Cinquante ans, les césars passent un cap. Il faut commencer à compter les rides et les cheveux blancs, jeter un œil sur le plan épargne retraite… Mais non, bien entendu, c’est le jeune âge, la vie devant soi, d’ailleurs pour ne marquer aucun début de souffle court, l’Académie multiplie les signes en direction des nouvelles générations, avec un tapis rouge en direct live où les «talents» seront interviewés par l’influenceuse star Léna Situations qui, avec ses 3,5 millions d’abonnés sur TikTok et 4,8 millions de followers sur Insta, est donc à un niveau de notoriété qu’une partie de ses interlocuteurs, soutiers de l’art et essai, ne pourront jamais atteindre !
Pour la première fois, Canal + retransmettra la cérémonie en clair sur sa chaîne mais aussi sur TikTok, pour une viralité de l’évènement qu’ils espèrent d’autant plus internationale que cette année, le film Emilia Pérez de Jacques Audiard (qui escompte ramasser les césars du meilleur réalisateur et du meilleur film) se retrouve surexposé puisque treize fois nommés aux oscars qui se dérouleront dimanche à Los Angeles.
Le nuage radioactif qui entoure désormais le film faussement mexicain du réalisateur français le place dans une posture paradoxale de favori défavorable (ou défavorisé) après les révélations sur les anciens tweets racistes de son actrice principale, Karla Sofía Gascón. L’effet dévastateur de ces messages – où étaient raillés ou vilipendés aussi bien les femmes voilées que George Floyd – sur la campagne des oscars ne devrait cependant pas anihiler toutes les chances du film auprès des votants français. L’image du film est abîmée, certes, mais l’imperium d’Audiard qui collectionne les césars depuis Regarde les hommes tomber en 1994 (meilleur premier film) et neuf autres depuis à titre personnel aux différents postes de ses activités de scénariste et de réalisateur.
Reste que le match est plus difficile à prévoir dans son issue que l’an dernier, où tout le monde savait qu’Anatomie d’une chute allait régner sur la soirée. Le Comte de Monte-Cristo et l’Amour ouf forment le duo de tête en nombre de nominations (respectivement 14 et 13). Mais on peut aussi postuler que les votants vont plutôt plébisciter un outsider, un film moins marqué du sceau de la grosse production (43 millions d’euros de budget pour le Comte de Monte-Cristo, 37,5 millions d’euros pour l’Amour ouf, 26,9 millions pour Emilia Pérez) pour appuyer de leur suffrage des films ayant créé la surprise en dépit de moyens de fabrication et de marketing nettement plus modestes.
Ainsi de L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine avec la révélation Abou Sangare, film social haletant sur la condition des migrants sans papiers à Paris ou encore En fanfare d’Emmanuel Courcol, tableau des différences de classe surmontées au bénéfice d’une pratique heureuse de la musique sous toutes ses formes, feel good movie ayant attiré 2,4 millions de spectateurs, deux films puissamment fédérateurs.
La 50e cérémonie des césars est présidée par Catherine Deneuve, mise en scène par Cédric Klapisch, la présentation sera répartie entre plusieurs monsieur et madame Loyal (Jean-Pascal Zadi, Vimala Pons, Emmanuelle Béart, Pio Marmaï, Bouli Lanners, Hafsia Herzi et Justine Triet, entre autres). La team Culture de Libération, qui n’est pas membre de l’Académie et ne vote pas du tout, a quand même fait son palmarès maison et vous a demandé de faire vos propres sélections. Vous pouvez d’ailleurs continuer à voter jusqu’à ce vendredi, 17 heures.
Hafsia Herzi dans Borgo
Elle joue une surveillante de prison accusée de complicité dans l’exécution de deux barons du crime. Comme d’habitude, elle impose au film l’intensité décuplée de cette franchise opaque qui la caractérise, à la fois cash et cachée. Lire la critique du film et son portrait.
Benjamin Lavernhe dans En fanfare
Dans En fanfare, il joue le chef d’orchestre parisien, le type à l’aise mais malade, qui finit par rencontrer son frère, adopté par une autre famille, des prolos du Nord (interprété par Pierre Lotin). Depuis son rôle de jeune marié excédé dans le Sens de la fête, il peaufine son élégance british un rien désabusée. C’est un peu notre Hughes Grant non ? Lire son portrait.
Alain Guiraudie pour Miséricorde
De nouveau inspiré par son roman «Rabalaïre», le dernier film du cinéaste nous plonge dans le microcosme subjuguant d’un village où, avec une magistrale simplicité, les personnages se désirent et se déchirent. Lire la critique et son interview.
L’Histoire de Souleymane, produit par Bruno Nahon, réalisé par Boris Lojkine
Un livreur à vélo se débat pour survivre et obtenir ses papiers, un genre de thriller social sur le quotidien de ces travailleurs corvéables à merci comme une course d’obstacles permanente. Phénomène à Cannes, le film a fait près de 600 000 entrées, en grande partie grâce à la prestation d’Abou Sangare, jeune guinéen charismatique, en situation irrégulière au moment de la sortie du film, et régularisé temporairement depuis. Lire la critique.
Maïwène Barthelemy dans Vingt Dieux
Etudiante en BTS «production animale» à Vesoul Agrocampus (Haute-Saône), elle a passé un casting pour le premier long-métrage d’une réalisatrice elle-même issu du milieu rural. Le film de terroir s’est grâce à elle et son comparse, Clément Faveau, transformé en récit survitaminé digne des meilleurs récits de Mark Twain. Lire la critique du film.
Adam Bessa dans les Fantômes
Toujours sec, le regard fauve et corps tendu comme un arc, découvert en 2022 dans Harka, le jeune acteur franco-tunisien, qui a grandi à Nice, magnétise la caméra et ses rôles. Lire son portrait à Cannes et la critique du film.
Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, réalisé par Gints Zilbalodis, produit par Ron Dyens
Dans un monde sans humains et submergé par les catastrophes climatiques, Gints Zilbalodis nous embarque dans une aventure collective et fabuleuse à hauteur de bêtes. La révélation d’un talent hors norme venu de Lettonie. Lire notre critique et l’interview du réalisateur.
Anora de Sean Baker
Faux conte de fées tournant à la comédie d’action, le long métrage récompensé par la palme d’or filme la rencontre entre une strip-teaseuse déterminée à sortir de sa condition et le fils pourri gâté d’un oligarque russe, dont la famille désapprouve l’union. Palme d’or à Cannes cette année. Probable oscar du meilleur film selon les pronostics américains. Lire notre critique du film.
Vingt Dieux, réalisé par Louise Courvoisier, produit par Muriel Meynard
S’inspirant du lieu et de l’entourage de son enfance, la jeune cinéaste signe un premier film authentique et intelligent, chronique du milieu agricole, avec deux comédiens non professionnels fabuleux. Lire l’article écrit à la découverte du film au festival de Cannes, notre prix spécial du Jura.
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