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A procès hors norme, dispositif exceptionnel. Prévu pour s’étaler sur une durée de quatre mois, le procès de Joël Le Scouarnec s’est ouvert lundi 24 février à Vannes, dans le Morbihan. Dans ce vaste dossier pédocriminel, un seul homme, ancien chirurgien, est accusé de viols et d’agressions sexuelles sur 299 patients, dont 184 se sont constitués parties civiles directes et 74 indirectes (famille). Sur place sont également présents plusieurs centaines de journalistes accrédités, ainsi qu’un public nombreux. Une affluence que ne peut contenir la cour criminelle départementale, dotée de 90 places seulement.
Dans ce contexte et après des mois de recherche, Ronan Le Clerc, secrétaire général du parquet général de Rennes, chargé de l’organisation de ce procès, a opté pour une audience diffusée en simultané dans plusieurs salles différentes. Ainsi, la présidente, les avocats et l’accusé se trouvent dans cour criminelle, la salle principale. C’est à cet endroit qu’ont lieu toutes les auditions. A quelques centaines de mètres de là, au sein de la faculté de droit de Vannes, ont été ouvertes plusieurs salles annexes, dites «de report». Un amphithéâtre accueille les parties civiles, qui doivent faire le déplacement vers la salle principale lorsque vient leur moment d’être auditionné. Deux autres salles distinctes sont réservées à la presse, et au public.
Dans chacune de ces salles sont diffusées les images de l’audience. Concrètement, dans la cour criminelle sont installées trois caméras mobiles, six micros volants, une régie image-son et deux régisseurs, nous précisent les magistrats en charge de l’organisation technique. Les caméras mobiles, par un système de «tracking», opèrent des plans sur les personnes qui ont la parole. A quelques centaines de mètres de là, l’amphithéâtre des parties civiles bénéficie d’un écran géant où sont retransmises ces images. Dans la salle principale et la salle de presse est également visible un plan fixe sur la salle des parties civiles, depuis laquelle les interventions sont permises via un système de visio.
Dès l’ouverture du procès, ce dispositif a suscité des critiques parmi les avocats des parties civiles. Sur France Inter le 25 février, Marie Grimaud, qui représente trente-neuf parties civiles, a ainsi déclaré : «L’émotion générale, c’est de la colère sur les images qui leur sont imposées. Elles dépendent de celui qui filme à l’intérieur de la salle d’audience, et donc avec des plans qui ne sont pas choisis par les victimes mais imposés par la régie.» Alors que la première semaine d’audience touche à sa fin, l’avocate indique à CheckNews que son point de vue sur la situation, depuis son interview sur France Inter, «s’est aggravé».
«Il y a beaucoup de problèmes techniques entre les deux salles, les micros ne sont pas toujours assez forts, les images sont parfois brouillées. Mais la plus grosse difficulté reste que les parties civiles n’ont jamais de vue d’ensemble des interlocuteurs de la Cour. Ils ont des plans qui dépendent de la régie. Ils n’ont pas le choix de ce qu’ils peuvent voir ou non.» Et l’avocate de citer l’exemple d’une projection de documents pédopornographiques détenus par Le Scouarnec. «J’ai dû demander en urgence un peu de temps pour prévenir mes clients, sur notre groupe WhatsApp, que des images difficiles allaient être projetées. Sinon, ça allait leur être imposé comme ça, sans avertissement.» Elle poursuit : «Ils sont enfermés dans un champ de vision qui est difficile à appréhender et perdent en compréhension lorsque des interactions rapides ont lieu, entre les avocats, les témoins et la Cour.»
Selon Marie Grimaud, cette forme de retransmission suscite même une angoisse importante chez les parties civiles, quitte à remettre en question leur volonté de témoigner : «Certains commencent à me dire qu’ils ne veulent plus être auditionnés. Cette salle est devenue un endroit qu’ils craignent car ils n’en voient que des bouts et n’en comprennent pas toutes les interactions.»
A la barre
De leur côté, les magistrats précisent à CheckNews que ce système «complexe» a été réfléchi en amont et continue d’être amélioré : «Les plans initiaux ont été dans un premier temps proposés d’après ceux utilisés lors de procès utilisant une configuration identique – comme le procès V13, celui des attentats de Nice ou de Charlie Hebdo – avant d’être affinés à plusieurs reprises et validés par la présidente. Lors de la marche à blanc du 6 février, à laquelle les avocats chefs de file des parties civiles et de la défense ont participé, les plans et le tracking ont été précisés. Ils ont été améliorés à l’issue de chaque journée d’audience lors de débriefing avec les équipes techniques et la présidente de la cour.» Il a ainsi été question «d’élargir les plans lors de la déposition de témoin en incluant celui ou celle qui le questionne, ainsi que l’accusé, de varier les plans durant l’audience et dans l’insert durant les auditions de témoins ou d’expert par visioconférence, d’une plus grande fluidité du tracking, du réglage du volume des sources sonores et de la qualité d’image».
Au-delà du système de retransmission, c’est plus généralement le choix d’un procès morcelé – alors qu’un lieu commun comme un gymnase ou des salles de spectacle ont un temps été considérés – qui concentre les critiques. Dans une tribune publiée sur Libé, 37 victimes représentées par Me Grimaud regrettent entre autres de devoir «vivre les débats à distance, relégués dans un amphithéâtre, loin du tribunal… loin de leurs avocats […] mais surtout loin du regard des juges». A cet égard, Marie Grimaud note que régulièrement, pendant les débats, «l’audition de certains témoins provoque un grand émoi dans la salle de report. Et la Cour ne le voit pas vraiment, ça crée une mise à distance de la présidente qui ne l’aide pas à mesurer le procès qu’elle mène».
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