Procès des geôliers de l’Etat islamique : les images glaçantes d’un théâtre de l’horreur

Procès des geôliers de l’Etat islamique : les images glaçantes d’un théâtre de l’horreur

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Elles offrent une plongée macabre dans le système d’enlèvement et de séquestration à grande échelle mis en place par l’Etat islamique, avec cette ambition de bâtir «un Guantanamo à l’envers», selon les mots d’un ancien geôlier. Ce mardi 18 février, des images de vidéosurveillance de l’hôpital d’Alep, transformé en un lieu crucial de détention et de torture par l’organisation terroriste, ont été projetées devant la cour d’assises spéciale de Paris. Dénuées de son, elles montrent de façon crue des détenus affaiblis et entravés face à des gardiens armés et cagoulés. Dans la salle Voltaire suspendue aux écrans, le silence se fait. Certains ex-otages ou familles d’otages sont là. Dans le box des accusés : trois hommes dont Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat du musée juif de Bruxelles, que les rescapés ont désigné sans ambiguïté comme un des gardiens les plus sadiques.

Transmises à la justice antiterroriste française par l’ONG néerlandaise «CIJA» – dont l’une des missions est de collecter les preuves des crimes de guerre en Syrie – ces images terrifiantes sont issues de douze caméras de surveillance, dont quatre fixées dans les couloirs du sous-sol de l’ancien établissement de santé. Elles constituent des milliers d’heures d’enregistrement – 2 860 exactement – et ont nécessité un véritable «travail de moine copiste» de la part des enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Captées durant les mois de novembre à décembre 2013, «elles ne couvrent malheureusement pas la période cruciale durant laquelle les otages occidentaux étaient détenus à l’hôpital», a indiqué en visioconférence le policier de la DGSI ayant dirigé l’enquête dans ce dossier colossal. En effet, les quatre journalistes français et leurs co-otages n’y sont restés que peu de temps, de juin à août 2013.

Dans ce théâtre de l’horreur ont surtout été suppliciés des Syriens restés anonymes. A l’écran, on aperçoit ainsi une interminable file de prisonniers aux yeux bandés. Puis, des hommes frappés à coups de bâtons ou de câbles électriques. Ici, un groupe de geôliers monte les escaliers avec un corps inanimé. Là, un enfant marche les yeux bandés au côté d’un jihadiste. Un autre semble, au contraire, évoluer avec les gardiens, qui faisaient assister et participer les enfants aux séances de supplices. Ces vidéos témoignent notamment «de la présence d’une salle de torture avec des prisonniers suspendus à des crochets ou à des pneus», poursuit l’enquêteur anonymisé sous le matricule SI 1 278.

Elles apportent la preuve des innombrables sévices subis par les captifs de l’Etat islamique : les «privations de sommeil», les «passages à tabac», les «simulacres d’exécution par sabre ou par arme», les «coups de poing, de gourdin, de taser»… Des violences «gratuites», parfois commises «avec délectation». «Il y a des violences institutionnalisées pour briser les otages, les détruire physiquement et moralement, les présenter dans un état lamentable pour aider aux négociations, et puis, à côté, il y a des individus sadiques qui profitent de cette détention pour exercer des violences gratuites avec une imagination sans limite», souligne encore le témoin.

«La première chose qui interpelle en visionnant ces vidéos, c’est qu’on a l’impression de relire les dépositions des otages», rebondit Benjamin Chambre, représentant du Parquet national antiterroriste (Pnat). «Effectivement, c’est édifiant, extrêmement lourd et ça matérialise les descriptions des otages», acquiesce l’enquêteur. Or, insiste-t-il : «La vocation de l’Etat islamique, c’était d’être un Etat totalitaire, basé sur une violence paranoïaque où la moindre déviance était punie : ce qu’ont vécu les otages n’est qu’une partie émergée de l’iceberg.»

Édifiantes, ces vidéos le sont aussi car elles ont permis «de mettre en évidence plusieurs mis en cause en train de frapper et déplacer des détenus», enfonce le témoin. Parmi les cinq accusés – trois dans le box, deux présumés morts en Syrie – trois ont été identifiés, dont Mehdi Nemmouche, d’ailleurs observé aux côtés de Najim Laachraoui, l’artificier des attentats du 13-Novembre, qui se fera ensuite exploser lors des attentats de Bruxelles, le 22 mars 2016. Ces extraits n’ont pas été diffusés en ce deuxième jour d’audience : ils le seront au moment de l’interrogatoire de chacun des accusés.

Grâce à ces images, les enquêteurs ont aussi pris toute la mesure du «programme d’enlèvement et de séquestration» instauré par l’organisation terroriste. «L’Etat islamique a donné une vraie dimension nouvelle à un procédé assez classique chez les jihadistes», a expliqué un deuxième membre de la DGSI, adjoint au directeur d’enquête. Tout est «extrêmement organisé, fluide». Les gardiens étaient des jihadistes étrangers, recrutés spécifiquement. «La fonction de geôlier est une responsabilité, une marque de confiance de l’Etat islamique, avait développé son supérieur dans la matinée. Il y a tout un culte du secret qui est développé.» S’ils ont ainsi le visage dissimulé, c’est à la fois pour ne pas être identifiés par leurs victimes, mais aussi pour ne pas être reconnus entre eux.

Pour juger de toute la barbarie de ce système concentrationnaire, il convient aussi d’affronter la question de l’exécution des otages, considère le ministère public. Qui demande de donner à voir, «au grand public et à la cour», la vidéo de décapitation du reporter américain James Foley, la toute première dévoilée au monde par l’Etat islamique, le 19 août 2014. Pour l’accusation, «cette vidéo atroce» est en effet «au cœur du programme de séquestrations, de violences et de tortures des otages occidentaux». A fortiori car «cette fin funeste est celle qui attendait chacun des otages», défend Benjamin Chambre.

Un avis partagé par les ex-captifs Didier François et Edouard Elias, mais pas par toutes les parties civiles. Encore moins par la défense, qui a fustigé «une propagande psychologique», selon le conseil de Mehdi Nemmouche, Me Francis Vuillemin. La cour a décidé de ne pas accéder à cette demande : «Je considère que [la vidéo] n’est pas en lien direct avec les faits dont nous sommes saisis […] Je pense que la cour est suffisamment informée», a motivé son président Laurent Raviot. Un peu plus tôt, ce magistrat particulièrement aguerri aux audiences de terrorisme avait déclaré : «Même si on les regarde avec distance en tant que professionnels, ce sont des images traumatisantes.»

Libération

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