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La nature en deuil et une humanité éplorée. Les «océans sanctuaires, les rivières vivantes, les forêts éclatantes de santé et les champs habités de mille et un murmures» ont disparu. Désormais «les milieux marins sont asphyxiés, les zones humides s’assèchent, la faune sauvage s’estompe, et les printemps sont devenus silencieux». Dans une oraison funèbre, Allain Bougrain-Dubourg, président historique de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), a symboliquement enterré la biodiversité, attaquée de toute part par les politiques publiques depuis plus d’un an. L’association a organisé cette cérémonie d’obsèques devant son siège national à Rochefort (Charente-Maritime) ce jeudi 13 mars pour alerter sur «la disparation tragique» de la protection de la biodiversité et dénoncer des «régressions environnementales sans précédent».
«Un peu de silence, s’il vous plaît, nous sommes à un enterrement», a demandé Allain Bougrain-Dubourg aux 250 personnes présentes. Devant une grande bâche noire ornée d’un macareux au regard triste et d’une inscription «la nature en deuil», les participants, dont une grande partie portait des masques d’oiseaux, se sont rassemblés, têtes basses. Pour le militant, «la nature n’est pas morte mais elle agonise très clairement». «On envisage de chasser la bécassine des marais, encore et encore, alors qu’il ne reste plus que soixante couples nicheurs en France. Tant de choses inacceptables qui peu à peu favorisent le déclin de ce vivant», a-t-il déploré lors de cette oraison funèbre. «On voit que partout, les signaux qui permettent d’apprécier sa dimension, sa biodiversité, sont au rouge», a alerté le défenseur de l’environnement, rappelant que 800 millions d’oiseaux ont disparu en Europe depuis quarante ans.
De son côté, le député écologiste de Charente-Maritime Benoît Biteau a ciblé les «pesticides», responsables de la disparition de «70 % des cortèges d’insectes» et de «40 % des cortèges d’oiseaux». «On est en train d’hypothéquer complètement l’avenir des générations futures et d’hypothéquer la souveraineté alimentaire, dont tout le monde parle mais dont personne n’a compris les enjeux, au premier rang desquels la ministre de l’Agriculture», fustige l’agriculteur.
Outre Rochefort, la LPO a organisé une vingtaine de cérémonies partout en France, à Paris, Lyon ou Marseille. Mais aussi à Strasbourg, où quelque 200 manifestants ont arboré des masques de courlis ou de renards sur la tête, des panneaux «On ne ressuscite pas une espèce disparue» à la main. A Tours, les militants étaient une quarantaine, avec des pancartes «Pas de nature, pas de futur».
Dans un communiqué, l’association rappelle que les études scientifiques sont sans appel : «L’érosion alarmante de ce patrimoine naturel inestimable met en péril les économies, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et la santé des populations partout sur Terre.» Pourtant, la France vient d’acter de nouveaux reculs environnementaux d’ampleur, en adoptant la loi d’orientation agricole le 20 février. «En dépénalisant des atteintes graves telles que la destruction d’espèces protégées ou l’arasement de haies champêtres, et en assouplissant les réglementations sur les pesticides, ce texte enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de la biodiversité», fustige la LPO. L’ONG estime qu’il s’agit ainsi «d’une rupture inédite» mettant «brutalement fin à un demi-siècle de progrès continus» en matière de réglementations environnementales en France.
Détricotage de l’objectif «Zéro artificialisation nette», facilitation de la commercialisation et épandage par drones des produits phytosanitaires, réintroduction d’insecticides néonicotinoïdes interdits en France depuis 2018 en raison de leur toxicité avérée pour les écosystèmes naturels, déclassement des zones humides, assouplissement des procédures relatives à l’implantation de projets industriels ou de mégabassines… Les reculs sont innombrables tandis que «les lanceurs d’alerte sont criminalisés» et que «des attaques injustifiables sont orchestrées contre des organismes publics» tels que l’OFB, l’Ademe, l’Anses ou encore l’Agence bio.
Et la tendance est mondiale. L’Union européenne «abdique devant les lobbies industriels, abaisse le statut de protection du loup, renonce aux ambitions de son Pacte vert et de sa Politique agricole commune», liste la LPO. Ailleurs dans le monde, «les récentes COP sur le climat, la biodiversité et la réduction de la pollution plastique n’ont été qu’une succession de rendez-vous manqués avec l’avenir, entre discussions stériles et promesses vaines.»
Face à la morosité ambiante, Allain Bougrain-Dubourg a toutefois tenté de remobiliser les troupes. «Ne laissons pas nos campagnes s’estomper, se figer comme des cimetières. Chacun, à son échelle, a le pouvoir d’agir. Aujourd’hui nous portons le deuil mais nous conservons notre énergie, notre détermination à effacer le mépris, l’indifférence et l’ignorance. La nature doit nous rassembler. Vive les printemps qui chantent !»
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