Cérémonie des césars 2025 : «Emilia Perez», un amour pas ouf

Cérémonie des césars 2025 : «Emilia Perez», un amour pas ouf

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«Que faisiez-vous avant le déclenchement de la 3e guerre mondiale ? — Je regardais la 50e cérémonie des césars mise en scène par Cédric Klapisch.» Mauvais karma. Quelques minutes avant, Donald Trump virait Volodymyr Zelensky de la Maison Blanche pour cause de divergence de points de vue sur Vladimir Poutine. La maîtresse de cérémonie, Catherine Deneuve, très sobre, pas bavarde, au-dessus du lot, pins bleu et jaune à la boutonnière, a dédié la soirée à l’Ukraine. C’était le minimum qu’il était possible de faire pour tenter de ne pas se déconsidérer totalement.

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Drôle de soirée de toute façon que le hasard des suffrages a privé de la possibilité de pousser un peu plus encore le film l’Histoire de Souleymane, et la fougue réaliste de son livreur en quête de régularisation, à un moment bien parti pour créer la surprise – révélation masculine pour Abou Sangaré, meilleure actrice dans un second rôle pour Nina Meurisse (qui a dû avoir un jour de tournage à tout casser, mais tant mieux pour elle), meilleur scénario original pour Boris Lojkine et Delphine Agut et meilleur montage – au profit de la valeur sûre Jacques Audiard. Une valeur sûre qui représente pour beaucoup de professionnel la synthèse parfaite de l’artiste frondeur et de l’entrepreneur efficace. Des projets pas évidents sur le papier et qu’il transforme en véritable machine à moissonner aussi bien les prix dans les festivals que les faveurs du public. On ne sait plus vraiment si les gens admirent Emilia Perez pour ce qu’il est ou ce qu’il raconte (et auquel cas, faut se réveiller !) ou par ce qu’il représente, c’est-à-dire un défi technique, financier, une course d’obstacles par son sujet (la transition de genre), sa surface de casting (une quasi-inconnue en première place et autour d’elle deux stars américaines), ses impératifs de production (tourner en France une comédie musicale se passant au Mexique).

Indéniablement aussi et comme on pouvait s’y attendre, les polémiques importantes traversées par le film depuis sa mauvaise réception au Mexique et surtout l’exhumation des tweets de Karla Sofia Gascon n’ont guère détourné les votants du film. Possiblement même à l’inverse, un certain plébiscite de soutien à Audiard a pu se déclencher dès lors qu’il paraissait aspiré à son corps et esprit défendant dans le cyclone d’une campagne des oscars hors contrôle. Ceci dit, l’ambiance semblait glaciale entre lui et Karla Sofia Gascon, remerciée en bout de course mais sans que le moindre regard ni embrassade ne ponctuent ses divers prix.

Les autres films ont finalement eu du mal à exister pour eux-mêmes, comme réduits aux marges, quand ils n’ont pas été tout simplement ignorés tel Miséricorde d’Alain Guiraudie, finalement gagnant dans aucune catégorie. Il est malpoli, voire insultant, de forcer quelqu’un à venir à une soirée à laquelle il n’a aucune envie de participer, pour finalement ne pas lui adresser la parole. Guiraudie a sans doute vécu ce soir une expérience assez similaire. Miséricorde repart bredouille d’une cérémonie dont il pouvait espérer, sinon un pactole, au moins une ou deux conversions. L’Albigeois n’a pas caché sa croissante vexation, qui s’explique peut-être par ce que le film, au-delà de son échec au palmarès, a paru inexistant de l’imaginaire – en d’autres temps plus conciliateurs entre les pôles de l’industrie, des sketchs l’auraient mis à égalité avec le Comte de Monte-Cristo (meilleurs costumes et meilleurs décors), lui assurant une modeste place dans le récit de l’année de cinéma. Là, niet – c’est à se demander si l’élite se succédant au pupitre l’a ne serait-ce que vu, ou si elle s’est juste demandé ce qu’il foutait là. Lui aussi, clairement.

Faire le minimum, faire sobre, direct, simple était parfois, souvent, la moins pire des solutions il faut dire. Se contenter de quelques mots bien sentis plutôt que d’occuper l’espace pour rien tel Raphaël Quenard, passé en moins d’un an du prodige salvateur à tête à claques exaspérante, même si certains n’ont pas vraiment eu le choix de faire long. Comme l’excellent Abou Sangaré, qui a donc démarré la soirée sur une note enthousiasmante en remportant le césar du meilleur espoir masculin. Comédien non professionnel, casté à Amiens alors qu’il était dans une formation de mécanicien et qui depuis son prix d’interprétation à Cannes a pu avoir un permis de séjour d’un an. «Merci à l’Académie pour cette merveilleuse organisation», a-t-il déclaré affirmant avoir traversé une période de non-vie totale entre 2017 et 2023, la rencontre avec l’équipe du film de Boris Lojkine agissant comme une deuxième naissance –avant que les violons ne l’expédient prématurément vers la sortie.

Au temps qui presse chaque fois un peu plus, on peut aussi opposer l’énergie, comme Louise Courvoisier, césar du premier film pour le formidable Vingt dieux, histoire de débrouille au pays du Comté, un des trucs les plus électrisants vus ici depuis longtemps et qui repartira aussi avec le césar de la révélation féminine pour Maïwene Barthelemy : occasion rare d’entendre prononcer «Vesoul» lors de la cérémonie des césars autrement que pour une blague d’un autre âge, c’est la cinquantième, il fallait bien marquer le coup.

D’autres auront heureusement eu la chance de faire plus long. Jonathan Glazer remporte le césar du meilleur film étranger pour la Zone d’intérêt. Absent dans la salle, il a demandé qu’un texte soit lu en son nom : «Aujourd’hui, la Shoah et la sécurité juive sont utilisées pour justifier les massacres et les nettoyages ethniques à Gaza après les massacres. Les massacres du 7 octobre et la prise d’otages en Israël : il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, d’actes de terreur contre des innocents, rendu possible par la déshumanisation des gens, des personnes qui se trouvent de l’autre côté de nos murs. C’est la zone d’intérêt.» Applaudissements courts mais nourris dans la salle. Un discours de même nature avait créé la polémique lors des oscars 2024, il avait reçu alors le prix du meilleur film étranger à Los Angeles. Costa Gavras lancé dans une longue évocation de souvenirs pour son césar d’honneur finira par conclure juste et fort, en évoquant cette soirée cinéma où était projeté son film Z attaquée le 16 février à Paris par un groupe d’extrême droite, blessant une personne à l’arme blanche.

Moins chanceux, moins attendu mais tout aussi impeccable, Gilles Perret, césar du meilleur documentaire pour la ferme des Bertrand, dont la voix off précisera qu’il vient de Haute-Savoie comme on aurait dit qu’il débarquait d’un trek à Pluton. Malgré les violons agaçants qui ont déboulé très vite et très fort, le réalisateur n’a pas cédé et a pris le temps d’évoquer sans sourciller ni se cacher derrière une façade humoristique les crises que traversent «l’hôpital public, l’école publique, les structures collectives qui nous permettent de faire société […] dans un pays où l’on tend le micro plus facilement à des milliardaires qui se plaignent plutôt qu’aux dix millions de pauvres, ou les dirigeants pour rester en place préfèrent s’allier à l’extrême droite fasciste plutôt que de poser la question du partage des richesses et de la protection de la planète» avant d’appeler la profession à faire sa part : «La maison brûle et on filme ailleurs.»

Du temps aussi, beaucoup, pour le babil euphorique de Karim Leklou, qui a contre toute attente damé le pion à tous les omniprésents de l’année (François Civil, Pierre Niney) pour le césar du meilleur acteur, qu’il a remporté pour le Roman de Jim des frères Larrieu. Tout le monde semblait content de le voir enfin là, lui paraissait ne pas y croire un instant, de toutes celles et ceux qui se sont succédé sur scène ce soir, une chose est certaine, c’est lui qui a passé le meilleur moment et c’était plutôt salutaire à voir. Il s’est lancé dans une ode à la gentillesse quelque peu embrouillée mais si quelqu’un dans l’assistance s’est reconnu dans cette disposition positive et bienveillante en dépit du fort cliquetis des ego compétiteurs et du marché instable des valeurs transactionnelles des «talents» dealées par les agents, grand bien lui fasse. Même effet dans un registre un peu plus retenu avec la fascinante Hafsia Herzi, césar de la meilleure actrice dans son rôle de gardienne de prison dans Borgo qui a elle aussi éteint une concurrence bulldozer (Adèle Exarchopoulos, les deux actrices d’Emilia Perez).

On se questionnera en revanche longuement sur le sketch interminable d’Alain Chabat, césar lunaire du meilleur second rôle (et seule récompense pour l’Amour ouf pourtant nommé treize fois), catégorie qui a force de voir disparaître les figures de fond d’écran, a un peu viré à la blague. Des figurants pour boucher les trous comme les flics dans les procédures d’identification (Bastien Bouillon, Laurent Laffitte et donc, inexplicablement, Chabat), contre deux seuls candidats réellement concernés : Jacques Develay et David Ayala, tous deux dans le démentiel Miséricorde d’Alain Guiraudie.

«C’est le moment chiant où quelqu’un se met à parler à la ministre de la Culture», rigole Balasko, sous les rires de la salle et le large sourire d’une Rachida Dati ne craignant pas d’être trop secouée. A raison puisque à défaut de l’interpeller sur l’un des cinquante-trois sujets véritablement critiques d’une période assez chargée, l’actrice invoquera l’urgence d’une «Europe de la culture», que la ministre applaudira d’ailleurs elle-même. Libre à chacun de juger du degré de priorité comparé d’une telle déclaration d’intention superstructurelle, et par exemple de la grève de la CGT spectacle annoncée le 20 mars, qu’aucune prise de parole n’a ce soir jugé bon de mentionner. Une contre soirée était d’ailleurs organisée par un collectif syndical dont la CGT qui a pris d’assaut la Cinémathèque pour protester contre la fonte des subventions culturelles. On se souvient comment, en 2022, les césars avaient réduit le risque de débordement politique en renonçant au maître de cérémonie unique pour une présentation multiple. Le coup de ces césars est le même, puisqu’aucun des éphémères remettants n’a pris à bras-le-corps son rôle pour en faire une plateforme : appelons ça diviser pour mieux régner. Après quelques années émaillées d’insoumissions véritables en milieu cérémoniel, de moments de télévision authentiquement contestataires, signés Corinne Masiero ou Justine Triet, vertement sermonnées par les ministres de la Culture d’alors (Bachelot puis Abdul Malak), la mise au pas semble avoir été intériorisée d’une manière ou d’une autre par un vedettariat qui n’ose plus ou se désintéresse du militantisme réel, pour ne le pratiquer que dans un demi-second degré.

«Le chat traverse tellement d’épreuves, mais même à la fin, il a encore des peurs. Il apprend simplement à vivre avec elles plutôt que de les fuir.» Finalement, en citant un extrait d’interview de Gints Zilbalodis, réalisateur de Flow, césar mérité du meilleur film d’animation, un de ses producteurs français a suturé la frivolité de la soirée avec le gouffre géopolitique en cours. Morale de la soirée : apprendre à vivre avec ses peurs et couper les violons.

Libération

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