Pourquoi l’effondrement de l’Amoc, un courant majeur de l’Atlantique, inquiète les scientifiques

Pourquoi l’effondrement de l’Amoc, un courant majeur de l’Atlantique, inquiète les scientifiques

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Point de bascule

Le ralentissement de ce système de courants marins pourrait avoir des conséquences «catastrophiques» pour les pays nordiques, mais aussi pour d’autres parties du monde, ont alerté lundi 21 octobre une quarantaine d’experts dans une lettre ouverte adressée aux dirigeants du Conseil nordique, réunis à Reykjavik en Islande ce lundi 28 octobre.

Les risques d’un effondrement de la principale circulation océanique de l’Atlantique, qui donne son climat doux à l’Europe, sont largement sous-estimés. L’alerte a été donnée le 21 octobre par pas moins de 44 experts internationaux dans une lettre ouverte adressée aux dirigeants du Conseil nordique, réunis à Reykjavik en Islande ce lundi 28 octobre. Les scientifiques estiment que les effets de ce point de bascule seront dévastateurs, irréversibles et «probablement» ressentis partout dans le monde pour les siècles à venir.

La «circulation méridienne de renversement de l’atlantique», ou Amoc, de son acronyme anglais, est un système complexe de courants océaniques qui circulent dans l’Atlantique Nord, le long des littoraux américains, de ceux d’Europe de l’Ouest jusqu’aux mers nordiques de Scandinavie, d’Islande et du Groenland. L’Amoc est ainsi l’un des plus grands systèmes de transport de chaleur de la planète. Il a un impact particulièrement fort sur le climat en Europe, il permet l’absorption de CO2 et l’approvisionnement en oxygène de l’océan, tout comme il affecte le régime des pluies dans les tropiques.

Point de bascule sous-estimé

«Certains signes indiquent que l’Amoc ralentit depuis 60 ou 70 ans en raison du réchauffement de la planète. Le signe le plus inquiétant est la tache froide au-dessus de l’Atlantique Nord. Cette région est le seul endroit au monde à s’être refroidi au cours des 20 dernières années environ, alors que tout le reste de la planète s’est réchauffé», explique au Guardian l’un des signataires de la lettre, l’océanographe et climatologue Stefan Rahmstorf, de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat, en Allemagne.

L’effondrement de ce système est l’un des points de bascule qui inquiètent les scientifiques en raison de la cascade de catastrophes qu’il pourrait déclencher. Mais la date à laquelle il devrait survenir ne fait pas consensus. Dans leur 6e rapport d’évaluation publié en 2023, les experts du climat mandatés par l’ONU (Giec) expriment «un niveau de confiance moyen dans le fait que la circulation méridienne de retournement atlantique ne s’effondrera pas avant 2100».

Décryptage

Cependant, affirment les signataires de la lettre ouverte, des travaux récents «suggèrent que le Giec a sous-estimé ce risque et que le franchissement de ce point de basculement est une possibilité sérieuse dès les prochaines décennies». «Le processus n’est pas linéaire et serait déclenché par de subtiles différences de salinité, qui dépendent à leur tour des quantités de précipitations et de la couverture nuageuse au-dessus de l’océan, ainsi que des taux de fonte du Groenland», détaille Stefan Rahmstorf.

En effet, l’Amoc transporte de l’eau chaude salée des tropiques vers l’Atlantique nord. Plus légère que l’eau froide, celle-ci reste en surface avant de se refroidir au niveau du Groenland. Elle va ensuite de nouveau «couler» et rejoindre les courants profonds qui vont vers le sud. Mais la fonte des calottes glaciaires rend l’eau de mer plus douce, donc moins dense. Elle s’enfonce plus difficilement sous la surface, alors que c’est ce mécanisme qui fait avancer le courant océanique. Pour le spécialiste, il existe «une grande incertitude» quant à la date à laquelle un changement irréversible sera atteint. «Je dirais que le risque que nous franchissions le point de basculement au cours de ce siècle est d’environ 50/50», juge-t-il.

Effets catastrophiques

«Notre conclusion est qu’il ne s’agit pas d’une faible probabilité», estime également Peter Ditlevsen à l’Université de Copenhague, un autre signataire de la lettre. Pour lui, «si la Grande-Bretagne et l’Irlande deviennent comme le nord de la Norvège, (cela) a des conséquences considérables. Ce n’est pas une chose à laquelle on s’adapte facilement».

En effet, les impacts de cet effondrement, en particulier pour les pays nordiques, «seraient probablement catastrophiques, incluant un refroidissement majeur de la région tandis que les régions environnantes se réchauffent», notent les scientifiques. Cela représenterait une amplification et une intensification du «cold blob», une zone anormalement froide qui s’est déjà formée au nord de l’Atlantique, et conduirait probablement à des phénomènes météorologiques extrêmes sans précédent.

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Cela pourrait «potentiellement» menacer la viabilité de l’agriculture dans le nord-ouest de l’Europe, font encore valoir les experts. Et ces effets se feraient aussi «probablement» sentir à l’échelle mondiale avec une moindre absorption du CO2 par les océans, un refroidissement de l’hémisphère nord, l’élévation du niveau de la mer dans l’Atlantique, et un régime des pluies modifié… De quoi causer des sécheresses dans certaines régions et des inondations dans d’autres. Enfin, l’effondrement de l’Amoc modifierait l’apport en nutriments et réduirait la teneur en oxygène des océans profonds, bouleversant ainsi la biodiversité marine.

Un tel phénomène est déjà survenu plusieurs fois dans l’histoire de la Terre, comme au cours de la dernière période glaciaire, ce qui a représenté «l’un des bouleversements climatiques les plus importants» jamais recensé.

Alors que les signataires de la lettre urgent le Conseil nordique à prendre des mesures pour minimiser ce risque autant que possible, les concentrations de gaz à effet de serre ont encore atteint un niveau historique en 2023, a alerté l’ONU ce lundi. Les subventions mondiales pour les combustibles fossiles, en grande partie responsables du réchauffement climatique, ont également atteint le chiffre record de 7 000 milliards de dollars en 2022, selon le Fonds monétaire international. Pour Stefan Rahmstorf, de telles subventions montrent qu’il n’y a pas d’efforts crédibles pour prévenir le désastre climatique.

Le Conseil nordique rassemble le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède ainsi que plusieurs territoires autonomes (Ils Féroé, Groenland, Åland). Leurs dirigeants sont réunis lundi et mardi à Reykjavik pour un sommet auquel le président ukrainien Volodymyr Zelensky a également été convié.

Libération

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