Guerre en Ukraine : les Européens peuvent-ils se défendre sans les Américains ?

Guerre en Ukraine : les Européens peuvent-ils se défendre sans les Américains ?

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Au cœur de l’hiver, en ce 22 janvier 2025, un optimisme prudent souffle encore dans les capitales européennes. Donald Trump, fraîchement investi, s’adresse à Vladimir Poutine sur son réseau social Truth. “Arrêtez cette guerre ridicule ! […] Si nous ne parvenons pas à un accord, et rapidement, je n’aurai pas d’autre choix que de mettre en place des niveaux élevés de taxes, de droits de douane et de sanctions sur tout ce qui est vendu par la Russie aux Etats-Unis et dans d’autres pays”, lance, offensif, le président américain. Les Européens se prennent à rêver : le nouvel hôte de la Maison-Blanche va-t-il surprendre et se montrer ferme avec le maître du Kremlin ? Voire lui arracher un “deal” favorable à Kiev ?

Un mois plus tard, leurs espoirs ont volé en éclats. Un appel d’une heure et demie entre Donald Trump et son homologue russe, le 12 février, aura suffi. Ses insultes, la semaine suivante, contre Volodymyr Zelensky, qualifié de “dictateur” et de “comédien modeste”, ont fini d’enfoncer le clou. Dans les chancelleries européennes, l’expectative a laissé place à l’effroi de voir Washington s’aligner sur l’agenda de Moscou. En toile de fond, la perspective vertigineuse de devoir assumer seules la charge du soutien à l’Ukraine, comme la défense du continent contre les ambitions impérialistes de leur voisin russe. Une révolution copernicienne pour une Europe habituée, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à s’abriter sous le parapluie de la première puissance mondiale.

Encore groggy, les dirigeants du Vieux Continent se sont réunis en urgence à Paris les 17 et 19 février pour déterminer la marche à suivre. Au cœur des débats : la question d’un envoi de troupes européennes en Ukraine pour garantir la sécurité en cas d’accord de paix – une idée formulée par les équipes de Donald Trump lors de sa campagne. Mais privés du soutien américain, sauront-ils s’y résoudre ? Un mois plus tôt, le 21 janvier, Volodymyr Zelensky avait jeté un pavé dans la mare en évoquant pour la première fois le nombre de soldats européens nécessaires selon lui. “200 000, c’est un minimum. Sinon, ce n’est rien”, avait jaugé le président ukrainien, en marge du forum de Davos.

Force multinationale de 30 000 à 50 000 soldats

Les Européens en ont-ils seulement les moyens ? “Sans les Américains, une présence permanente de 200 000 hommes est impossible, tranche Thibault Fouillet, directeur scientifique de l’Institut d’études de stratégie et de défense. Pour s’en approcher, il faudrait que les Etats européens mettent la quasi-totalité de leurs moyens militaires en Ukraine.” Un scénario peu probable. En coulisses, on évoque plutôt celui d’une force multinationale de 30 000 à 50 000 soldats. “Ce serait le minimum, jauge le général (2S) Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. En dessous, le risque serait de n’être pas suffisamment dissuasif vis-à-vis de la Russie.” Surtout, compte tenu d’un front s’étalant sur 1 300 kilomètres.

A cette force terrestre s’ajouterait vraisemblablement une composante aérienne, chargée d’assurer la défense du ciel ukrainien. “Si l’on devait engager nos militaires, on ne leur ferait pas courir le risque d’être bombardés par les Russes sans moyens de protection”, note Thibault Fouillet. De quoi muscler sérieusement les capacités antiaériennes de l’Ukraine, ciblée quotidiennement par des frappes russes contre ses infrastructures civiles et énergétiques.

Un immeuble détruit par une frappe russe à Zaporijjia, dans le sud de l'Ukraine, le 26 janvier 2025
Un immeuble détruit par une frappe russe à Zaporijjia, dans le sud de l’Ukraine, le 26 janvier 2025

La diplomatie russe ne s’y est pas trompée. Lors d’une première session de pourparlers à Ryad le 18 février avec ses homologues américains, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a, comme l’on pouvait s’y attendre, jugé “inacceptable” tout envoi de troupes européennes chez son voisin. “Les Ukrainiens n’accepteront aucun accord qui ne prévoirait pas de solides garanties de sécurité, objecte Olevs Nikers, président de la Baltic Security Foundation et conseiller du gouvernement letton. En tant que pays souverains, nous n’avons de toute façon besoin ni de la permission de la Russie, ni de celle de Trump pour déployer des troupes.”

A ce stade, plusieurs pays ont ouvert la porte à une telle opération. Outre la France, le Royaume-Uni s’y est dit prêt “si un accord de paix durable est conclu”, comme la Suède ou les pays Baltes. D’autres, en revanche, se sont montrés plus frileux. Au premier rang desquels l’Allemagne et la Pologne : la première a jugé cette initiative “inappropriée”, et la seconde l’a d’ores et déjà exclue.

Nécessaire remontée en puissance

En l’absence du grand frère américain, l’un des principaux défis serait pour les Européens de combler les trous dans la raquette. “Il y a déjà la question du commandement : savoir qui donne les ordres, relève le général Pellistrandi. En outre, l’Europe manque de capacités logistiques, comme des avions gros-porteurs, pour transporter d’énormes quantités de matériel vers l’Ukraine.” Dépourvus des vastes arsenaux américains, les Vingt-Sept rencontrent le problème d’une masse insuffisante d’hommes et d’équipements. “En dépit de leurs forces très qualifiées, la plupart des armées européennes n’ont pas assez de moyens pour soutenir un conflit de longue durée”, résume Tomas Ries, professeur à l’Ecole supérieure de la défense nationale de Stockholm.

Pour l’heure, rares sont de fait les Européens à envisager une action en Ukraine sans garantie de Washington. Tout en reconnaissant que l’Europe devait “jouer son rôle”, le Premier ministre britannique Keir Starmer a estimé le 17 février que tout accord de paix devait contenir un “filet de sécurité américain” pour dissuader la Russie d’attaquer à nouveau son voisin. Il se rend d’ailleurs à Washington cette semaine pour plaider ce sujet auprès du président américain. Un prérequis pourtant loin d’être assuré. Lors d’une réunion avec ses homologues européens le 12 février, le secrétaire américain à la Défense Pete Hegseth avait ainsi indiqué que les soldats déployés en Ukraine ne le seraient pas dans le cadre de l’Otan et ne seraient donc “pas couverts par l’article 5” – prévoyant une assistance mutuelle entre les membres de l’Alliance en cas d’agression contre l’un d’eux.

Le cas échéant, la tentation pourrait être grande pour Moscou de tester la détermination des forces présentes sur le sol ukrainien. “Il est probable que les Russes tenteront de provoquer un incident, juge le général Pellistrandi. Les règles d’engagement devront être claires si une patrouille européenne venait à être prise pour cible.” Leur capacité à répondre à tout acte d’intimidation sera déterminante. “Seule la force est de nature à dissuader la Russie, abonde Olevs Nikers, de la Baltic Security Foundation. Il faudra montrer à Poutine que ces forces ne sont pas juste symboliques, mais prêtes à se battre en cas de besoin.”

Qu’ils le veuillent ou non, les Européens pourraient n’avoir guère le choix que de se préparer à une possible confrontation avec Moscou, en Ukraine ou sur leur sol. Dans une note rendue publique début février, les services de renseignements danois ont estimé que la Russie pourrait être prête à mener une “guerre à grande échelle” en Europe d’ici cinq ans si “elle perçoit l’Otan comme militairement affaiblie ou politiquement divisée”. “Il est urgent et fondamental que les Européens remontent en puissance en matière de défense, insiste Tomas Ries, à Stockholm. Nous en avons encore la possibilité, mais cela impliquera un effort politique et économique important.” Selon une étude publiée le 21 février par le groupe de réflexion pro-européen Bruegel, la hausse des dépenses militaires européennes pour dissuader une nouvelle agression russe pourrait se chiffrer à au moins 250 milliards d’euros par an.

L’Express

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