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Savoir qui nous sommes, savoir ce à quoi nous tenons, penser les lieux et les échelles de ce qui nous rassemble… Le Campus Condorcet organise, le 20, 21 et 22 mars 2025, trois jours de débats et de rencontres sur le thème «Universel(s) ?». Un événement dont Libération est partenaire.
L’anthropologie entretient un rapport très particulier avec l’universel. Tandis que la sociologie ou l’histoire révèle les forces sociales qui exercent sur nous une action causale en façonnant nos comportements et nos préférences, l’anthropologie déploie son effet critique en nous faisant découvrir d’autres manières de vivre la condition humaine et en éveillant en nous la potentialité d’être humain d’une manière dont nous ignorions l’existence. Elle manifeste ainsi une causalité qui lui est propre, non pas en révélant des déterminations précédemment ignorées, mais en suggérant des alternatives jusqu’alors inconnues à l’état présent des choses.
Ce mouvement est précieux lors d’un bouleversement cosmologique, comme celui dans lequel nous sommes plongés en raison du déséquilibre croissant du système de la Terre déclenché par la dévastation capitaliste. L’impératif de concevoir des modes de vie alternatifs sur notre planète et de cohabiter avec tous ses habitants, humains ou non, impose un effort gigantesque pour imaginer de nouvelles façons de partager les mondes très divers que divers collectifs se sont composés. Une alter politique devient d’actualité, car nous avons un besoin urgent de concevoir des relations entièrement nouvelles entre une plus grande variété d’agents, quel que soit leur statut ontologique. Mais devenir radicalement étranger à nous-mêmes en découvrant ailleurs de nouvelles façons d’être humain ne représente qu’une moitié du chemin ; ou plutôt, cela ne fait qu’apporter l’impulsion initiale dans un trajet réflexif qui comporte de nombreuses étapes. L’une de celles-ci, la plus urgente, consiste à prendre conscience de ce que les outils descriptifs et conceptuels que nous utilisons pour rendre compte de cosmopolitiques alternatives, et même d’autres façons de se rapporter à nos semblables et aux autres habitants de la Terre, sont imparfaits car ils ont été initialement conçus pour rendre compte de la seule sphère sociale européenne.
S’altérer soi-même, afin d’être plus accommodant envers les autres, implique une refonte majeure de l’appareil mental que nous utilisons pour décrire et analyser l’altérité. Car les concepts clés des sciences sociales, désormais passés dans le langage courant, tels que «culture», «nature», «société», «histoire», «économie», «politique», «religion», «art» sont tout sauf universels : ils sont le produit d’une histoire très singulière et furent forgés afin de mettre des mots sur certaines des réalités qui prenaient une autonomie perceptible en Europe du début du XVIIIe à la fin du XIXe siècle, lors de cette période cruciale au cours de laquelle notre continent se définissait réflexivement comme un ensemble de collectifs humains enracinés dans un processus temporel commun. Réformer notre vocabulaire descriptif, c’est non seulement prendre au sérieux la façon dont d’autres civilisations se conçoivent elles-mêmes, c’est aussi tenter de concevoir un monde nouveau dans lequel nature et société ne sont plus dissociées.
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