ces faits sous une même qualification, ne permettant plus de les distinguer. Le travail de comptabilisation est donc mené par la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT) à partir des faits «portés à sa connaissance par ses relais territoriaux (services départementaux, annexes locales, antennes dans plusieurs gendarmeries) et ses partenaires locaux (commissariats de police, brigades de gendarmerie, préfecture de police, associations)», indique la CNCDH.
Par conséquent, expose-t-elle, «une hausse du nombre de faits enregistrés peut être un signe positif, témoignant non pas d’une explosion de racisme, mais d’une libération de la parole des victimes et d’une amélioration des conditions du dépôt de plainte». Un article Dalloz mis en ligne sur le site du ministère de l’Intérieur confirme : «Les victimes des atteintes [à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux] font peu la démarche de se déplacer en commissariat de police ou à la gendarmerie et encore moins de porter plainte.»
La catégorie «faits antimusulmans» n’a été décomptée à part qu’à partir de 2010. «La DNRT prend soin de bien distinguer les faits antimusulmans où le caractère proprement antireligieux de l’intention du commettant est marqué, des faits ‘anti-Arabes’», souligne la CNCDH. Mais en sens inverse, «une partie des actes antimusulmans échappent au radar car ils sont inclus dans les actes anti-maghrébins».
Reste que ces bilans permettent de dégager des tendances, souvent liées aux actualités. D’après la CNCDH, la hausse de 29 % observée en 2023 par rapport à 2022 doit être mise «en lien avec l’impact international des attentats du Hamas le 7 Octobre». L’augmentation se concentrait d’ailleurs sur le dernier trimestre 2023 (+ 164 %). Autre période marquante : les attentats de janvier et novembre 2015 avaient suscité une explosion des actes antimusulmans, dont le nombre avait atteint un pic cette année-là (429).
De son côté, le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) avait dénoncé une hausse de 70 % des actes perpétrés à l’encontre des musulmans en janvier 2015 par rapport à la même période un an plus tôt. Car, outre le travail du renseignement territorial essentiellement basé sur les plaintes, les associations ont longtemps contribué à la mesure de l’islamophobie en France. La DNRT croisait notamment ses données avec les signalements transmis par le conseil français du culte musulman. Lequel, avant sa mise en sommeil début 2022, publiait un bilan annuel au sujet des actes antimusulmans.
De la même manière, le CCIF produisait chaque année un rapport présentant les signalements qu’il avait reçus. En 2020, il a été dissous par Gérald Darmanin malgré l’intérêt de la CNCDH et même des Nations unies pour son travail. Depuis, une ONG basée en Belgique, le collectif contre l’islamophobie en Europe a repris le flambeau, et déjà publié deux rapports. Les documents font état de 527 faits islamophobes signalés en 2022 (dont 501 concernent la France) et 828 signalements en 2023 (794 viennent de France).
Une nouvelle structure, l’Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans, dont le lancement a été salué par Gérald Darmanin en février 2024, doit permettre d’améliorer le recensement de ces atteintes dans les années à venir.
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