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Son objectif est de remédier à un déficit de démocratie. Examinée à l’Assemblée nationale à partir du 20 mars, la réforme du mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille, portée par le camp présidentiel, essuie pourtant de nombreux reproches, à droite comme à gauche. Le président (Renaissance) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, a fustigé un «tripatouillage électoral» destiné à glaner des mairies lors des municipales de mars 2026. La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, s’étonne quant à elle de la proximité temporelle de la réforme avec les prochaines échéances électorales.
Les partisans de la réforme annoncent leur volonté d’«en finir avec ce qu’ils considèrent comme une anomalie» née de la loi PLM (Paris, Lyon, Marseille) de 1982, décrypte Bruno Daugeron, professeur de droit public à l’Université Paris Cité. Dans ces trois grandes villes, les habitants votent pour un conseil d’arrondissement ou de secteur et se retrouvent «à n’élire qu’indirectement le conseil municipal», constate le texte porté par les députés macronistes Sylvain Maillard et David Amiel. Ceux-ci déplorent l’«opacité» d’un scrutin «complexe», dérogatoire et inéquitable, où «l’importance électorale de sa voix dépend du lieu où l’on réside». Au risque qu’un maire puisse être «élu avec le soutien d’une minorité de voix».
Le contenu de la proposition est susceptible d’évoluer dans les prochaines semaines, au fil de son examen en commission et «au Sénat, qui représente les collectivités territoriales», rappelle Didier Girard, avocat au barreau de Paris et docteur en droit public. En l’état, la proposition met sur la table deux ajustements. D’abord, les électeurs du trio de métropoles disposeraient de deux bulletins de vote. L’un pour choisir ses conseillers d’arrondissement, comme c’est le cas aujourd’hui ; l’autre pour désigner les conseillers municipaux siégeant à la mairie centrale, sur le modèle des autres communes.
Le second rééquilibrage porte sur la «prime majoritaire». Dans le système actuel, comme dans toute commune de plus de mille habitants, la liste arrivée en tête se voit attribuer 50 % des sièges du conseil d’arrondissement, «afin de garantir une certaine stabilité, en corrigeant le phénomène de dispersion des partis», explique Zérah Brémond, maître de conférences en droit public à l’université de Pau. L’autre moitié est répartie à la proportionnelle entre la liste gagnante et les autres listes.
Le texte en discussion plaide pour abaisser la prime à 25 %. «Au lieu de procurer un large avantage à un seul parti du fait de la prime, [l’idée est] d’encourager les regroupements de listes, analyse Didier Girard. Cependant ce réflexe est pour l’instant peu intégré à la culture politique française». Avec le risque, donc, «de ne pas obtenir de majorité, ce qui peut rendre l’adoption du budget municipal difficile», pronostique le juriste.
Avec cette réforme, «de facto, le maire ne pourrait plus être élu s’il perd le vote populaire», note-t-il, dans le cas où un parti gagnerait de peu une majorité d’arrondissements, mais obtiendrait un score inférieur à l’échelle de la ville. Une telle situation n’a eu lieu qu’à deux reprises à Marseille, en 1983 et en 1995, où «la sectorisation a été délibérément conçue de sorte à avantager certaines listes», nuance Didier Girard. Issue de la volonté de «tenir compte de la complexité de ces villes, assez grandes pour mettre en place un échelon politique supplémentaire», la loi PLM n’a sinon «jamais posé de difficultés particulières». Qui plus est, «elle est neutre : elle peut servir la gauche, comme la droite», affirme-t-il.
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Par ailleurs le risque d’«effets déformants» sur le résultat de l’élection n’est pas propre à la loi PLM. Du fait de la prime majoritaire, «dans les autres communes, un maire peut tout aussi bien être élu avec 30 % de voix, même 20 %» tempère Bruno Daugeron. Et, «dans les faits, les listes d’arrondissement sont déjà présentées sous la bannière d’un candidat à la mairie» centrale. La réforme pourra certes «donner l’illusion que le maire a été désigné par les habitants eux-mêmes». Mais il ne s’agira pas «d’un passage au suffrage direct, contrairement à ce que suggère la proposition de loi», insiste-t-il, puisque c’est toujours pour une liste, et non pour un unique candidat à la mairie, qu’il s’agira de voter.
A la demande d’un nombre suffisant de parlementaires ou du président de l’une des deux assemblées, le Conseil constitutionnel pourrait se pencher sur le texte, une fois celui-ci voté. Un scénario pas improbable, au vu des protestations qui ont accueilli l’annonce de la réforme. Les chances d’aboutir à une censure sont toutefois maigres, car la proposition «conserve les grandes lignes du système précédent : un suffrage universel, secret, territorialisé», assure Didier Girard.
Autre source de désaccords : le calendrier de la réforme. Anne Hidalgo l’a martelé dans une lettre adressée au Premier ministre, François Bayrou, le 17 février : le code électoral interdit de changer les règles du jeu d’un scrutin qui se tient dans moins d’un an, comme ce sera bientôt le cas des municipales à venir. Malgré le déclenchement d’une procédure législative accélérée par Matignon, les délais sont donc serrés. Mais pas rédhibitoires : ce principe «n’a pas de valeur constitutionnelle, et n’est donc pas gravé dans le marbre. Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire», objecte Zérah Brémond. A condition de le justifier, par exemple par le besoin de clarifier une organisation peu lisible. Les artisans de la réforme gardent donc «un intérêt à faire passer la réforme dans les délais imposés par la loi, pour que leur démarche soit tout à fait inattaquable», résume Didier Girard.
Passé ce délai, le terrain pourrait s’avérer plus glissant. La loi «pourrait être suspectée de détournement de pouvoir», conjecture-t-il, «qui désigne l’utilisation de son pouvoir législatif à des fins étrangères à l’intérêt général». Pourtant là encore, l’option de la censure ne tient pas : «même lorsque François Mitterrand avait fait passer les législatives au scrutin proportionnel en 1985 – un changement profond, à quelques mois des élections–, le Conseil n’avait rien trouvé à redire… Il a ensuite explicitement écarté ce motif d’inconstitutionnalité en 2003», observe Zérah Brémond. D’autant que la juridiction suprême se refuse, dans l’écrasante majorité des cas, à trancher des questions de nature politique. Ce qui paraît être le cas ici.
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